[PERSO] Le succès, YouTube, le sexisme et moi

Hier matin, j’ai tweeté, à la fois blasée et fatiguée, la capture d’écran d’un commentaire sexiste. J’avais juste envie de râler, de témoigner de ce qu’une femme qui s’expose sur Internet peut recevoir, encore, en 2016.

J’ai enchainé sur quelques tweets expliquant que ces commentaires sexistes incessants m’empoisonnent, me touchent, m’angoissent, et j’ai fait référence à un débat qui a eu lieu il n’y a pas longtemps sur la question du sexisme dans le succès modéré des youtubeuses scientifiques en France (par rapport à leurs homologues masculins).

 

 

Malgré moi, j’ai rouvert ce débat. Comme j’ai à nouveau besoin des services de la SNCF et que DONC mon TGV est annulé, mais remplacé, mais on sait pas quand, j’en profite pour exposer mon point de vue et mon histoire en plus de 140 caractères.  

Du CV-court-métrage à « La folle histoire de l’Univers »

Ma première vidéo date de novembre 2009. Dire si je suis une ancienne sur les Internets, même si ça n’avait rien à voir avec les sciences (pour les plus observateurs d’entre vous, vous noterez quand même qu’Étienne Klein était déjà là…)

 

 

C’était un CV-court-métrage et le succès qu’il a remporté, à la fois en ligne et dans les médias, m’avait déjà confronté aux commentaires sexistes, de la simple « blague » vaseuse aux menaces de viol et de mort.

 

Deux ans plus tard, ce CV-vidéo m’a permis d’être embauchée par StoryCircus où ma formation de comédienne, mes compétences d’auteure et mon aisance sur les réseaux sociaux ont fait de moi la personne idéale pour intégrer l’équipe d’une émission dingue : Le Grand Webze.

 

Le projet était trop ambitieux, l’émission n’a pas survécu à son quatrième numéro. Coup dur. Il fallait que je pense à autre chose.

 

J’ai alors fait mon « coming-out » scientifique sur mon blog en partageant un projet un peu fou que je venais de créer : l’Univers en 30 comptes sur Twitter. J’étais passionnée de sciences, je ne l’avais jamais dit, et je trouvais l’outil Twitter intéressant à plus d’un titre. Je n’ai pas seulement créé tous ces comptes, j’ai aussi créé à chacun une fiche personnage avec des traits de caractère, des qualités, des défauts. À chaque fois que je prends les rênes d’un compte, c’est un personnage que j’interprète : un mélange de comédie virtuelle et de travail d’auteur.

 

L’accueil reçu a dépassé mes espérances. J’ai voulu aller plus loin, proposer autre chose, toujours lié au spatial et aux sciences de l’Univers – d’autant plus que ce que j’aurais voulu voir dans les médias n’existait nulle part. J’ai développé des concepts de vidéos de vulgarisation de tous types : des programmes courts, du moyen format, des projets plus longs.

 

Au sein de la même prod, j’avais enchaîné sur le Vinvinteur et je voulais profiter d’avoir un pied à France 5 pour essayer de vendre au moins un des concepts. J’ai monté des dossiers, aiguisé mes arguments, été aidée, entourée et soutenue par des producteurs. Il y a eu plusieurs années de démarchage – en vain.

 

Je savais que ça serait long et j’avais quand même envie de proposer des contenus – en attendant. Il était hors de question que je mette en place un ersatz des concepts que j’essayais de vendre, il fallait donc que j’en trouve un autre.

 

C’est comme ça qu’est née « La folle histoire de l’Univers« . Le programme se présente sous la forme d’une vidéo, constituée d’une voix-off sur des images d’illustrations, divisé en 8 rubriques (toujours les mêmes) dans lesquelles se distribuent l’actualité du spatial et des sciences de l’Univers et des sujets non-datés. Les rubriques « personnalité » et « date » servent souvent à présenter un personnage historique, une théorie dont c’est l’anniversaire, l’histoire d’une découverte, etc.

 

Donc, Bruce, quand tu dis ce genre de chose, non seulement sur Twitter mais dans toutes tes interviews dans les médias, oui, ça m’énerve.

 

 

J’explique la relativité restreinte, l’histoire de Pluton, la vie et la mort des étoiles, ou l’intrication quantique sur Youtube depuis 2012. Donc depuis 4 ans. Et voir son travail balayé d’un revers de la main, ce n’est pas très agréable.

 

Un ami, Vincent Touati, m’a conseillé de mettre mon programme également sur iTunes. Je n’aurais jamais pu le faire sans son aide technique, j’en profite pour le remercier une fois encore. Il s’est vite avéré que les téléchargements iTunes étaient 100 fois, voire 1000 fois, plus importants que les vues sur Youtube – d’où le fait que j’en parle comme d’un podcast.

 

 

Encore faux : j’ai voulu continuer à le mettre en ligne sur Youtube – d’où la limite à 15 minutes maximum par vidéo : lors de la première saison, mon compte ne me permettait pas de mettre en ligne des contenus plus longs. J’aurais pu m’éviter cette limite en me retirant de Youtube, mais je ne voulais pas.

Le format de « La folle histoire de l’Univers » m’était dicté par deux contraintes. La première était technique et financière : je n’avais pas les moyens de m’acheter caméra, son, lumière, logiciel de montage, etc – je ne pouvais donc pas me filmer, d’où la voix-off.

La deuxième était personnelle et sociétale : je n’étais pas prête à devoir faire face, à nouveau, à la logorrhée sexiste des commentaires qui m’avait déjà bien retournée à l’époque du CV-vidéo. D’où la voix-off.

Le harcèlement extrêmement violent dont j’ai été victime lors de l’épisode du Vinvinteur sur le sexisme dans les jeux vidéo m’a convaincu que la voix-off sur « La folle histoire de l’Univers », C’ÉTAIT UNE BONNE IDÉE.

