[SOCIÉTÉ] Les femmes, les sciences, et le reste

En cette Journée Internationale des Droits des Femmes, voici un petit état des lieux de ce qui fourmille de manière brouillonne dans ma tête concernant les femmes, les sciences et le reste.

QUELQUES DATES

Je commence en 1983 pour avoir une idée de ce qui a pu se passer dans l’évolution des droits et de la place des femmes depuis ma naissance.

1983 : Sally Ride devient la première Américaine dans l’espace (précédée par deux Russes, Valentina Terechkova et Svetlana Savitskaïa, respectivement en 1963 et 1982). C’est également, à ma connaissance, la seule astronaute bisexuelle (je ne connais pas d’astronaute ouvertement gay, lesbienne, bisexuel, transgenre) même si c’est seulement à sa mort en 2012 que sa compagne a rendu public leurs 27 années de relation.

1983 : Marianne Grunberg-Manago est la première femme à diriger l’Union internationale de biochimie. Elle a notamment découvert une enzyme qui a bouleversé la recherche sur l’hérédité et permit une meilleure compréhension de l’ADN (source).

1984 : l’épreuve du marathon aux Jeux Olympiques devient autorisée aux femmes.

1984 : Kathy Sullivan est la première Américaine à marcher dans l’espace.

 

1995 : Marie Curie est transférée au Panthéon, y devenant la seule femme honorée pour son travail (les quelques autres n’y sont qu’en qualité d’épouse de). Marie Curie est une des très rares personnes (et la seule femme) à avoir reçu deux Prix Nobel et c’est la seule personne tous genres confondus à avoir reçus deux Prix Nobel dans deux disciplines scientifiques différentes (en physique en 1903 avec Pierre Curie et Henri Becquerel, et en chimie en 1911).

1996 : Claudie Haigneré devient la première femme astronaute française.

1997 : Catherine Bréchignac devient la première femme directrice du CNRS.

Caroline Aigle

1999 : Caroline Aigle devient la première femme pilote de chasse en France (première femme à être affectée au sein d’un escadron de combat de l’Armée de l’air française). Une femme admirable qui ferait sûrement partie du corps des astronautes européens si elle n’était pas décédée si jeune. Je vous conseille d’aller faire un tour sur sa page Wikipédia si vous n’avez jamais entendu parler d’elle, ça résume bien son parcours exceptionnel.

2007 : Peggy Whitson est la première femme commandant de l’ISS.

Avril 2014 : le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian annonce que les femmes vont être autorisées dans les sous-marins. À l’heure où je vous parle, ce n’est toujours pas fait : les premières candidates doivent entrer en formation cette année pour une durée de deux ans.
Juste pour info, voici une capture d’écran du paragraphe « Féminisation » de la page Wikipédia des sous-mariniers. (Le cas du Danemark est particulièrement « savoureux »…)

Août 2014 : Maryam Mirzakhani devient la première femme à recevoir la Médaille Fields (la plus grande récompense existante en mathématiques).

Décembre 2014 : Françoise Combes devient la première femme à décrocher une chaire d’astrophysique au Collège de France. Elle est titulaire de la chaire « Galaxies et Cosmologie« .

Cette liste n’est pas exhaustive et je suis sûre qu’il y a eu cette année encore de multiples « première femme à ». Si j’ai un voeu à faire en ce 8 mars, ce serait de ne plus jamais entendre cette expression : ça voudrait dire que les femmes à accomplir des exploits ou à occuper des postes importants ne seraient plus des exceptions, mais la norme.

Concernant le spatial, il faut savoir que la personne qui a fait la sortie dans l’espace la plus longue est une femme, Susan Helms, avec une EVA de 8 heures et 56 minutes.

Voici également un diaporama réalisé l’année dernière et intitulé « 50 Years of Women In Space« .

QUELQUES FEMMES SCIENTIFIQUES AUXQUELLES JE PENSE AUJOURD’HUI

Si on demandait aux gens dans la rue de citer 5 femmes scientifiques, je suis prête à parier pour qu’on ait quelques « Marie Curie » et puis… personne d’autre.
Voici quelques scientifiques auxquelles je pense aujourd’hui (de manière totalement aléatoire, c’est juste celles qui me viennent à l’esprit au moment où j’écris ces lignes).

Françoise Héritier (1933-)
Elle est ethnologue et anthropologue. J’ai eu la chance d’aller lui serrer la main avant de faire une de mes chroniques dans « La tête au carré » et de la remercier pour tout ce qu’elle avait fait, scientifiquement ou pas, pour la cause des femmes. Rien que de penser que j’ai eu la chance immense de lui dire « merci » en personne, j’en ai les larmes aux yeux.
MERCI, madame, pour tout.
Si vous ne connaissez pas son travail, je vous le conseille chaleureusement, évidemment. Elle a écrit de très nombreux ouvrages. Récemment, vous l’avez peut-être vue dans le formidable (et édifiant) documentaire « Pourquoi les femmes sont-elles plus petites que les hommes ? » (que je ne saurai que trop vous conseiller).

