Les Justes, d’Albert Camus, sont mis en scène par un Stanislas Nordey inspiré mais maladroit. Quelques comédiens remarquables sauvent ce spectacle aux longueurs répétées. Pas inintéressant, mais hélas inabouti.
Les Justes, c’est l’histoire de cinq révolutionnaires russes au début du XXème siècle. Quatre hommes et une femme, décidés à assassiner le grand-duc Serge pour sauver le peuple russe de la misère et pour faire triompher la justice. Leurs convictions, aussi nobles soient-elles, excusent-elles pour autant leur acte terroriste ?
Une mise en scène minimaliste d’un texte difficile
Cette pièce de Camus a des échos particulièrement actuels plus d’un siècle après l’action inspirée d’une histoire vraie. L’austérité de la mise en scène de Stanislas Nordey rejoint celle du texte pour un rendu pesant, mais malgré tout de grande qualité. Le décor et les déplacements des comédiens, minimalistes et géométriques, servent la réflexion de l’auteur sans la polluer d’artifices. Le texte ainsi mis en exergue, les comédiens sont seuls maîtres à bord.
C’est là que le bât blesse. Le parti pris de la direction d’acteur est certes louable en théorie, mais discutable en pratique. Stanislas Nordey a voulu ne servir que le texte, et finalement, on finit par le perdre. En demandant à ses comédiens de le sur-articuler, c’est comme s’il nous imposait de le lire collé au visage. A le voir de trop près, on ne le voit plus du tout. On a besoin d’un minimum de recul pour qu’il nous apparaisse, et c’est ce recul-là que le metteur en scène nous refuse.
Des comédiens inégaux
Les comédiens, inégaux, le sont d’autant plus devant ces exigences : le charisme de Frédéric Leidgens (Boris) s’efface derrière sa diction plus qu’agaçante, quand elle n’en devient pas risible. Pourquoi diantre prononce-t-il le « e » muet à la fin des mots, et pour quelle raison obscure ses « r » sont-ils si durs et si appuyés ?
Vincent Dissez (Ivan, ci-dessus) semble jouer à celui qui dira son texte en ouvrant le plus la bouche en hauteur et en largeur, et Damien Gabriac (Alexis) disparaît complètement derrière la monotonie synthétique de sa diction. Quant à Wajdi Mouawad (Stepan), malgré ses efforts pour se fondre dans un style qui n’est pas le sien, multiplie les erreurs de débutant que ne renierait pas une parodie des Inconnus.
Seule Emmanuelle Béart (Dora) tire son épingle du jeu. Rebelle, la comédienne prend la liberté de respecter la ponctuation, et ferme tous ses sens. Ses interventions sont autant de virgules d’oxygène dans un ensemble anxiogène et rendent audible un texte déjà très lourd. Sans oublier une mention spéciale pour Laurent Sauvage (Skouratov) : il réussit à faire rire un public pourtant assommé en déclamant du Camus comme un sketch de one-man-show. Brillant et salvateur.
La volonté de Stanislas Nordey de servir le texte est la preuve que ce metteur en scène souhaite amener les spectateurs à une réflexion qui irait au-delà de la pièce. Malheureusement, les comédiens, mal dirigés, s’écoutent dire leurs répliques, et le spectateur n’a d’autre choix que de tenter – en vain – d’en extraire le sens. Les plus téméraires tiendront une heure avant que l’ennui s’installe pour les deux petites heures restantes.
Dommage, car Emmanuelle Béart et Laurent Sauvage sont la preuve que ces Justes peuvent aussi être digestes, audibles, et matière à réflexion. Un spectacle maladroit, en somme, avec pourtant toutes les promesses avortées d’un metteur en scène de talent.
Florence Porcel
Les Justes, d’Albert Camus. Mise en scène de Stanislas Nordey. Avec Emmanuelle Béart, Vincent Dissez, , Damien Gabriac, Frédéric Leidgens, Wajdi Mouawad.
Du 27 au 30 avril 2010 au Théâtre des Treize Vents, Montpellier.
Du 4 au 6 mai 2010 à la Comédie de Clermont-Ferrand.