Ma chaîne Youtube comme un laboratoire

J’ai donc échoué à vendre des concepts de vulgarisation scientifique à des chaînes de télévision. Mais le besoin d’aller plus loin que « La folle histoire de l’Univers » était de plus en plus présent, et l’envie de me mettre en scène, de jouer une comédie moins virtuelle que sur Twitter était de plus en plus forte.

Mais j’avais toujours aussi peu de moyens financiers et j’étais bien traumatisée par les différentes sortes de harcèlement dont j’ai été victime (s’il n’y avait eu que celui du Vinvinteur, ç’aurait été trop facile…) Il fallait également que je réécrive les concepts que j’avais essayé de vendre de manière à pouvoir les produire toute seule.

J’ai donc mis du temps. C’est la raison pour laquelle j’ai commencé à faire des vidéos « classiques » tardivement. C’était en décembre 2014 et j’ai commencé avec les « Perles du PAF » – concept que je n’avais pas proposé aux chaînes de télévision, bizarrement, mais qui était une sorte de pied à l’étrier, et de manière pour moi de régler ma déception de n’avoir pas pu pouvoir faire quelque chose dans ce média-là.

Bien sûr, les commentaires sexistes ont été là tout de suite – j’en ai d’ailleurs toujours eu sur « La folle histoire de l’Univers », mais c’était anecdotique puisque (c’est comme ça que je l’explique) je n’exposais pas mon image. Mais contrairement à ce que j’avais pu subir, c’était supportable. J’ai donc continué.

J’ai continué, en testant à la fois des formes d’écriture, des techniques de montage, des rythmes, des décors, des personnages. Je vois ma chaîne Youtube comme un laboratoire où je teste des trucs – comme une gigantesque expérience. Je garde, j’affine, j’abandonne, je modifie, je tiens compte des retours, ou pas ; bref… Je ne m’interdis rien. Je fais surtout des choses qui me tiennent à cœur – même si c’est pas toujours au point techniquement parce que je ne suis pas réal, ni chef op, ni ingé son, ni monteuse, ni graphiste, ni… etc.

Mon auto-critique

Je connais mes limites. J’ai conscience des nombreux défauts de ma chaîne Youtube.

Je n’ai pas d’identité visuelle bien définie par exemple : pas vraiment de logo, pas de générique qui soit partout le même, pas de cartons tout faits.

Je fais des listes pour les différents concepts que je teste mais je multiplie les listes et pas les vidéos à l’intérieur de ces listes – ce qui peut donner l’impression que je m’éparpille, que je n’ai pas deux ou trois concepts forts à retrouver à intervalles réguliers.

Il y a des vidéos où j’ai besoin d’autres personnages que moi-même pour faire avancer le schmilblick – et d’autres non.

Il y a « La folle histoire de l’Univers » qui est un exercice qui se rapproche plus du journalisme, avec des reportages, des interviews ; et les autres vidéos qui s’approchent plus de ce qu’on attend d’un youtubeur. Ça peut déstabiliser un internaute qui ne saurait pas trop à quoi s’attendre de cette chaîne multifonction. J’aurais sans doute dû dédier une chaîne au podcast, et en ouvrir une deuxième pour les vidéos.

Au-delà du fond, il y a aussi la forme : je suis seule, de A à Z, pour écrire, tourner, monter, promouvoir. Je viens de la télé, je sais ce que c’est que de produire du contenu audiovisuel – et croyez bien que ça implique des dizaines de corps de métier différents. Je suis seule, avec des moyens financiers limités et des compétences techniques au ras des pâquerettes parce que j’apprends sur le tas – et toute seule, encore une fois.

Alors non, ma chaîne ne peut pas avoir le succès d’un DirtyBiology qui a des moyens techniques et de post-prod que je n’ai pas. Ni celui d’un e-penser dont l’identité visuelle est irréprochable et qui a des formats bien définis. Ni celui d’un Axolot qui a un talent de conteur incroyable, qui n’est pas tout seul et qui a accès à des endroits dingues. Ni… Et je pourrais continuer longtemps comme ça.

Le sexisme et les youtubeuses scientifiques

Bruce m’accuse de me plaindre que ma chaîne ne décolle pas parce que je suis une femme.

C’EST FAUX, je n’ai jamais dit ça – pas plus aujourd’hui que les autres jours : je parle des youtubeuses scientifiques en général, pas de mon cas personnel.

 

Mais c’est sûr que quand on me demande d’argumenter, je parle du cas que je connais le mieux : le mien. Ça peut donner l’impression que je prends mon cas pour une généralité, mais vraiment pas, non. Seulement, en 140 caractères, c’est pas simple d’expliquer ça. D’où le contresens de Bruce – que je ne blâme pas pour ça.

Je connais les raisons qui font que ma chaîne ne « décolle » pas malgré mon ancienneté, le sérieux avec lequel je travaille, le temps que j’y passe et la passion que j’y mets. J’en ai décrit quelques-unes ci-dessus, je ne vais pas y revenir.

NÉANMOINS.
Néanmoins le sexisme de notre société ne doit pas être minimisé dans le fait que – comme c’est étrange – aucun des poids lourds de la vulgarisation scientifique sur le Youtube français n’est une femme.

Bien entendu que le fait d’être une femme, en sciences, sur Youtube, en France, joue en notre défaveur !

Ce n’est évidemment pas la seule raison de nos succès mitigés. Mais c’en est une, qu’il ne faut pas minimiser (oui, j’insiste).
Et je ne l’ai pas inventé : les débats que nous avons eus, avec statistiques, témoignages, et captures d’écran de commentaires des youtubeuses parlent d’eux-mêmes.

Il y a un problème de sexisme. C’est évident.
Il faudrait une étude sociologique sur ce sujet. Il est bien plus complexe, bien plus insidieux que : « On prend pas au sérieux/on n’est pas habitué aux filles qui parlent de sciences ».
C’est la société, c’est l’éducation, ce sont les stéréotypes qu’on a tous – moi la première – intégrés et contre lesquels il est difficile de lutter tellement ils sont ancrés en nous, c’est un millier de facteurs qui font que le sexisme est un élément qui nous freine.

