Vous n’êtes pas sans savoir que moi, votre planète Terre, suis considérablement transformée et traumatisée par les progrès récents de votre espèce, bande de chameaux (qui, les pauvres, sont totalement innocents dans l’histoire, eux.)
D’ailleurs, selon l’étude d’une équipe de 18 scientifiques parue dans Nature, il serait fort possible que mes écosystèmes connaissent un effondrement irréversible et imminent (avant 2100). En gros, si vous atteignez une transformation de 50% de ma surface, ce serait trop tard et il n’y aurait plus rien à faire. Et vous en êtes à 43%… Je vous laisse imaginer l’urgence du truc. (Enfin pour vous, parce que moi, voyez, je passerai à un autre état comme je l’ai toujours fait, ça ne me posera pas trop de problème, voyez.)
Si vous voulez continuez à perpétuer votre espèce dans des conditions optimales, bougres de bougres d’humains, il va peut-être falloir penser à ouvrir grand vos mirettes sur les problèmes actuels. L’un d’entre vous, un jeune scientifique français nommé Martin, s’inquiète d’ailleurs beaucoup du cas de l’hélium, que je ne vais plus pouvoir vous fournir bien longtemps si vous continuez à ce rythme-là.
J’ai donc interrogé Martin qui a des informations tout à fait instructives à propos de ce gaz irremplaçable qui disparaît de manière inquiétante. Moins médiatique que le pétrole, ce serait pourtant une nouvelle bien plus grave si mes stocks arrivaient à épuisement.
Peux-tu te présenter, cher Martin ?
Je suis doctorant en astrochimie à l’Université Rennes 1. J’étudie les réactions chimiques qui se déroulent dans les nuages froids, tels ceux qui se forment sur Titan et les Giant Molecular Cloud (GMC), tels ceux d’Orion ou du Taureau.
(Précisions : les GMC d’Orion et du Taureau sont des nuages de gaz géants (vraiment très très géants), où se déroulent des réactions alors que nous parlons. Ils vont un jour s’effondrer et donner naissance à des systèmes solaires. Je parle de ceux-ci car ils sont très beaux à l’observation !)
Leurs caractéristiques (exposés aux rayonnements), leur température, densité, et leur composition en font des objets d’étude très importants. On y retrouve en effet des molécules très complexes à l’échelle de ce qu’on trouve principalement dans l’espace : le dihydrogène et l’hélium.
Pour étudier ces réactions, nous utilisons le CRESU (Cinétique de Réaction en Écoulement Supersonique Uniforme, utilisé aussi sous ce nom dans les publications anglophones car inventé en France par des Français \o/), un appareil inventé au sein de notre équipe, et qui a désormais fait des petits dans plusieurs équipes de recherche dans le monde.
Tu étudies donc de près l’hélium. Peux-tu expliquer ce que c’est ?
Second élément de la classification périodique, l’hélium (symbole : He) est également le second élément le plus abondant dans l’Univers (24%) après l’hydrogène (75%). Tous les autres éléments de l’univers étant le 1%. J’attends d’ailleurs avec impatience une manifestation de l’hélium et de l’hydrogène « WE ARE THE 99% ! ».
Ayant toutes ses couches électroniques saturées (de même que toute la famille des gaz nobles dont il fait partie), il ne forme pas naturellement de liaison et reste seul, contrairement à l’oxygène ou l’azote, qui dans notre atmosphère forment surtout O2 et N2.
C’est un gaz dit rare dans la classification périodique, mais c’est pourtant le deuxième élément le plus abondant dans l’Univers. Comment se fait-il que j’en sois si peu pourvue ?
Parce qu’il est inerte et plus léger que l’atmosphère, il monte… et part dans l’espace, pour ne plus jamais être revu, contrairement à son cousin l’argon qui est un constituant de l’atmosphère (environ 1%).
L’hélium qui était présent lors de ta formation a depuis longtemps disparu, et celui qui reste provient de la désintégration alpha de noyaux radioactifs, comme l’uranium. Piégé par des couches géologiques hermétiques, il forme des nappes de gaz, qu’on trouve aujourd’hui principalement au Texas et en Sibérie. Il n’en resterait que 30 à 50 ans accessible facilement.