Cecilia Payne (1900-1979)
Elle reste dans la communauté scientifique l’auteure de « la thèse de doctorat la plus brillante jamais écrite en astronomie ». C’est elle qui a compris la première que les étoiles sont constituées d’hydrogène. Mais comme c’était une théorie farfelue pour l’époque (et que c’était une femme), un scientifique la dissuade de publier quoi que ce soit dans ce sens. Ce même scientifique reprendra cette découverte quelques années plus tard à son compte, bien évidemment. Et son parcours est une longue et triste liste de discriminations sexistes dans ce genre.

Anne-Marie Lagrange (1962-)

Hedy Lamarr

Elle est astrophysicienne. Pendant sa thèse, elle découvre un disque de poussières autour d’une étoile et elle est la première à évoquer la possibilité de la présence de planètes autour de cette étoile. Sauf qu’à l’époque (début des années 80…), on croit que le Soleil est la seule étoile à posséder des planètes… jusqu’à ce qu’on découvre la première exoplanète en 1995 et que ça lui donne raison. Elle est également la première à avoir découvert une exoplanète par imagerie directe (en 2008). Je la verrais bien sur un billet de banque.

Hedy Lamarr (1914-2000)
C’est une actrice hollywoodienne. Mais pas que. Elle a inventé un codage de transmission qui permet aujourd’hui le GPS et le Wifi. Rien que ça, ouais.
Dans un monde idéal, on ferait un biopic de cette femme et j’aurais le rôle principal.

Hélène Courtois
Elle a découvert Laniakea, le continent extragalactique dans lequel se trouve la Voie Lactée. D’ailleurs, la vidéo de « Nature » associée à sa découverte est jusqu’à présent la plus vue, toutes sciences confondues.

Margaret Hamilton (1938-)
Alors pour être incroyable, cette femme est incroyable. Margaret Hamilton représente tout ce qu’il y a de plus « cool » dans la définition pop-culture. Elle est informaticienne et mathématicienne. Pour résumer grossièrement, c’est elle qui a écrit le code source du programme Apollo. Sans elle, pas d’hommes sur la Lune. En voilà encore une, d’idée de biopic qui déchirerait !

Margaret Hamilton avec son code source écrit pour le programme Apollo (NASA)

Il y en a évidemment des dizaines d’autres, tout aussi incroyables et méritantes. Une blogueuse américaine en a listé 25 ici, pour la plupart en début de carrière, qui peuvent servir de modèle aux petites filles qui en manquent encore cruellement.

Plus proches de moi, je pense à mes co-équipières de MDRS 148 (ma mission de simulation sur Mars) :
Lucie Poulet est ingénieure en aérospatial et doctorante en génie des procédés biologiques. Elle parle 5 langues, a son brevet de pilote et son brevet de plongée, court des marathons, et elle a participé à 3 missions de simulation martienne, dont une de 4 mois à Hawaii organisé par la NASA.
Louise Lindblad est ingénieure dans le spatial également – elle travaille principalement sur les logiciels des satellites. Elle fait également partie de l’équipe de Suède de gym et elle est classée au niveau national.
Tiffany Swarmer est microbiologiste et spécialiste des facteurs humains dans l’aérospatial. Elle est testeuse de combinaisons spatiales, aussi. Outre la mission MDRS 148, elle était avec Lucie dans la mission de 4 mois de la NASA à Hawaii.

Tiffany et Lucie pendant MDRS 148 avec leur t-shirt HI-SEAS

Tout ça pour dire : il y a tellement de personnes passionnantes et méritantes à mettre en avant ! Et ces personnes n’ont aucune présence médiatique… J’ai fait de mon mieux quand j’étais chroniqueuse sur France Inter, j’avais systématiquement le réflexe de donner la parole à une femme, à compétences égales. Dans mon podcast, je les mets en avant autant que je peux également. S’il y a des journalistes, des marketeux ou des communicants qui me lisent : s’il vous plaît, essayez d’aller chercher un peu plus loin. Il y a une vraie richesse humaine qui n’est pas du tout exploitée ici. Ce serait tellement dommage de continuer à vous en priver et à en priver le public…

QUID DES VIDÉOS DE SCIENCES ?
Mon podcast « La folle histoire de l’Univers » existe depuis 2012. Je ne fais des vidéos « façon Youtubeur » que depuis décembre 2014 pour la seule et basique raison qu’avant ça, je n’avais pas les moyens techniques de le faire.
Mais je constate qu’en sciences, sur Youtube, si les garçons sont évidemment parfaitement représentés dans toutes les disciplines (Léo avec DirtyBiology, Mickaël avec MicMaths, Bruce avec e-penser, pour ne citer qu’eux), j’ai l’impression d’être une extraterrestre (autre définition de la femme dans un univers particulièrement masculin) et d’avoir plus de mal à me faire entendre ou à m’imposer alors que je pense proposer des contenus de qualité égale aux sus-cités (et souvent depuis bien plus longtemps).
Je ne connais pas tout l’Internet non plus, donc si vous avez des suggestions à me faire de youtubeuse sciences, je prends !!
Heureusement, il n’y a pas que Youtube dans la vie 2.0, et les blogueuses scientifiques sont nombreuses et talentueuses (voici une liste).