Et quand on partage nos expériences et nos commentaires, ce serait pas mal que les hommes évitent de reprendre tout ça à leur compte en se faisant passer pour les victimes qu’ils ne sont pas.

NON. Personne, Bruce, personne, JAMAIS, ne te demande de t’excuser d’être un homme. Non, jamais. Nulle part.
Nous par contre, en tant que femme, c’est tous les jours. Sur Youtube ou dans la vraie vie. Au bureau ou dans la rue.

Bien entendu que ton succès tient en partie au fait que tu es un homme !

Je suis certaine que tu n’as pas la naïveté de réellement croire le contraire. Ton succès tient en partie au fait que tu es un homme, tout comme avoir un meilleur salaire tient en partie au fait d’être un homme, tout comme avoir un poste à responsabilité tient en partie au fait d’être un homme, tout comme ne pas être victime de harcèlement de rue tient en partie au fait d’être un homme, tout comme être pris au sérieux dans un magasin de bricolage tient en partie au fait d’être un homme, tout comme être chirurgien plutôt qu’infirmière tient en partie au fait d’être un homme, etc, etc.

Mais quand on se plaint des violences sexistes, quand on dit qu’être une femme joue en notre défaveur, nous ne disons pas : « Excusez-vous d’être des hommes. »
NON.
Nous disons seulement : « Nous voudrions que ces violences sexistes et que cette discrimination cessent. » C’est très différent.
On n’attaque personne – encore moins nos camarades. On essaye juste de se défendre contre les abrutis qui sont trop nombreux.

Je persiste et signe : oui, le fait que les femmes aient moins de succès sur Youtube, en sciences, en France, EST lié à un problème de sexisme.
Pour répondre à Bruce qui pense que non, je n’ai rien d’autre à lui montrer qu’une comparaison du nombre d’abonnées des femmes et de ceux des hommes, ou que les commentaires sexistes qu’on se prend dans la gueule à longueur de journée et qui prouvent qu’on ne peut pas d’exposer quand on est une femme sans qu’on nous regarde comme un bout de viande – ce que nous racontons est donc souvent secondaire.

Je me suis rendue compte, moi-même, que quand je regarde une femme sur un écran, je regarde comment elle est présentée d’abord – alors que quand je regarde un homme, je commence par l’écouter, et ensuite je le regarde. C’est insidieux. C’est difficile à expliquer. C’est inconscient la plupart du temps. Mais c’est un fait.
Il n’y a pas d’étude qualitative, quantitative, sociologique sur le sujet. (En tout cas, pas à ma connaissance.)

Mais ça ne veut pas dire que ça n’existe pas, et Bruce (et ceux qui pensent comme lui, hein ! je prends juste Bruce comme exemple parce qu’il s’est exprimé sur la question hier, rien de personnel évidemment) peut bien penser le contraire, il n’a pas d’argument non plus. Dire qu’il y a du sexisme partout, pas seulement sur Youtube, ce n’est pas un argument.
Nous ramons dans ce domaine particulier, en partie parce que nous sommes des femmes. Et cette partie (qui ne fait pas tout ! on est d’accord) ne doit pas être minimisée. Ce serait pas mal de se sentir un peu soutenues – en tout cas pas enfoncées.

Que la culture scientifique gagne !

Je suis ravie du succès de Mickaël, Léo, Germain, David, Baptiste, Bruce, Sébastien. Ravie, revigorée, ragaillardie, parce que moi qui ai essayé d’amener les sciences à la télé (à ma toute, toute, toute petite échelle, hein), leur succès est la preuve que j’avais raison : il y a un public pour ça. J’étais juste un peu en avance et ces chaînes n’existaient pas à l’époque où j’ai constitué mes dossiers. Je manquais de chiffres d’audience pour convaincre. Mais peu importe, c’est de l’histoire ancienne.
Ce qui compte, c’est que la culture scientifique touche le plus grand nombre. Des centaines de milliers de personnes et des millions de vues, c’est bien plus que ce que la télévision aurait pu faire. Et c’est cool, putain.

Alors peu importe mon cas personnel. Evidemment que j’aimerais avoir plus d’abonnés. J’aimerais surtout, en fait, que la culture scientifique sur le web ne se prive pas des youtubeuses, pour élargir encore plus le public touché. Et pour atteindre un public féminin, sous-représenté aussi.

Je n’ouvre pas les commentaires pour ce billet parce que je n’ai pas le courage de modérer les horreurs sexistes qui vont immanquablement tomber. Désolée pour le débat, pour les échanges, pour les avis argumentés. Mais je suis trop fragile par rapport à toute cette violence en ce moment pour m’infliger ça.

Je voudrais remercier toutes les personnes qui me soutiennent sur Tipeee et qui me permettent de continuer à expérimenter. Comme je ne gagne pas du tout ma vie avec les vidéos et que ça prend un temps fou (ma vidéo sur les ondes gravitationnelles, juste pour donner un exemple, c’est 35 heures d’écriture), vous me permettez de dégager des journées pour continuer à en faire quand même. Je ne pourrais plus, sans vous.

Je remercie toutes les personnes qui écrivent des commentaires constructifs et qui m’envoient leurs encouragements. C’est ça qui me fait tenir quand j’en peux plus des abrutis.

Sachez enfin que je n’ai pas le nez sur mes compteurs. Ma chaîne est très importante pour moi pour ce qu’elle m’apporte en terme de partages, d’échanges, de créativité, de connaissances, de rencontres. J’y mets tout mon cœur, et ça n’a pas changé d’un iota entre 45 et 16 000 abonnés. Ce serait pareil à 3 millions.

Mais quand je mets mes tripes, six mois de mon temps et une énergie infinie à constituer un contenu comme « La folle histoire de l’Exoconférence« , pour la seule raison que je ne veux pas garder pour moi la chance inouïe de pouvoir côtoyer les personnes incroyables qui y participent, et qu’on me dit que j’ai forcément couché avec chacun des intervenants pour pouvoir parvenir à ce résultat, je sais que je devrais supprimer et oublier. Mais c’est humiliant. C’est profondément humiliant et c’est compliqué de vous parler de ce commentaire-là encore aujourd’hui, plusieurs mois après l’avoir reçu. Je le fais pour témoigner, pour dire que ces commentaires, même si on a l’habitude, même si on les subit au quotidien partout, ne sont jamais anodins et nous marquent. Et peuvent nous empêcher d’avancer, de continuer.

