Les outils de promotion de l’art contemporain français à l’international
La Force de l’Art 02 s’est achevée il y a quelques mois, le succès escompté n’étant pas au rendez-vous. Dans un contexte difficile, il nous a semblé important de nous interroger sur l’état des structures et des soutiens dont disposent les artistes contemporains en France.
Les outils mis en place par les initiatives publiques et privées pour soutenir et promouvoir l’art contemporain français sur la scène internationale sont-ils pertinents ?
En 2001, le rapport Quémin intitulé « Le rôle des pays prescripteurs sur le marché et dans le monde de l’art contemporain » est sorti. Ce document, destiné au Ministère des Affaires Etrangères, stigmatise « le lent effacement de l’art français sur la scène mondiale ». A partir d’une analyse comparative, l’auteur, le sociologue Alain Quémin, pointe la défection des artistes français contemporains dans les collections publiques, dans les grandes institutions culturelles de portée internationale, dans le Kunst Kompass (classement réputationnel des artistes faisant référence), dans les foires et les biennales, et enfin sur le marché international des ventes aux enchères.
Alors que l’Angleterre s’est dotée du Prix Turner dès les années 80 ou que les Etats-Unis, « patriotiques, suivent leurs artistes » depuis les années 50, « La France a du mal à défendre ses ouailles, contrairement à d’autres pays bien plus protecteurs ».
Excepté le Centre national des arts plastiques (CNAP), organisme public chargé de soutenir et de promouvoir la création contemporaine avec un budget minime (1,269 millions d’euros), la France ne s’est pas dotée d’outil de promotion de son art national avant 2006, date de création de la première triennale d’art contemporain français sous l’égide du Ministère de la Culture : La Force de l’Art. Conçue comme une vitrine de la scène française, la Force de l’Art est-elle une initiative pertinente ?
La Force de l’Art : pertinence et étude comparée des deux éditions
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Force de l’Art 1
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Force de l’Art 2
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COÛT
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Ministère de la Culture |
3,88 M €
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NC
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Subventions de l’Etat |
2,5 M €
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NC
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Mécénat |
675 000 €
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NC
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Total |
7,05 M €
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NC
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PRIX ENTREE
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Tarif plein |
7 € (pour 2 visites)
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6 €
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Tarif réduit |
5 € (pour 2 visites)
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4 €
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Gratuit |
moins de 18 ans
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moins de 13 ans
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COMMISSAIRES
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15
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3
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EXPOSANTS
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Exposition principale |
200
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39
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Avec annexes |
pas d’annexe
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6
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VISITEURS
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Exposition principale |
80 000
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67 286
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Avec annexes |
pas d’annexe
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107 000
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La première édition, sous l’impulsion du Premier Ministre Dominique de Villepin, a attiré un nombre honorable de visiteurs (environ 80 000). Quinze commissaires et plus de 200 artistes participants ont donné un aperçu relativement complet « des trente dernières années de l’art en France », commente Gilles Fuchs, président de l’Association pour la Diffusion Internationale de l’Art Français (ADIAF).
Ce dernier a d’ailleurs eu plutôt l’impression d’un « déballage » tandis que la seconde édition, sous l’égide de Christine Albanel, Ministre de la Culture, lui parut plus intéressante, car plus anglée. La Force de l’Art 02 montrait « le point de vue de trois commissaires. Les œuvres furent bien mises en valeur ».
Si une majorité d’artistes louent l’initiative, nombreux sont ceux qui critiquent sa mise en application. Pour la seconde édition, les trois commissaires de La Force de l’Art (Jean-Louis Froment, Jean-Yves Jouannais et Didier Ottinger) ont fait appel à Philippe Rahm, architecte, pour concevoir l’espace d’exposition. La « géologie blanche » figure une « banquise » de box blancs dont les parois sont repoussées, déformées par les œuvres et leurs volumes.
