En voilà un livre frais, sympathique, drôle et instructif sur les internets ! Antoine Dubuquoy, blogueur, et Nico Prat, journaliste, sortent demain chez les bons libraires leurs Miscellanées d’Internet aux Editions Fetjaine.
Je l’ai lu (parce que j’en ai un exemplaire dédicacé alors c’était la moindre des choses, hein) et j’ai bien rigolé. Mais j’ai appris des tas de choses, aussi : de l’origine du #vraimentPD à l’histoire du web, en passant par des personnalités que je ne connaissais pas et des chiffres en tout genre.
Les Miscellanées, ce sont 244 pages de tout et de n’importe quoi sous la forme de paragraphes de deux ou trois lignes à une ou deux pages. L’alternance d’informations sérieuses et de phénomènes LOL rendent le livre très agréable à lire et jamais ennuyeux. On passe du grave au WTF, de YouPorn à l’évolution du prix du gigaoctet et des mèmes à un quizz. En somme, une parfaite adéquation entre l’objet étudié (Internet) et la forme utilisée (un livre en bois d’arbre).
On sent que les deux compères se sont bien amusés à composer ce foutraque d’informations en tout genre. Le vécu crève les pages, à la plus grande joie du lecteur qui se transformera en xD pendant quelques lignes, lors de la description d’une tentative de prise de contact avec une FAI ou à la simple évocation de la zone blanche. Extrait :
« Pour l’internaute ou le simple geek en vacances, la zone blanche déclenche des suées, provoque une torsion des entrailles, la chute des cheveux, voire des dents, et déclenche un état de nervosité intense se manifestant par une propension à tourner en rond, à escalader les toits, les arbres, les collines, montagnes, poteaux télégraphiques, le bras tendu vers le ciel, le smartphone pointé vers l’immensité céleste dans l’espoir de capter ne serait-ce qu’une demi-barre. » (p.43)
Les deux auteurs savent de quoi ils parlent et beaucoup de web-addicts s’y retrouveront dans des descriptions ou des références parfois invisibles pour le grand public. Mais ils réalisent quand même l’exploit d’expliquer clairement les bases de l’histoire de ce (multi)média qui a bouleversé l’Humanité et de transmettre avec succès les éléments de cette culture particulière et émergente.
C’est un livre que j’aimerais offrir à ma grand-mère qui ne comprend rien à ce que je fais de mes journées (et c’est bien normal) ainsi qu’à mes coupines qui me reprochent (et c’est normal aussi) de leur parler avec un vocabulaire imbitable.
Ces Miscellanées couplées avec l’excellente Encyclopédie de la Web Culture de Titiou Lecoq et Diane Lisarelli sont le meilleur moyen, à mon sens, de comprendre les enjeux (géo-politique, politique tout court, économique, sociologique, culturel, etc), les nouvelles professions et les bases de la culture que représente Internet aujourd’hui. Et en se marrant, par-dessus le marché !
Parce que, et Antoine Dubuquoy et Nico Prat l’ont parfaitement bien transmis, Internet est historiquement et (donc) intrinsèquement construit par des gens qui ne se prennent pas au sérieux. « Il n’y a plus de questions, que des réponses » (p.28), affirment-ils non sans humour à propos des moteurs de recherche. « Les internautes sont de sacrés taquins… » (p.181), se réjouissent-ils au sujet des pionniers du web, champions toutes catégories de l’auto-dérision et des taquineries bon enfant.
Leur style parfois « bloguesque » aidant, ces deux passionnés d’Internet se font les passeurs d’une composante essentielle : les internautes sont des sales mômes, bourrés d’imagination, d’une créativité sans borne et flanqués d’une bonne dose d’insolence. (A nous de faire en sorte de ne pas perdre cet esprit que les grands de ce monde ne comprennent pas.) Fuck yeah !
Interview d’Antoine Dubuquoy, blogueur, homme de médias et co-auteur des Miscellanées d’Internet
Quelle est l’histoire de ce livre ?
Blogueur depuis 2005, et amoureux du livre depuis toujours. J’ai eu envie de passer du digital au papier, par amour de l’objet. Un iPad ne sent rien. Un livre neuf sent la colle et le papier. Gamin, je rêvais de passer un jour chez Bernard Pivot… Bon, il a arrêté Apostrophes avant que je sorte mon livre… Internet est ma grande passion. Internet a bouleversé ma vie. J’ai eu envie d’écrire un livre à ce sujet… Un ami, David Brunat, qui a écrit Les Miscellanées du Tennis, m’a présenté à Gilles Verlant, le directeur de la collection. Gilles a aimé l’idée d’un livre de miscellanées consacrées à Internet.
Nico et moi avions travaillé sur un projet commun, le blog du patron d’une grosse agence de com. On a sympathisé. Je lui ai proposé de participer aux Miscellanées. On a signé le contrat. Et on a commencé à bosser…
Comment s’est fait le choix des rubriques, leur ordre et leur distribution ?
Nous avons présenté à Jean-Louis Festjens, notre éditeur, un pitch très détaillé du livre, avec un plan, et une liste de tous les sujets dont nous souhaitions parler. Les Miscellanées étant un genre littéraire basé sur l’accumulation d’histoires, d’anecdotes, de listes, sans hiérarchisation, sans chronologie, le travail à deux sur le projet était assez simple. Lister tous les sujets, les répartir en fonction de nos centres d’intérêt, de ce que nous maîtrisions le mieux, etc… A partir de cette liste, nous avons chacun commencé à écrire de notre côté, en stockant tout sur Google Docs.