Je voudrais également arrêter de lire, en vrac :
– je te défoncerais bien ta chatte de Schrödinger
– tu t’épiles comment ?
– c’est étonnant qu’une femme s’intéresse à Etienne Klein
– on peut bien t’agresser sexuellement puisque tu voles nos emplois
– va te faire engrosser sur Mars sale chienne
– je te verrais bien à la fistinière
– tu suces ?
– t’es moche
– t’es bonne
Et je m’arrête là.

C’est un peu décousu, tout ça… Bref.

Voici des chaînes de vulgarisation scientifique, par ordre alphabétique. Des hommes, des femmes, on s’en fout. Ce qui compte, c’est que la culture scientifique soit partagée.

Merci à vous qui nous regardez.

Astronogeek
Axolot
C’est une autre histoire
DirtyBiology
e-penser
ExperimentBoy
Florence Porcel
La vie sur Vénus
Les Revues du Monde
Micmaths
Motorsport Gigantoraptor
Science étonnante
Scilabus
Sense of Wonder

(Je sais que j’en oublie. PLEIN. Ce n’est pas une liste exhaustive.)

 

ÉDIT DU 04/04/2016

Après la violence des réactions autour de ce billet, je souhaite apporter quelques précisions. Il me semble important également d’apporter une sélection de témoignages ou de commentaires qu’il faudra voir comme des arguments, comme quelques preuves de ce que j’avance.

À ceux qui m’accusent d’avoir fait ce billet pour « le buzz/me faire de la pub/faire mon auto-promo », je vous réponds que le jour où on mettra des cons sur orbite, vous n’aurez pas fini de tourner. Prévoyez un peu de carburant pour accélérer de temps en temps quand même, parce que sinon vous allez finir par vous cramer les fesses dans l’atmosphère. Eh oui, ça sert à savoir ça aussi, la vulgarisation. (De rien, pour le conseil.)

À ceux qui m’accusent de « mettre-mon-échec-sur-le-dos-du-sexisme-sans-me-remettre-en-question », je réponds que vous n’avez pas lu ce billet. Alors je répète, je reformule, je reprécise.
– Les trois-quarts du billet sont dédiés à expliquer mon parcours et les raisons pour lesquelles ma chaîne ne peut pas avoir des centaines de milliers d’abonnés – indépendamment de tout sexisme. Si ce n’est pas une remise en question, je ne vois pas ce que c’est.
– Je n’ai JAMAIS parlé d’échec. D’ailleurs, il y a « succès » dans le titre. Je suis ravie, et surtout honorée, d’être suivie par une telle communauté, qui grossit d’année en année, et avec laquelle j’ai un lien fort (en tout cas c’est ce que je ressens, et j’estime que c’est une très belle histoire).
– Mon message N’EST PAS : « Ma chaîne est un échec parce que je suis une femme. » Mon message EST : « Les youtubeuses scientifiques ne décollent pas parce qu’il y a un problème de sexisme sociétal et culturel qui explique en partie le fait que nous soyons moins nombreuses et que celles qui sont présentes soient moins suivies. »
– Et remettre en question VOTRE déni, VOS a priori, VOTRE comportement, jamais, non, c’est valable pour les autres mais pas pour vous, ça ? L’hôpital, la charité, toussa.

À ceux qui me reprochent de « manquer de preuves, d’arguments, de faits, d’études, de chiffres », effectivement il y en a peu dans ce billet (ce que j’avais d’ailleurs précisé et regretté). Alors ok, d’accord, allons-y.

PARLONS CHIFFRES
– Nombre de youtubeurs scientifiques français au-dessus de 100k abonnés : 6 (Micmaths, Science étonnante, Dirtybiology, Experimentboy, e-penser, Dr Nozman). Nombre de youtubeuses scientifiques françaises au-dessus de 100k abonnés : 0.
– Dans les conventions et assimilés, vous avez croisé combien de youtubeuses scientifiques par rapport aux youtubeurs, déjà ?
– En élargissant à tous les domaines, maintenant. Combien de youtubeurs sont renvoyés à leur sexe de manière dégradante et réduits à un statut d’objet sexuel ? Combien de youtubeuses sont renvoyées à leur sexe de manière dégradante et réduites à un statut d’objet sexuel ?

PARLONS PREUVES
Voici deux-trois petites choses reçues ces derniers jours qui prouvent que le chemin est encore très long.

 


PARLONS TÉMOIGNAGES Et pareil, un échantillon de témoignages reçus ces derniers jours.

 


 

Voilà.
Tout ça va bien au-delà de la question des youtubeurs dans le domaine des sciences. Ça concerne toute la société.
Alors on fait quoi, maintenant ?

Mesdames : faites ce que vous avez à faire, ce que vous avez envie de faire, sur Youtube ou ailleurs. Si vous devez vous poser des questions, la seule valable est celle-ci : si j’étais un homme, est-ce que je le ferais/j’oserais/j’irais ?

Messieurs : auto-censurez-vous. Le sexisme au deuxième degré que vous servirez trois fois l’an renvoie à une réalité quotidienne pour les femmes. Et si vous êtes témoin de propos ou de comportements déplacés, allez discuter avec l’auteur de ce propos ou de ce comportement. Vous serez mieux entendu que la victime ou son entourage féminin.

Le flot de haine et de violence que j’ai vécu ces derniers jours me dit que ça va être encore long. Mais on va y arriver.

Vive Einstein, vive Marie Curie, vive Thomas Pesquet, vive Claudie Haigneré. (Liste non-exhaustive.)

À ceux qui m’ont envoyé des mots d’encouragement et de soutien… merci. 