Frédérique Loutz associe cette architecture à une forme de cynisme, une « banquise avec ses artistes-ours en péril ». L’artiste désapprouve un espace qui, contrairement à la visée du projet, ne s’adapte pas à ses pièces : son papier peint a dû être découpé pour pouvoir se conformer aux dimensions de la « géologie blanche ». « Seules les pièces surdimensionnées ont pu résister à l’emprise de la scénographie sur les œuvres présentées. En outre, chaque pièce étant isolée, le dialogue peine à s’établir », regrette-t-elle. « Toute la communication s’est faite autour de la superbe et généreuse idée de l’architecte. Le lien entre les œuvres et les pratiques a été écarté, n’en reste qu’une sensation de cacophonie un peu stérile […] chaque artiste est parqué dans son petit bungalow dans ce village polaire ». Elle déplore que cette manifestation soit loin d’avoir été « une aventure humaine ». L’ambiance est à l’aune de la froideur de la « géologie blanche » : « un des trois commissaires n’a pas eu la politesse de me saluer », et l’a fait se sentir « seule, démunie et éprouvée ».
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Force de l’Art 1
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Force de l’Art 2
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Ministre en charge du projet
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Dominique de Villepin
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Christine Albanel
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Date
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10 mai – 25 juin 2006 (41 jours)
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24 avril – 1er juin 2009 (36 jours)
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Lieu
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Nef du Grand Palais
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Nef du Grand Palais
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Annexes
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pas d’annexe
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Musée du Louvre
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Tour Eiffel
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Palais de la Découverte
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Musée Grévin
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Eglise Saint-Eustache
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Espace dédiés aux prix
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Prix Marcel Duchamp
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pas d’espace dédié aux prix
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Prix Ricard
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Cependant, elle se dit reconnaissante d’avoir bénéficié d’une bourse du CNAP et d’une résidence à Rome. Elle reconnaît que La Force de l’Art 02 fut bénéfique pour elle, lui assurant une visibilité certaine. Néanmoins, six mois après la manifestation, elle n’a toujours eu aucune proposition d’exposition…
Fayçal Baghriche estime que cette édition fut surtout bénéfique aux jeunes artistes, lui y compris. Dans la mesure où très peu de pièces furent créées pour l’évènement, il s’agit pour les artistes plus reconnus « d’une manifestation de plus à leur actif, mais qui n’apporte pas grand-chose à leur travail ». En tant que commissaire, il estime que le nombre d’artistes exposés est assez juste. Fayçal Baghriche reconnaît que des efforts sont faits du côté du Ministère de la Culture et de la Communication mais qu’il est également avéré que des subventions ont diminué et que certains lieux ferment. Mais, dit-il, on ne peut pas « attendre d’un ministère de droite de mener une politique culturelle de gauche ». Enfin, cet artiste rejoint Frédérique Loutz : « Certaines œuvres étaient mal accrochées, notamment celles d’Anita Molinero ou de Michel Blazy ». Toutefois, il reconnaît que l’importance et les contraintes de l’évènement nécessitent « négociations et concessions » autant du côté des commissaires que du côté des artistes. Philippe Mayaux, également, regrette que ses peintures exposées à l’extérieur du cubicle (« box » alloué à chaque artiste) cachent celles exposées à l’intérieur…
Quid des femmes ?
Fayçal Baghriche évoque également un problème récurrent : la sous-représentation des femmes à La Force de l’Art, problème symptomatique des expositions françaises en général. Même si Fayçal Baghriche n’est pas « pour la parité dans les expositions ; on choisit de montrer des travaux selon leur pertinence et non selon le sexe de l’auteur », il estime tout de même que « des oublis aussi manifestes ne peuvent être assimilés qu’à du dédain ». Gilles Fuchs est lui aussi partagé sur cette question : « On fait attention à la présence de femmes mais ce n’est pas un critère déterminant. Si on n’avait que des Louise Bourgeois dans notre sélection, on n’aurait que des Louise Bourgeois. Les personnes sélectionnées sont artistes avant d’être femmes. Il est vrai que les artistes promus par les galeries sont en majorité des hommes… Sur neuf prix, nous avons trois femmes. Dans nos jurys, nous avons autant de femmes que d’hommes. En art, il n’est pas essentiel de distinguer les deux genres : si vous lisez un bon roman, il n’est pas nécessaire de savoir si c’est un homme ou si c’est une femme qui l’a écrit. Ce n’est pas vital au niveau de l’organisation de la société. Si vous demandez à Annette Messager si elle est une artiste femme, elle vous griffera et vous dira : je suis UN artiste ».
