Si vous avez vu mon CV-vidéo, alors vous avez pu y remarquer quelques passages chantés… Je me suis dit que ce serait quand même plus sympa de vous en montrer l’intégralité !
Voici donc « Ma sorcière mal-aimée », chanson tirée de la comédie musicale « Créatures » écrite par Alexandre Bonstein et composée par Lee Maddeford. Cette interprétation est le fruit de mon travail à l’ECM 3 Arts : je l’ai présentée aux évaluations de fin de semestre en décembre 2005.
Rares sont les personnes dont je tombe folle amoureuse professionnellement parlant. Alexandre Bonstein fait partie de celles-là. Je resterai toujours béate d’admiration devant son génie artistique (et un peu jalouse aussi, huhu) et si je vous dis ça, c’est par honnêteté vis-à-vis de vous : ma critique de son dernier spectacle sera encore plus subjective qu’une critique digne de ce nom. Ceci étant précisé, je vais tout de même essayer d’être constructive.
« Chienne » est une comédie musicale dont le postulat de départ est simple : un caniche femelle, lauréate d’un prix de beauté pour chien, est attaché à un arbre dans la rue en attendant que son maître, parti faire quelques courses, revienne. Que se passe-t-il dans la tête d’un toutou pendant ces moments-là ?…
Et c’est là que la folie douce d’Alexandre Bonstein intervient. La chanson d’ouverture résume mieux que soixante critiques l’esprit du spectacle. Un extrait du texte, parce que c’est vous, et je vous laisse apprécier cet hymne en intégralité ci-dessous : « Le Poil est fait pour la caresse, pour qu’on y perde avec ivresse ses griffes dans sa jungle épaisse, le Poil mérite qu’on le connaisse… »
LE POIL (Alexandre Bonstein) – Interprète : Isabelle Ferron
Voilà voilà voilà. Du grand Alexandre Bonstein, vous dis-je. (Pour les plus observateurs d’entre vous, vous l’aurez reconnu dans la vidéo, déguisé en animal, à côté du pianiste Patrick Laviosa pour les choeurs.)
Mais attention, ceci n’est pas un extrait du spectacle. Il faut, bien entendu, s’imaginer Isabelle Ferron costumée en caniche. Ce qui donne ceci :
Isabelle Ferron (Lady Capulet dans le Roméo et Juliette de Gérard Presgurvic, notamment) campe donc cette « fifille » tour à tour angoissée, frétillante, orgueilleuse, philosophe et canico-sociologue (oui, je l’invente). Elle nous livre un grand numéro de comédienne, avec une palette de couleurs qui va de l’adolescente débile à la reine de beauté vieillissante, en passant par la coquine et la diva. Elle réussit à nous faire piquer des fous rires incontrôlables, pour, l’instant d’après, nous raidir sur notre siège et nous faire dresser les… poils. Sa voix est impeccablement maîtrisée sur le plan technique, et la qualité du texte lui permet de s’amuser dans les divers registres qui lui sont offert.
Cela dit, on peut regretter que la mise en scène d’Alexandre Bonstein ne l’autorise pas à se déplacer plus souvent : certes, elle joue le rôle d’une chienne attachée à un arbre mais la convention théâtrale pourrait très bien la dispenser de laisse. On a l’impression qu’elle est frustrée d’être aussi peu mobile dans l’espace – et si la frustration peut se concevoir pour le personnage, c’est plus dommage quand on la ressent de la chanteuse-comédienne. Le public préfèrerait aussi la voir gambader comme on le lui autorise dans de trop rares numéros « libérés ».
Mais elle n’est pas seule sur scène. Deux musiciens à l’air joyeusement cabot (Jérôme Lifszyc et Thomas Suire) l’accompagnent, tour à tour aux instruments (dont quelques-uns étranges, j’irai me renseigner pour vous), aux accessoires, au décor, à la réplique qui fait wouche ou aux choeurs admirablement déjantés. Ils ont l’air bête, ils ont des visages de toons et on voudrait qu’ils interagissent un peu plus souvent.
Derrière la légèreté du propos de départ, Alexandre Bonstein réussit tout de même l’exploit de rendre intéressant et scientifique une étude sociologique poussée sur le pipi et les étrons canins (il faut aller le voir pour le croire), et fait passer une critique assez caustique des petits travers de notre société contemporaine. Que ce soit à travers des jeux de lumière, des accessoires loufoques, ou des gestuelles ridicules empruntées aux pseudo-chanteurs de télé-réalité, il dénonce avec humour (et en vrac) la tendance des jeunes voix françaises aux vibes à outrance, la dictature de la minceur, l’hypocrisie des pseudos sur les sites de rencontre, et la variété française bas de gamme.
Finalement, cette chienne amoureuse de son maître s’avère très perspicace dans son analyse de la société humaine, et son oeil extérieur décomplexé nous renvoit à notre volonté désespéré de plaire. Et tout ça avec un fou rire toutes les deux minutes.
Parce qu’Alexandre Bonstein, c’est ça : entre Tex Avery et les Monthy Python, des situations imaginées par un esprit rétrogradé au stade anal sans pour autant s’être départi d’un oeil tendrement critique, et des textes ciselés entre vraie poésie et fausse légèreté. Le tout servi par une comédienne survoltée et deux musiciens sortis tout droit d’une bande-dessinée.
« Chienne », ça ferait glousser Droopy, ça illuminerait l’oeil de Rantanplan, ça donnerait du caractère à Milou, et c’est surtout drôle, intelligent et visuellement et musicalement riche pour nous autres humains.
Bref… toutou pour plaire !
Et je vais pas faire ma chienne, voici un autre extrait du spectacle. « Naturelle comme le soleil, comme les chevaux, comme les produits qu’on appelle bio ». (Attention, RISQUE DE DEPENDANCE AUX CHANSONS PRESENTEES DANS CET ARTICLE.)
En fait, Alexandre Bonstein, il est déprimant (c’est la jalouse en moi qui parle). Non seulement c’est un génie de la scène française (je fais régulièrement des crises de manque de Créatures), mais en plus ses spectacles sont comme du bon vin (pour ceux qui me connaissent, partez du principe que j’aime ça, hein) : ils s’améliorent toujours avec le temps. Et finalement, c’est à ça qu’on reconnaît un spectacle vivant de qualité : il n’est pas figé, il évolue, il trouve d’autres choses, il n’arrive jamais à maturité tout en restant au sommet de son art.
Merci, Alexandre. Et avoir travaillé avec toi reste ma plus grande fierté et mon plus grand honneur d’artiste.
Je suis intimement convaincue que tu deviendras culte…
(Chers lecteurs, faites-moi penser quand je l’interviewerai à lui demander ce qu’il a exactement contre Pina Bausch et contre les gnous. Et contre les labradors.)
Faites pas vos cabots, c’est au Vingtième Théâtre du mercredi au samedi à 20 heures (y a un spectacle après, donc attention, ça commence à 20 heures pétantes !!). Plein tarif 24€, seniors et habitants du XXème 19€, étudiants 12€. Location 01 43 66 01 13.