[SOCIÉTÉ] Les femmes, les sciences, et le reste

En cette Journée Internationale des Droits des Femmes, voici un petit état des lieux de ce qui fourmille de manière brouillonne dans ma tête concernant les femmes, les sciences et le reste.

QUELQUES DATES

Je commence en 1983 pour avoir une idée de ce qui a pu se passer dans l’évolution des droits et de la place des femmes depuis ma naissance.

1983 : Sally Ride devient la première Américaine dans l’espace (précédée par deux Russes, Valentina Terechkova et Svetlana Savitskaïa, respectivement en 1963 et 1982). C’est également, à ma connaissance, la seule astronaute bisexuelle (je ne connais pas d’astronaute ouvertement gay, lesbienne, bisexuel, transgenre) même si c’est seulement à sa mort en 2012 que sa compagne a rendu public leurs 27 années de relation.

1983 : Marianne Grunberg-Manago est la première femme à diriger l’Union internationale de biochimie. Elle a notamment découvert une enzyme qui a bouleversé la recherche sur l’hérédité et permit une meilleure compréhension de l’ADN (source).

1984 : l’épreuve du marathon aux Jeux Olympiques devient autorisée aux femmes.

1984 : Kathy Sullivan est la première Américaine à marcher dans l’espace.

 

1995 : Marie Curie est transférée au Panthéon, y devenant la seule femme honorée pour son travail (les quelques autres n’y sont qu’en qualité d’épouse de). Marie Curie est une des très rares personnes (et la seule femme) à avoir reçu deux Prix Nobel et c’est la seule personne tous genres confondus à avoir reçus deux Prix Nobel dans deux disciplines scientifiques différentes (en physique en 1903 avec Pierre Curie et Henri Becquerel, et en chimie en 1911).

1996 : Claudie Haigneré devient la première femme astronaute française.

1997 : Catherine Bréchignac devient la première femme directrice du CNRS.

Caroline Aigle

1999 : Caroline Aigle devient la première femme pilote de chasse en France (première femme à être affectée au sein d’un escadron de combat de l’Armée de l’air française). Une femme admirable qui ferait sûrement partie du corps des astronautes européens si elle n’était pas décédée si jeune. Je vous conseille d’aller faire un tour sur sa page Wikipédia si vous n’avez jamais entendu parler d’elle, ça résume bien son parcours exceptionnel.

2007 : Peggy Whitson est la première femme commandant de l’ISS.

Avril 2014 : le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian annonce que les femmes vont être autorisées dans les sous-marins. À l’heure où je vous parle, ce n’est toujours pas fait : les premières candidates doivent entrer en formation cette année pour une durée de deux ans.
Juste pour info, voici une capture d’écran du paragraphe « Féminisation » de la page Wikipédia des sous-mariniers. (Le cas du Danemark est particulièrement « savoureux »…)

Août 2014 : Maryam Mirzakhani devient la première femme à recevoir la Médaille Fields (la plus grande récompense existante en mathématiques).

Décembre 2014 : Françoise Combes devient la première femme à décrocher une chaire d’astrophysique au Collège de France. Elle est titulaire de la chaire « Galaxies et Cosmologie« .

Cette liste n’est pas exhaustive et je suis sûre qu’il y a eu cette année encore de multiples « première femme à ». Si j’ai un voeu à faire en ce 8 mars, ce serait de ne plus jamais entendre cette expression : ça voudrait dire que les femmes à accomplir des exploits ou à occuper des postes importants ne seraient plus des exceptions, mais la norme.

Concernant le spatial, il faut savoir que la personne qui a fait la sortie dans l’espace la plus longue est une femme, Susan Helms, avec une EVA de 8 heures et 56 minutes.

Voici également un diaporama réalisé l’année dernière et intitulé « 50 Years of Women In Space« .

QUELQUES FEMMES SCIENTIFIQUES AUXQUELLES JE PENSE AUJOURD’HUI

Si on demandait aux gens dans la rue de citer 5 femmes scientifiques, je suis prête à parier pour qu’on ait quelques « Marie Curie » et puis… personne d’autre.
Voici quelques scientifiques auxquelles je pense aujourd’hui (de manière totalement aléatoire, c’est juste celles qui me viennent à l’esprit au moment où j’écris ces lignes).

Françoise Héritier (1933-)
Elle est ethnologue et anthropologue. J’ai eu la chance d’aller lui serrer la main avant de faire une de mes chroniques dans « La tête au carré » et de la remercier pour tout ce qu’elle avait fait, scientifiquement ou pas, pour la cause des femmes. Rien que de penser que j’ai eu la chance immense de lui dire « merci » en personne, j’en ai les larmes aux yeux.
MERCI, madame, pour tout.
Si vous ne connaissez pas son travail, je vous le conseille chaleureusement, évidemment. Elle a écrit de très nombreux ouvrages. Récemment, vous l’avez peut-être vue dans le formidable (et édifiant) documentaire « Pourquoi les femmes sont-elles plus petites que les hommes ? » (que je ne saurai que trop vous conseiller).

Cecilia Payne (1900-1979)
Elle reste dans la communauté scientifique l’auteure de « la thèse de doctorat la plus brillante jamais écrite en astronomie ». C’est elle qui a compris la première que les étoiles sont constituées d’hydrogène. Mais comme c’était une théorie farfelue pour l’époque (et que c’était une femme), un scientifique la dissuade de publier quoi que ce soit dans ce sens. Ce même scientifique reprendra cette découverte quelques années plus tard à son compte, bien évidemment. Et son parcours est une longue et triste liste de discriminations sexistes dans ce genre.

Anne-Marie Lagrange (1962-)

Hedy Lamarr

Elle est astrophysicienne. Pendant sa thèse, elle découvre un disque de poussières autour d’une étoile et elle est la première à évoquer la possibilité de la présence de planètes autour de cette étoile. Sauf qu’à l’époque (début des années 80…), on croit que le Soleil est la seule étoile à posséder des planètes… jusqu’à ce qu’on découvre la première exoplanète en 1995 et que ça lui donne raison. Elle est également la première à avoir découvert une exoplanète par imagerie directe (en 2008). Je la verrais bien sur un billet de banque.