Ce problème, bien loin d’être anecdotique, mobilise : des groupes militants se forment, notamment sur Facebook. En effet, un groupe intitulé « La faiblesse de la Force de l’Art » a été créé en écho à la lettre ouverte écrite par Isabelle Alfonsi (galeriste et critique d’art), Claire Moulène (journaliste et commissaire d’exposition indépendante), Lili Reynaud-Dewar (artiste et enseignante à l’Ecole des Beaux-Arts de Bordeaux), et Elisabeth Wetterwald (critique d’art et enseignante à l’Ecole des Beaux-Arts de Clermont-Ferrand). Cette lettre vise à dénoncer la faible représentation des femmes, notamment à la Force de l’Art, qui ne comptaient que pour 16% des effectifs alors que « 60% des artistes diplômés des écoles des Beaux-Arts en France sont des femmes. »
Philippe Comtesse, le créateur du groupe, explique : « Cet appel est bien plus large que celui de « La Force de l’Art » qui n’est qu’un symptôme de ce qui se passe dans l’art et la représentation des femmes dans les collections, événements, expositions. Pour ce qui est de mon engagement dans cette histoire, je suis sympathisant féministe. Suite à cet appel, j’ai boycotté l’événement. » Il ne semble pas être le seul concerné. Jihane El Meddeb, auteure et cinéaste présente au vernissage des deux éditions, a déclaré : « J’ai d’ailleurs eu une conversation avec Orlan à ce sujet. J’avais entamé une action relevant le pourcentage de femmes représentées lors de ces expositions alors que je ne suis pas « féministe » pour un sou… » Et Polina, une amatrice d’art contemporain qui ne se sent pas non plus particulièrement proche d’un quelconque mouvement féministe, avoue : « Oui, les artistes femmes ne sont pas assez représentées, mais ce n’est pas spécifique à la Force de l’Art, c’est tout le milieu de l’art en général. »
Outre le manque de femmes, il y a un problème de représentativité au niveau du territoire puisque le commissariat trahit un certain parisianisme.
Monumenta, l’autre cheval de bataille du Ministère de la Culture
Monumenta est une manifestation créée dans le but de « montrer l’art contemporain au public le plus large grâce à l’attractivité du bâtiment et à la possibilité de créer un projet d’amplitude en ce lieu. Le deuxième objectif est de montrer la vitalité de la scène française à l’international ». Quand on s’étonne de ce qu’Anselm Kiefer et Richard Serra, les deux artistes précédents de Monumenta, ne sont pourtant pas Français, Catherine Grenier répond : « Anselm Kiefer vit en France depuis plus de quinze ans, c’était important de montrer qu’un artiste international a choisi de vivre en France. Il est important d’avoir des artistes internationaux car, en plus d’affirmer la créativité française, le but est de montrer que Paris compte sur la carte internationale ». La presse étrangère est très demandeuse d’interviews de Christian Boltanski, l’artiste exposé de Monumenta 2010 (en cours), plus que la presse française qui l’a couvert quand même très largement, des revues spécialisés aux journaux généralistes. Quant aux subventions allouées à l’évènement, elles viennent pour un tiers de l’Etat, un tiers du mécénat, et le tiers restant dépendant de la billetterie.
Gilles Fuchs rappelle à quel point ces initiatives sont capitales pour la visibilité de l’art français… et pour son existence tout court : « La Force de l’Art et Monumenta sont essentiels. C’est ce pour quoi nous nous sommes battus, pour montrer qu’un art français existe. Tout le monde parle d’art chinois, indien, islamique, américain, russe, etc. Pourquoi n’y aurait-il pas un art français ? Si le créateur d’Abidjan faisait la même chose qu’un artiste du 7ème arrondissement de Paris, quel ennui ! Des personnes comme Olivier Kaeppelin ou des organismes comme le Prix Ricard ou l’ADIAF ont beaucoup œuvré en ce sens. Maintenant on ne rit plus lorsqu’on parle d’art français même si la spéculation va moins vite en France qu’ailleurs. Le principe est de montrer un point de vue français ».
