[ITW] Virginie Spies : « Chère Mars, tu as quelque chose de sexy car tu es mystérieuse »

Salut Terrien(ne)s ! C’est la planète Mars. Récemment, l’une d’entre vous a publié un roman en ligne chapitre par chapitre qui s’appelle « Mars Océan« . On me l’a raconté, j’ai kiffé, j’ai voulu en savoir plus.

Qui es-tu, Virginie ?
Je suis une terrienne, Maître de conférences à l’Université d’Avignon et sémiologue, spécialiste de la télévision et je travaille aussi sur les liens entre télévision et réseaux sociaux. J’ai écrit deux livres scientifiques sur la télévision. Ce qui m’intéresse, dans mon métier, c’est d’analyser pourquoi les programmes populaires plaisent. J’essaye de comprendre et décoder les pratiques et le succès des émissions. Je suis aussi auteur et metteur en scène de théâtre, j’ai écrit une trilogie sur la télévision et la célébrité, et mes pièces ont été jouées à Avignon entre 2011 et 2013.

Peux-tu nous présenter le projet de Mars Ocean ?
Avec plaisir ! Quand j’ai entendu parler du projet Mars One, au printemps 2013, j’ai trouvé ce projet fou pour deux raisons : d’abord on allait pouvoir partir sur Mars mais sans possibilité de retour sur Terre et ensuite, l’expérience serait filmée « à la manière » d’une émission de télé-réalité. Ce sont ces deux choses qui m’ont vraiment interpellée. La télé-réalité parce que c’est l’un de mes objets de recherche, et le non-retour parce que la question de la disparition me taraude depuis longtemps.
D’ailleurs, ma dernière pièce « L’île aux célébrités » est l’histoire de célébrités qui se retrouvent sur une île après avoir fait croire au monde entier qu’elles étaient mortes. Cette histoire se base sur la « rumeur de survie » qui raconte qu’Elvis ou encore Marylin ne seraient pas morts mais qu’ils couleraient des jours heureux sur une île.

Ce qui m’intéresse, avec le projet Mars One, c’est que des personnes vont accepter en quelque sorte de disparaître, tout en devenant des célébrités mondiales. Pour moi, c’est le degré ultime de notre société du spectacle. Enfin, je travaille depuis quelques années sur la question du bonheur. J’imagine que les personnes qui veulent partir sur Mars partiront certes à la conquête d’une nouvelle planète, mais ce sera d’abord une quête d’eux-mêmes : ils cherchent quelque chose de l’ordre du bonheur ultime, ce serait la réalisation d’une vie.

Avec le projet Mars One, j’avais donc tous les ingrédients pour un roman qui toucherait à tout ce qui m’intéresse. Le sujet est devenu comme une évidence.

Pourquoi n’avoir pas utilisé le vrai projet Mars One, alors ?
Parce que je préfère utiliser un bout du réel que le réel dans sa totalité pour partir dans la fiction. Ce qui m’intéresse dans Mars One, c’est son projet de départ et comment, à partir de cela, je peux emmener le lecteur quelque part. En tant qu’auteur, le projet Mars One est un point de départ, c’est lui qui m’a donné l’idée du roman.

Par ailleurs, je n’avais pas envie d’être « attaquable » par les concepteurs du projet lui-même, je ne voulais pas leur faire du tort, ni peiner ceux qui ne veulent pas que l’histoire de Mars One se déroule comme je l’ai imaginé, en tant qu’auteur de fiction 😉

Le spatial utilise beaucoup Internet pour être relayé : les comptes Twitter des sondes et robots qui partagent des infos et des photos venues de loin (de chez moi particulièrement :p), la vie des astronautes 24h/24 dans l’iSS, la Terre filmée en direct et en HD, la retransmission des lancements de fusée, les astronautes qui tweetent et qui bloguent, des Hangout avec l’ISS… Es-tu sûre que l’avenir de la communication de l’exploration spatiale, dont la mienne, soit à la télévision ?
Oui et non. Je m’explique : D’une part, ce que je constate dans mes recherches, c’est que l’univers médiatique n’est plus cloisonné. Nous sommes dans un univers transmédia : il n’y a plus la télé d’un côté, la radio de l’autre, puis Internet quelque part, la presse écrite ailleurs, etc. Les médias sont connectés les uns aux autres, le téléspectateur regarde la télé partout, tout comme le lecteur utilise plusieurs supports.

D’autre part, si en effet le spatial utilise beaucoup Internet, ce qui compte encore et qui comptera pendant de nombreuses années, c’est la télévision car elle génère de forts revenus et qu’elle est capable de rassembler un large public au même moment. Elle s’appuie beaucoup sur le web mais, à l’inverse de certains analystes, je pense que la télévision n’est pas morte. Elle se sert du web pour étendre son pouvoir et les réseaux sociaux lui ont même donné une nouvelle jeunesse. Et puis, aucun média n’a jamais tué l’autre. Par exemple, quand la télé est arrivée, le cinéma a cru qu’il allait en mourir. Aujourd’hui, c’est la télé qui finance en grande partie le cinéma !