Hedy Lamarr (1914-2000)
C’est une actrice hollywoodienne. Mais pas que. Elle a inventé un codage de transmission qui permet aujourd’hui le GPS et le Wifi. Rien que ça, ouais.
Dans un monde idéal, on ferait un biopic de cette femme et j’aurais le rôle principal.

Hélène Courtois
Elle a découvert Laniakea, le continent extragalactique dans lequel se trouve la Voie Lactée. D’ailleurs, la vidéo de « Nature » associée à sa découverte est jusqu’à présent la plus vue, toutes sciences confondues.

Margaret Hamilton (1938-)
Alors pour être incroyable, cette femme est incroyable. Margaret Hamilton représente tout ce qu’il y a de plus « cool » dans la définition pop-culture. Elle est informaticienne et mathématicienne. Pour résumer grossièrement, c’est elle qui a écrit le code source du programme Apollo. Sans elle, pas d’hommes sur la Lune. En voilà encore une, d’idée de biopic qui déchirerait !

Margaret Hamilton avec son code source écrit pour le programme Apollo (NASA)

Il y en a évidemment des dizaines d’autres, tout aussi incroyables et méritantes. Une blogueuse américaine en a listé 25 ici, pour la plupart en début de carrière, qui peuvent servir de modèle aux petites filles qui en manquent encore cruellement.

Plus proches de moi, je pense à mes co-équipières de MDRS 148 (ma mission de simulation sur Mars) :
Lucie Poulet est ingénieure en aérospatial et doctorante en génie des procédés biologiques. Elle parle 5 langues, a son brevet de pilote et son brevet de plongée, court des marathons, et elle a participé à 3 missions de simulation martienne, dont une de 4 mois à Hawaii organisé par la NASA.
Louise Lindblad est ingénieure dans le spatial également – elle travaille principalement sur les logiciels des satellites. Elle fait également partie de l’équipe de Suède de gym et elle est classée au niveau national.
Tiffany Swarmer est microbiologiste et spécialiste des facteurs humains dans l’aérospatial. Elle est testeuse de combinaisons spatiales, aussi. Outre la mission MDRS 148, elle était avec Lucie dans la mission de 4 mois de la NASA à Hawaii.

Tiffany et Lucie pendant MDRS 148 avec leur t-shirt HI-SEAS

Tout ça pour dire : il y a tellement de personnes passionnantes et méritantes à mettre en avant ! Et ces personnes n’ont aucune présence médiatique… J’ai fait de mon mieux quand j’étais chroniqueuse sur France Inter, j’avais systématiquement le réflexe de donner la parole à une femme, à compétences égales. Dans mon podcast, je les mets en avant autant que je peux également. S’il y a des journalistes, des marketeux ou des communicants qui me lisent : s’il vous plaît, essayez d’aller chercher un peu plus loin. Il y a une vraie richesse humaine qui n’est pas du tout exploitée ici. Ce serait tellement dommage de continuer à vous en priver et à en priver le public…

QUID DES VIDÉOS DE SCIENCES ?
Mon podcast « La folle histoire de l’Univers » existe depuis 2012. Je ne fais des vidéos « façon Youtubeur » que depuis décembre 2014 pour la seule et basique raison qu’avant ça, je n’avais pas les moyens techniques de le faire.
Mais je constate qu’en sciences, sur Youtube, si les garçons sont évidemment parfaitement représentés dans toutes les disciplines (Léo avec DirtyBiology, Mickaël avec MicMaths, Bruce avec e-penser, pour ne citer qu’eux), j’ai l’impression d’être une extraterrestre (autre définition de la femme dans un univers particulièrement masculin) et d’avoir plus de mal à me faire entendre ou à m’imposer alors que je pense proposer des contenus de qualité égale aux sus-cités (et souvent depuis bien plus longtemps).
Je ne connais pas tout l’Internet non plus, donc si vous avez des suggestions à me faire de youtubeuse sciences, je prends !!
Heureusement, il n’y a pas que Youtube dans la vie 2.0, et les blogueuses scientifiques sont nombreuses et talentueuses (voici une liste).

Il y a également le cas d’Elise Andrew. C’est elle qui a créé la célébrissime page Facebook « I fucking love science« . Le jour où elle a invité les fans de la page à la suivre sur son compte Twitter, ceux-ci ont découvert qu’elle était une femme et ça a visiblement était un choc pour nombre d’entre eux. Elle s’est pris tellement d’insultes sexistes que ça a été médiatisé. Elle a même dû aller s’expliquer sur un plateau de CBS… (j’en avais fait une chronique sur France Inter).

QUELQUES AUTRES CONTENUS

Marion Montaigne me fait régulièrement pleurer de rire. Je vous conseille les 3 tomes de sa BD « Tu mourras moins bête (mais tu mourras quand même) » chez Delcourt.

Mon billet sur l’histoire des femmes dans l’exploration spatiale a été publié dans « L’anthologie des meilleurs blogs de science » aux éditions MultiMondes l’année dernière – ce qui m’a remplie de joie.

Je ne vous avais pas parlé du livre « Trop belles pour le Nobel » de Nicolas Witkowski parce que je l’ai trouvé souvent maladroit et parfois hors-sujet, mais il a le mérite d’exister et d’au moins fournir une liste de personnages qu’on ne connaît pas assez.

Mon ouvrage préféré sur la question reste « L’astronomie au féminin » de Yaël Nazé, qui vient d’être réédité. Si vous préférez, elle en avait fait une (très drôle) conférence qui devrait être diffusée dans les écoles.

Et voilà, c’est à peu près tout pour aujourd’hui 🙂

Si je devais résumer mon sentiment d’aujourd’hui en une phrase, ce serait : « Mais bordel il y a tellement de femmes incroyables dans tous ces domaines, pourquoi on n’en entend jamais parler ?? » Parce que quand on creuse un peu, on devient (enfin moi, en tout cas) excité par tous ces parcours et par toutes ces personnes à suivre, admirer, connaître, écouter, raconter, partager, critiquer aussi (ça n’empêche pas, hein) et desquelles s’inspirer.