Les initiatives privées : le Prix Marcel Duchamp et le Prix Ricard
Créé en 1994, l’ADIAF est un organisme privé de mécénat culturel fondé par Catherine Millet, Daniel Abadie, Daniel Templon et Gilles Fuchs ayant pour but de faire connaître à l’international la scène contemporaine française. En 2000, ce regroupement de collectionneurs se dote du Prix Marcel Duchamp, prix prestigieux récompensant le travail d’un artiste contemporain français ou vivant en France.
L’artiste primé reçoit une dotation financière de 35 000 euros et est exposé au Centre Pompidou qui éditera un catalogue.
Le rapport Quémin met en exergue la nécessité pour les artistes français d’être intégrés dans les collections permanentes. Or, l’obtention du Prix Ricard permet justement aux artistes d’entrer dans les collections permanentes du Centre Pompidou. Le Prix Marcel Duchamp affiche-t-il, lui aussi, une volonté de suivre les conseils du rapport Quémin et de pérenniser les œuvres des artistes primés ?
« Nous sommes suivis par le Centre Pompidou : ce dernier possède déjà les artistes que nous primons et, si ce n’est pas le cas, les achète. Sur les quarante-trois nominés de cette année, le Centre Pompidou a dans ses collections permanentes trente-sept d’entre eux. Depuis la création du Prix Marcel Duchamp, le Centre Pompidou a acquis une cinquantaine d’oeuvres des artistes que nous avons sélectionnés. C’est une réelle chance pour les artistes car le Centre Pompidou accueille quelque 70 000 visiteurs. La question des expositions temporaires ou permanentes est difficile. En effet, si un musée qui se veut dynamique est obligé de montrer ce qui se passe actuellement, son but premier est de conserver, d’acquérir, d’organiser ses collections permanentes. Bien sûr, on a envie d’avoir l’avis du Centre Pompidou sur l’actuelle mais il y a aussi d’autres endroits pour le faire ».
Les deux prix n’entretiennent pas des rapports concurrentiels. En effet, la sélection du Prix Marcel Duchamp consacre des artistes d’une quarantaine d’années, ayant déjà une certaine visibilité sur la scène internationale, tandis que le Prix Ricard récompense des artistes émergents. « Le Prix Ricard et nous », explique Gilles Fuchs, « avons un fonctionnement différent : ils élisent des artistes plus jeunes que nous et ont un mode de sélection différent. Les membres collectionneurs votent mais c’est au conservateur qu’appartient la décision finale. Comme il n’y a que des collectionneurs, le choix est moins aisé. Notre jury est composé de professionnels qui connaissent les œuvres. C’est un jury international composé de sept personnes qui choisit le lauréat. Les membres fixes sont madame Matisse, à qui appartiennent les droits des œuvres de Marcel Duchamp, le directeur du Musée national d’art moderne Alfred Pacquement et le président de l’ADIAF, c’est-à-dire moi-même. A cela il faut ajouter deux collectionneurs et deux conservateurs, tous d’envergure. Le jury est à moitié composé d’étrangers afin d’éviter un choix hexagonal et le diktat des institutions françaises ».
De la nécessité des institutions…
« Bien que conscient de représenter une identité particulière à travers mon activité d’artiste,je ne crois pas au concept de promotion d’un art national à l’international ». Saâdane Afif est lauréat du Prix Marcel Duchamp 2009, prix attribué par l’ADIAF « initiative pour contribuer au rayonnement de la scène française sur le marché mondial». Cependant, cet artiste contemporain ne désire pas s’exprimer sur la question des institutions, question selon lui « dépassée, que l’on pose depuis dix, quinze ans ».
La volonté pour un artiste de ne pas être institutionnalisé semble compréhensible.
Y a-t-il une visibilité possible des artistes en dehors des institutions ?
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