Il y a également le cas d’Elise Andrew. C’est elle qui a créé la célébrissime page Facebook « I fucking love science« . Le jour où elle a invité les fans de la page à la suivre sur son compte Twitter, ceux-ci ont découvert qu’elle était une femme et ça a visiblement était un choc pour nombre d’entre eux. Elle s’est pris tellement d’insultes sexistes que ça a été médiatisé. Elle a même dû aller s’expliquer sur un plateau de CBS… (j’en avais fait une chronique sur France Inter).

QUELQUES AUTRES CONTENUS

Marion Montaigne me fait régulièrement pleurer de rire. Je vous conseille les 3 tomes de sa BD « Tu mourras moins bête (mais tu mourras quand même) » chez Delcourt.

Mon billet sur l’histoire des femmes dans l’exploration spatiale a été publié dans « L’anthologie des meilleurs blogs de science » aux éditions MultiMondes l’année dernière – ce qui m’a remplie de joie.

Je ne vous avais pas parlé du livre « Trop belles pour le Nobel » de Nicolas Witkowski parce que je l’ai trouvé souvent maladroit et parfois hors-sujet, mais il a le mérite d’exister et d’au moins fournir une liste de personnages qu’on ne connaît pas assez.

Mon ouvrage préféré sur la question reste « L’astronomie au féminin » de Yaël Nazé, qui vient d’être réédité. Si vous préférez, elle en avait fait une (très drôle) conférence qui devrait être diffusée dans les écoles.

Et voilà, c’est à peu près tout pour aujourd’hui 🙂

Si je devais résumer mon sentiment d’aujourd’hui en une phrase, ce serait : « Mais bordel il y a tellement de femmes incroyables dans tous ces domaines, pourquoi on n’en entend jamais parler ?? » Parce que quand on creuse un peu, on devient (enfin moi, en tout cas) excité par tous ces parcours et par toutes ces personnes à suivre, admirer, connaître, écouter, raconter, partager, critiquer aussi (ça n’empêche pas, hein) et desquelles s’inspirer.

QUELQUES SOLUTIONS
C’est bien joli de râler, mais proposer des solutions, c’est mieux. Donc, en vrac :
– Changer les manuels scolaires et parler aussi des femmes scientifiques qui ont fait l’histoire des sciences (il y en a des tas d’autres que Marie Curie)
– Donner plus de places aux femmes dans les médias (merci notamment à Etienne Klein qui est à 50/50 au niveau de ses invités dans son excellente « Conversation scientifique » sur France Culture – enfin j’ai pas compté mais à vue de nez c’est équilibré)
– Créer, compléter, enrichir les pages Wikipédia (je le fais moi-même dès que je le peux)
– M’embaucher si tu es une chaîne de télé/un producteur/un créateur de chaîne Youtube pour parler de sciences (mon CV)
– Veiller à remplacer hôtesse de l’air/infirmière/secrétaire par pilote/neurochirurgienne/PDG quand vous demandez à votre petite nièce/cousine/filleule ce qu’elle voudrait devenir plus tard
– Partager ce billet. Merci ! 🙂

9 réflexions sur « [SOCIÉTÉ] Les femmes, les sciences, et le reste »

  1. Je découvre le blog (merci Bits)
    Super article, on sort des lieux communs avec cette liste. Après c’est juste aberrant que l’on est besoin de le faire…
    à suivre…

  2. Ping : Actu insolite de mi-mars | Science de comptoir - ISSN : 2270-4310

  3. Bonjour ! Tout d’abord super pour ce billet. Il est tout à fait navrant que les femmes soient encore si peu mises en avant. Et il vrai que nos manuels (je suis en terminal S) ne nous donnent pas de noms de femmes… On parle bien Galilée, Newton, Kepler, mais pas de Tycho Brahe et de Sophie Brahe, et c’est bien dommage.
    Et comme youtubeuses traitant de science il y a bien Scilabus https://www.youtube.com/user/scilabus (mais je pense que vous connaissez déjà cette chaîne) cependant je n’en connais pas d’autres. Et c’est sûr que votre travail n’est pas assez reconnu ! (Mais ça viendra j’en suis sûr)

  4. A la question de la fin, une jeune demoiselle de 7 ans m’a répondu : « Boxeuse !!! »
    Puis : « Maman ne veut pas » (révolte et détermination dans le regard) « alors je donne des cours à mon punching-ball. » (« en attendant », ont ajouté ses yeux, très très fort)

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