Vous n’êtes pas de la même génération. Qu’est-ce que Nico t’a apporté, et au contraire, que penses-tu lui avoir transmis ?
J’ai traité les sujets historiques et Nico s’est concentré sur les lolcats… Normal, j’ai 47 ans, lui 26. La preuve que la Génération X peut travailler avec la Génération Y…
Je ne sais pas ce qu’on s’est transmis, mais on s’est bien marrés en écrivant le livre. On aime le rock, on aime l’humour trash. On boit des bières entre potes. A peine le manuscrit remis à l’éditeur, on a lui a soumis deux nouveaux projets… On va voir si Dubuquoy & Prat, vont être comme Leiber & Stoller, Pomus & Schuman, Gallagher & Gallagher, Lennon & McCartney, Mario & Sonic, Tintin & Milou, Boileau & Narcejac…
Un livre papier sur Internet… avec des liens non-cliquables par définition… N’est-ce pas paradoxal ?
Internet évolue à une vitesse vertigineuse. Et son histoire même récente s’efface de la mémoire collective extrêmement rapidement. Le paradoxe du livre est d’avoir voulu compiler ces moments pour montrer qu’il y a une continuité historique. Et des constantes dans la nature même d’Internet.
Les liens non cliquables sont là pour que les curieux aillent vérifier ce que nous avons écrit… Mais nous avons écrit chaque miscellanée de façon à ce qu’elle soit totalement autonome. Ce qui dans certains cas est un vrai challenge, quand il s’agit de décrire une image publiée sur 4chan, ou de raconter Two Girls One Cup…
Y aura-t-il une version e-book ?
Yeah ! Elle sortira peu de temps après la version papier. Et les liens seront cliquables…
Concernant le piratage, vous dites : « Il y aura toujours quelqu’un pour vous taper sur les doigts, comme si vous aviez 12 ans » (p. 29). Diriez-vous toujours la même chose si votre livre était piraté ?
A moins de s’appeler Marc Musso ou Guillaume Levy (il y a un gag caché dans la phrase) il semble difficile d’envisager faire fortune en sortant un livre. Le livre est un vecteur de notoriété, de visibilité. Pour ce qui est du piratage, si quelqu’un a suffisamment de temps à perdre pour scanner les 250 pages des Miscellanées, notre éditeur ne sera pas ravi. Si quelqu’un fait des emprunts et tant qu’il cite ses sources, pas de souci.
En sortant un livre papier, j’accomplis un vieux rêve, tout en étant conscient du changement d’époque dans lequel nous sommes. Nous n’avons pas encore atteint le « tipping point », le point de basculement vers le 100% numérique, mais nous nous en rapprochons.
Dans la rubrique « Bonjour ! », vous avez réussi à placer « Hitler » et « sodomie » dans la même phrase. C’était un défi que vous vous étiez lancé ? :p
Aucun défi, sinon une totale liberté de ton pour parler aussi bien de sexe, de politique, que de religion, de chats, ou de technologie…
Quand vous parlez de la bulle des années 2000, du tout-facile côté entrepreunariat et des vieux modems, on sent une solide nostalgie. Est-ce le cas ?
Aucune nostalgie, plutôt un regard amusé. En 1997, quand j’ai eu ma première adresse mail, je n’avais que très peu de gens dans mon entourage familial à qui envoyer des messages par ce canal… Alors quand on en trouvait un, on lui envoyait un mail. Et on passait un coup de fil pour être sûr qu’il l’avait reçu… En plus, dès qu’il y avait deux images sur une page web, le truc ramait et on attendait des heures… L’horreur ! Donc, pas de nostalgie du tout !!!
Votre livre est très documenté. Avez-vous réellement regardé tous les documents que vous nous proposez, comme les différentes sextapes, l’intégralité de YouPorn, 2 Girls 1 Cup, Amandine du 38, Jean-Pierre du 59, etc ?
OUI, on a fait un facts checking de folie. Nico et moi avons le sens inné de l’investigation et du travail bien fait.
Page 50, un mot so XXème siècle fait son apparition : « vidéoclub ». WTF ??
OMFG ! On a été trollés !!!
Vous qualifiez les « Kikoo Lol » de « gamines peu sûres d’elles ». Euh… comment dire. JE M’INSURGE. Un Kikoo Lol est autant un garçon qu’une fille ; qu’est-ce que c’est que cette misogynie primaire, dites donc ??
Ma fille n°3, qui a 12 ans, m’a fait la même remarque hier… On va avoir des ennuis, je le sens. Déjà que Nico est fâché avec toutes les blogueuses mode….
Pour expliquer ce que veut dire « IRL », vous donnez un exemple : « J’ai rencontré @machin IRL. Il est plus drôle sur Twitter. » (p. 93) JE VEUX DES NOMS.
Nico Prat par exemple. Et je pense qu’il dira la même chose de moi. IRL, je suis hyper chiant, du moins c’est ce que me disent mes enfants…
Avez-vous été censuré sur des sujets, ou au contraire vous en a-t-on imposé d’autres ?
Aucune censure, sinon le souhait de l’éditeur que le logo Youporn ne soit pas sur la couverture… Juste quelques adoucissements ça et là, dans le choix des mots… Jean-Louis, l’éditeur, et Gilles, le directeur de collection nous ont laissé carte blanche. Bonheur, quoi.
Antoine Dubuquoy ne peut pas être foncièrement mauvais puisqu’il est amateur de madeleines longues aux oeufs frais, qu’il a un blog et même un compte Twitter.