Donc je suis désolée, chère Mars, mais ton avenir passe en partie par la télévision 😉

Dans quelle mesure t’es-tu inspirée (ou pas !) des émissions de télé-réalité existantes dans Mars Ocean, notamment pour traiter l’enfermement et le côté psychologique d’une telle aventure ?
Je me suis vraiment inspirée des émissions de télé-réalité existantes. Je suis allée puiser dans mes connaissances et mes analyses de ce genre télévisuel. D’ailleurs, l’un des héros de Mars Ocean dit que cette forme de télé-réalité est une expérience ultime, qui rassemble à peu près tous les traits de cette télévision si populaire.

As-tu entendu parler de l’expérience Mars500 ?
Oui, mais je ne m’en suis pas inspiré pour écrire. Une fois que les personnages et la situation étaient posés, l’histoire s’est déroulée presque d’elle-même. C’est ce que j’aime dans l’écriture de la fiction !

Pourquoi une séparation physique entre les scientifiques et les autres, alors qu’ici, les Humains auront sans doute besoin d’être tous en relation les uns avec les autres ?
J’ai voulu qu’ils soient dans deux lieux différents pour l’intrigue, et aussi parce que, même si ce n’est pas comme cela que c’est envisagé pour l’instant par Mars One, il est possible que cela se passe comme ça si on veut créer du buzz avec des personnages « intéressants » en terme de télé-réalité. Après, cela pose en effet des problèmes, je les développe d’ailleurs dans le roman mais je n’ose pas en dire plus ici pour les personnes qui n’auraient pas encore découvert l’histoire 😉

En tant que sémiologue, que penses-tu de la recrudescence de la présence d’astronautes en ce moment, notamment dans les publicités et au cinéma, alors qu’aucun être humain n’a posé le pied sur la Lune depuis 1972 ? Tu crois que c’est grâce à moi, ou en tout cas à l’espoir de venir m’explorer dans pas longtemps ? :p
Je crois que ce succès est dû en partie à l’espoir d’un monde meilleur, d’un ailleurs ou d’autres choses seraient possible. Depuis que je suis née, je n’ai entendu parler que de la crise. Or nous avons tous besoin de rêver, d’imaginer qu’ailleurs, il existe quelque chose de mieux. Et puis bien sûr, c’est certainement un peu grâce à toi chère Mars, tu as quelque chose de sexy car tu es mystérieuse. Tu as vu toute la littérature sur toi ? L’imaginaire du « martien », c’est pas rien tout de même !

Oui mais c’est aussi beaucoup de n’importe quoi… Est-ce que tu aimerais venir me voir, d’ailleurs ?
Je n’imagine pas aller sur Mars un jour, je vais déjà essayer de bien voyager sur Terre. Pour l’instant, je préfère imaginer ce qui pourrait se passer sur Mars et j’espère regarder l’émission lorsqu’elle se réalisera « en vrai ». A ce moment, crois-moi, je serai ta plus fidèle téléspectatrice !

Mars One vient d’annoncer qu’ils ont signé un contrat d’exclusivité avec Darlow Smithson Production pour la retransmission télévisée de la sélection des futurs marsonautes (dans un premier temps). Etant donné leurs productions, ils ont l’air très sérieux et spécialisés dans les sciences, l’environnement et les technologies. Mais c’est aussi une filiale du groupe Endemol dont j’ai de mauvais écho. Ton avis sur ce partenariat ?…
Pour tout te dire, cela ne m’étonne pas. Que faut-il pour que Mars One se réalise ? De l’argent. Donc des futurs annonceurs. Pour avoir des annonceurs, il faut une émission qui cartonne, et qui a été le précurseur de la télé-réalité ? Endemol bien sûr. Il va donc falloir inventer un programme qui fonctionne en terme d’audience, et pour une saison qui ne se terminera jamais. C’est complètement fou, c’est ça, dans le fond, le sujet de mon roman. Je pense que tout cela peut arriver car l’imagination des êtres humains n’a pas de limites, et franchement, cela peut être dangereux car le projet Mars One, c’est tout de même autre chose que de vendre du temps de cerveau disponible à Coca-Cola.

Y a-t-il une actualité pour le projet Mars Ocean ?
Le roman a démarré sur un blog, que je continue d’animer, et maintenant il est disponible sur Amazon en téléchargement. Et pour tout te dire, je suis à la recherche d’un éditeur, car je n’ai pas envie d’arrêter là. Si ça marche, je t’en envoie un exemplaire ?

Oh oui ! Ça me fera de la (re)lecture en attendant les premiers êtres humains, merci Virginie ! 😀

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