QUELQUES SOLUTIONS
C’est bien joli de râler, mais proposer des solutions, c’est mieux. Donc, en vrac :
– Changer les manuels scolaires et parler aussi des femmes scientifiques qui ont fait l’histoire des sciences (il y en a des tas d’autres que Marie Curie)
– Donner plus de places aux femmes dans les médias (merci notamment à Etienne Klein qui est à 50/50 au niveau de ses invités dans son excellente « Conversation scientifique » sur France Culture – enfin j’ai pas compté mais à vue de nez c’est équilibré)
– Créer, compléter, enrichir les pages Wikipédia (je le fais moi-même dès que je le peux)
– M’embaucher si tu es une chaîne de télé/un producteur/un créateur de chaîne Youtube pour parler de sciences (mon CV)
– Veiller à remplacer hôtesse de l’air/infirmière/secrétaire par pilote/neurochirurgienne/PDG quand vous demandez à votre petite nièce/cousine/filleule ce qu’elle voudrait devenir plus tard
– Partager ce billet. Merci ! 🙂

[SCIENCE-FICTION] Les rôles féminins dans les films de SF

Depuis le mois dernier, la Suède donne un label aux films qui sortent pour indiquer leur degré de sexisme (ou non). Il est basé sur le test de Bechdel, créé en 1985 par Alison Bechdel, une dessinatrice féministe américaine, qui évalue la présence des femmes dans un film à base de 3 questions :
– Y a-t-il au moins 2 personnages féminins portant des noms ?
– Ces deux femmes se parlent-elles ?
– Leur conversation porte-t-elle sur un sujet autre qu’un personnage masculin ?
Si les réponses sont oui, alors le film se verra attribuer d’un « label A ».

Si la démarche est honorable, je ne suis pas convaincue que ce test soit le plus à même de juger du sexisme d’un film – soit parce que même si les réponses sont oui, ça n’empêche pas de véhiculer des clichés grotesques ou une vision patriarcale de la société, soit parce que si la réponse est non, ce film peut quand même contrer ces clichés et cette vision.

Preuve en est, par exemple, que Star Wars échoue au test alors que la Princesse Leia est pour moi l’exemple parfait du rôle féminin réussi – mais il n’y en a pas vraiment d’autre dans la trilogie historique (épisodes IV-V-VI) et la réponses aux 2 premières questions est non.
Alors que dans Love Actually (que j’aime beaucoup beaucoup) qui passe le test avec succès (enfin je crois…), les rôles féminins sont cantonnés à femme de, secrétaire de, femme de ménage de, etc. Ce qui, personnellement, m’agace parce qu’on reste dans la femme-définie-uniquement-par-rapport-à-un-homme.

Mais bien avant que je ne prenne conscience de tout ça et que j’analyse tout ce que je vois, j’ai toujours été frustrée, enfant et adolescente, mais sans forcément mettre de mot dessus, de me sentir un peu exclue des films que je voyais.
Particulièrement attirée par la science-fiction, je n’ai jamais vraiment pu m’identifier à des rôles féminins forts (à quelques exceptions près sur lesquelles je vais revenir) comme les petits garçons le faisaient pour à peu près tous ce qu’ils voyaient. Moi, j’en étais réduite à « vouloir » épouser les personnages… C’est un peu triste (et réducteur, donc).

La Princesse Leia, rare personnage féminin fort de la science-fiction

Mais j’ai grandi. Et à l’heure où la Suède instaure donc son label avec lequel je ne suis pas tout à fait d’accord, je me suis dit qu’une petite analyse des personnages féminins dans les films de science-fiction serait sans doute instructive…
Voici donc ma grille de lecture tout à fait personnelle (avec un choix de films tout à fait subjectif) : j’ai classé en 5 catégories les différents statuts des rôles féminins rencontrés dans la SF de ces dernières années.
(Attention, il se peut qu’il y ait parfois des spoilers pour ceux qui n’auraient pas vu les films mentionnés.)

[Ce n’est ni une étude sociologique, ni un jugement de qualité des films, ni un article journalistique, ni un pamphlet pour éliminer les êtres masculins ou assimilés de la surface de la planète, juste un billet personnel sur un blog personnel, merci de vous en souvenir avant de faire des commentaires hors-sujet.]

LES FEMMES QUI NE SERVENT À RIEN

Partie du visuel du DVD français

Irène, interprétée par Uma Thurman, est… Irène, une collègue du héros Jérôme Morrow (Ethan Hawke), astronaute de son état. On ne sait pas quel est son métier, son statut, sa mission. On ne connaît pas son nom de famille. On se demande à quoi sert son personnage à part d’être la caution sexy du film (ce qui n’est pas un vrai rôle, hein)… jusqu’à ce qu’elle ait enfin une utilité dans le scénario.
Et je vous le donne en mille : elle sert d’alibi au héros lors d’un contrôle de salive, qui le refuse en disant au policier « vous ne voudriez quand même pas que le résultat soit faussé, si vous voyez ce que je veux dire… » avec un gros clin d’oeil. No comment.
À la fin, elle deviendra sa petite amie, sans que son personnage n’ait rien apporté de plus à l’intrigue.
Par contre, pour une raison qui m’échappe – enfin non, ça confirme que c’est donc bien la caution sexy du film – elle est très présente sur toutes les versions de l’affiche du film.

Dans Planète Rouge, Carrie-Ann Moss interprète un rôle que l’on pense fort et qui en fait ne sert à rien. C’est elle la chef de la mission martienne, mais… elle a droit au tiercé gagnant : conflit avec l’équipage qui a bien du mal à obéir aux ordres d’une femme ; scène graveleuse où l’un des hommes la regarde en train de se changer ; et finalement, bisou à la fin au seul rescapé de la mission – dont elle devient alors la petite-amie.

C’est bien, parce qu’elle n’est pas du tout hyper-sexualisée, en plus.