En effet, c’est peu… Mais pourquoi disparaît-il, au juste ?
Lorsqu’on l’utilise, il disparaît donc car sa concentration dans l’atmosphère est trop faible pour envisager l’en extraire.
Il est « irremplaçable », dis-tu sur Twitter. A quoi sert-il au quotidien ? En quoi est-il indispensable à l’Humanité ?
Au quotidien, ses fonctions sont dictées par ses propriétés inégalées : étant le plus léger des inertes, il des températures caractéristiques très basses.
(Précisions : un élément inerte est un élément qui, dans la majorité des cas ne réagit avec aucun autre. Mais pas seulement. Il est aussi monoatomique (composé d’un seul atome), sous entendu qu’il n’existe pas de molécule de dihélium He2 par exemple (molécule composée de deux atomes d’hélium).
Le diazote de notre atmosphère est relativement inerte sauf pour quelques éléments chimiques, mais il n’est pas monoatomique (« di- » implique le doublement d’un même atome dans une molécule). L’hélium lui va toujours rester He, sauf à l’ioniser, le bombarder aux électrons, le geler… Bref, au quotidien il est et reste monoatomique et inerte.)
L’hélium liquide sert maintenir à basse température les aimants supraconducteurs, qui sont dans les RMN (recherche scientifique), les IRM (médecine), le LHC (qui vient de découvrir le boson de Higgs).
On l’utilise aussi en biologie car il est inerte vis à vis des tissus vivants, en optique pour l’utilisation de puissants lasers, ou pour la recherche de fuites car il s’infiltre partout plus facilement que n’importe quel autre élément.
Il a également bien d’autres usages basés sur ses fantastiques propriétés physiques.
La cryogénisation, par exemple, qui fait fantasmer les auteurs et les réalisateurs de science-fiction. Quel est ton avis de scientifique là-dessus ?
La cryogénisation, oui. Mais des bactéries ou de petits multicellulaires. Sur des gros animaux le froid détruit les cellules lors de la congélation. Les recherches avancent mais pour le moment, la seule chose qu’on peut dire, c’est que ceux qui se sont déjà fait congeler ont perdu.
Tu es scientifique. En as-tu besoin pour tes recherches ? Si oui, dans quel but ?
L’usage que j’en fais est la génération d’écoulement gazeux à travers un profil particulier de tuyère (tuyère de Laval). Les lois de la thermodynamique font que le gaz se refroidit et c’est ainsi que j’étudie les réactions chimiques à basse température dans un nuage. J’ai en effet les mêmes conditions. Je peux utiliser l’argon ou l’azote, mais l’hélium reste le meilleur. L’hydrogène est très bon aussi, mais infiniment plus dangereux et n’est pas applicable tout le temps car il n’est pas inerte.
(Précisions : la tuyère de Laval sert à générer une détente de gaz. Comme dans toute détente, le gaz refroidit alors. Il se produit le phénomène inverse quand on gonfle une roue de vélo, l’air est chaud à la sortie de la pompe. Dans la tuyère de Laval, le profil particulier qu’on lui donne permet de connaitre (sous certaines conditions) la température et la densité du jet de sortie. On utilise cette détente pour étudier les GMC.)
Tu as réagi sur l’hélium suite à la lecture de cet article. Fais-tu partie des scientifiques « terrifiés » ? Plus généralement, que penses-tu de cette étude ?
L’article donné est effectivement, si ce n’est effrayant, objecteur de conscience. Qu’on ait déjà consommé une bonne part des énergies disponibles avec des rendements désastreux (= échauffement climatique) ne peut être remis en question et doit faire réfléchir quant au modèle de consommation actuel.
De façon assez simpliste, il va un jour falloir choisir entre sa voiture et l’Amazonie. Personnellement je prends le bus…
(Et je t’en remercie.) Que peuvent faire les Humains pour ralentir la disparition du stock d’hélium ?
C’est simple : arrêtons de l’utiliser pour les applications non indispensables. Commençons par ne plus gonfler les ballons à l’hélium. Et ça évitera les pleurs des enfants qui lâchent leur ballon et le voient disparaitre.
Il faudrait limiter son utilisation aux domaines vraiment indispensables, et également pouvoir le recapter lors de son utilisation. Par exemple, celui que j’utilise est pollué par les composés chimiques que j’ai étudié, mais rien d’irréversible avec de bons filtres.
J’espère qu’on trouvera des solutions et qu’on agira rapidement, car sans hélium, on sera beaucoup plus gênés que sans pétrole (qui n’est qu’une source d’énergie et de carbone). Mais les gens n’en ont pas conscience car ils ne l’utilisent pas directement…
Quant au pétrole, en tant que chimiste, je suis révolté qu’on le brûle alors qu’il devrait être réservé à la chimie, mais ceci est une autre histoire d’un autre gâchis.
Comment pouvez-vous être plus « gênés » par la disparition de l’hélium que du pétrole ?
Le pétrole est une énergie, mais on peut en trouver ailleurs. Oui, c’est très efficace parce qu’il y a beaucoup d’énergie par masse, d’où son usage en carburant, mais on saura se débrouiller. Et pour son usage chimique, on peut partir d’autres composés (pas mal de recherches sur les sucres, ces temps-ci, ou les chaines acides).
L’hélium, aucun autre élément n’a ses propriétés physiques : on ne peut pas l’imiter ni le remplacer. Quand il n’y en aura plus assez… ben les applications de l’hélium devront faire sans et être moins performantes – si tant est qu’elles puissent faire sans…
Mais l’or n’est pas l’élément le plus rare. Il faut aller voir du côté du francium et de l’astate. Ce sont eux les plus rares. Et pour cause, ce sont des éléments radioactifs, c’est à dire instables. Ils naissent de la cassure d’un élément «père» et donneront eux-mêmes naissance à des éléments «fils». Le francium fut d’ailleurs le dernier élément chimique naturel à être découvert. Ce qui fut effectué par Marguerite Perey à l’Institut Curie de Paris en 1939. Si le francium est si rare, c’est qu’il se casse très rapidement. Sa demi-vie, c’est-à-dire le temps qu’il faut pour qu’une certaine masse de francium soit réduite de moitié, est de moins de 22 minutes. Par comparaison, le second élément le moins abondant, l’astate, a une demi-vie de 8,5 heures.
L’hélium a une température d’ébullition a -268.6° C et une température de liquéfaction a –272.2 degrés, très proche du 0 absolu. Ses points d’ébullition et de fusion sont les plus bas parmi les éléments La masse volumique de l’hélium est de 0,1785 g/L soit environ 5 fois inferieur a celle de l’air. Sa densité vaut 0,139 (il est donc quasiment 7 fois plus léger que l’air). Dans l’hélium, la vitesse de propagation du son est de 960 m/s.
Moi j’adore le style et l’idée de cet article !
Je le vois bien en format émission de télé ou petit doc !
Si jamais ça te branche tu as mon mail
Et si cette histoire de « on est en train de détruire la Terre, faisons quelque chose avant qu’il ne soit trop tard, etc » n’étais en fait qu’une étape de la sélection naturelle ?
En fait, la « destruction de l’environnement », c’est la destruction de NOTRE environnement. À l’échelle géologique, la pollution (même radioactive), la disparition des espèces vivantes, la consommation de matériaux fossiles (même si le cas de l’Helium semble particulier)… tout ça n’est que broutille. Tu t’en remettras, chère planète bleue.
Ce qui est dommage, c’est que l’Humanité, elle, ne s’en remettra peut-être pas. Ou difficilement. Le paradoxe, c’est qu’elle en est consciente, d’où la douleur. Mais si elle est suffisamment bête pour s’auto-zapper, Darwin aura encore frappé, et la Vie repartira sur autre chose. Pourquoi notre existence serait-elle plus importante que celle des moustiques, qui eux, selon toute vraisemblance, passeront le pic pétrolier et la disparition de l’Helium sans problème ?
C’est en effet ce que je dis en début de billet : moi je m’en fous, je vis ma vie, je m’en remettrai. Mais vous… ?
Au-delà de Darwin, je pense que l’Humanité, tant qu’elle n’a pas la preuve qu’il existe une autre forme de vie intelligente et de conscience, a le devoir de se préserver.
Or, elle semble faire exactement l’inverse. Et je trouve ça dommage.
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