Sans compter que finalement dans le film, son rôle s’arrête bien vite puisqu’après un problème technique, elle ne peut pas descendre sur Mars et reste en orbite. (On l’oublie jusqu’à la fin où elle récupère donc le héros pour lui faire un bisou.)

Perséphone dans Matrix, interprétée par Monica Bellucci, c’est une « femme de », et son rôle se résume à se faire embrasser par le héros. Super intéressant, dis donc. (Je parlerai de Trinity plus tard.)

Dans Matrix, Planète Rouge et Bienvenue à Gattaca, les femmes ne sont donc là que pour faire des bisous au héros et devenir leur petite amie. Jolie transition pour la prochaine catégorie…

LES MÈRES DE / ÉPOUSES DE / FILLES DE

Alors là prenez des RTT parce qu’on en a pour un moment. Je vais essayer de la faire courte et par ordre alphabétique de film.

Dans 2012 (que j’aime beaucoup beaucoup, comme quoi, hein), nous avons l’ex-femme du gentil héros américain, l’épouse bimbo du méchant russe, et la fille du Président qui deviendra par la suite la petite-amie du scientifique de l’histoire (passer du papa au mari, vous imaginez comme j’adore l’idée).

Double combo également dans Armageddon, où Grace (Liv Tyler) est à la fois la fille de Bruce Willis et la fiancée de Ben Affleck. Elle a quand même un métier, mais dans la boîte de papa (et c’est anecdotique dans l’histoire).
À la fin du film, Bruce Willis sauve le monde en se sacrifiant à la place de Ben Affleck juste pour que sa fifille ne soit pas trop perdue. Ben oui la pauvre chérie, si aucun homme n’est là pour veiller sur elle, que va-t-elle devenir, hein ?
Il y a quand même une femme pilote de navette dans la deuxième équipe qui part sur l’astéroïde. Mais c’est un rôle mineur (mais c’est déjà ça).

Pareil pour le personnage d’Amanda Seyfried dans Time Out qui est d’abord la fille de son papa milliardaire avant de se faire kidnapper (devenant une victime) puis de devenir la petite-amie du héros.

Double combo encore pour Avatar (décidément, la femme qui passe du papa au mari, on a du mal à s’en débarrasser, hein), le personnage principal féminin s’appelle Neytiri et elle est la fille du chef du village. Plus tard, elle deviendra la petite-amie du héros. Heureusement, d’autres personnages féminins viennent sauver l’affaire : celui de Sigourney Weaver qui est le médecin responsable de la mission et celui de Michelle Rodriguez qui joue une pilote d’hélicoptère (mais qui, si ma mémoire est bonne, se prend quelques réflexions sexistes au passage, c’est vrai que c’est vachement utile dans le scénario de ce genre de film.)

Sigourney Weaver, femme médecin

Dans Mission to Mars, il y a une femme astronaute dans l’équipage. Hourra !! En fait non. C’est la femme d’un autre astronaute. Ça n’est sûrement pas venu à l’esprit des scénaristes qu’une astronaute pouvait juste être astronaute, et pas en plus la femme de. Parce que si elle avait été « juste » astronaute, ça n’aurait strictement rien changé à l’histoire. Alors ? Une explication ?

Dans Inception, Marion Cotillard est la femme de Leonardo DiCaprio. Heureusement, l’autre rôle féminin du film est plus costaud, j’en parlerai plus tard.

Independence Day, c’est un peu comme 2012 : la petite-amie bimbo du héros, l’ex-femme du scientifique, la femme du Président… Par contre, je ne connais pas le genre des aliens. Quelqu’un pourrait-il m’éclairer là-dessus ?

Dans la trilogie Retour vers le futur, Lorraine est la mère de Marty et Jennifer est sa petite-amie. Un effort à noter du côté du troisième volet où Clara est une institutrice férue d’astronomie. Mais elle devient dès son apparition la petite-amie de Doc… Dommage. C’était bien tenté.

Dans Snowpiercer (toujours en salles, foncez le voir), les 2 personnages féminins du côté des révoltés sont une mère d’un petit garçon disparu et la fille d’un des personnages principaux. Les 3 autres femmes du film ont un rôle un peu moins réducteur… mais… J’y viens tout de suite.

(Mais avant de passer à la catégorie suivante, je viens de me rendre compte de quelque chose d’édifiant : pour chaque film traité jusqu’ici, je peux compter les personnages féminins. Essayez de faire la même chose avec les hommes, pour voir…
Comment ? Non, en effet. Ce n’est pas possible.
Voilà.)

LES RÔLES INTÉRESSANTS… OU PRESQUE 

Snowpiercer, donc, avec unE ministre du train mais qui est complètement sous l’influence du grand gourou Wilford – tout comme l’institutrice enceinte jusqu’aux yeux. Quant au cinquième personnage féminin, peu présent, elle est certes munie d’une arme mais il s’agit d’une sorte d’assistante. En fait, son statut n’est pas très bien défini.

Dans L’armée des 12 singes, Madeleine Stowe interprète Kathryn Railly, une psychiatre, auteure et conférencière, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Malheureusement, elle bascule au milieu du film de médecin à victime en se faisant enlever par Bruce Willis.
Elle n’en reste pas moins psychiatre, mais… mais à partir de là, elle est sans arrêt renvoyée à sa sexualité : d’abord victime d’une tentative de viol où elle se retrouve à quatre pattes devant un homme qui commence à se déshabiller en la traitant d’un délicieux « salope » ; ensuite, lorsqu’elle raccroche d’un coup de fil, son interlocuteur la gratifie d’un condescendant « une psychiatre en dentelles et talons aiguilles » ; enfin, quand elle se réfugie dans un hôtel avec Bruce Willis, le mec à l’accueil la prend pour une prostituée. Ça aurait pu s’arrêter là, sauf que dans la suite, un proxénète vient l’agresser dans sa chambre en lui reprochant d’être sur son territoire…
Rôle important dans l’intrigue, psychiatre reconnue… mais ça reste une p…, quand même.

Même combat dans Blade Runner. Il y a 2 personnages féminins. L’une, Pris, est un robot destiné au plaisir sexuel (des hommes évidemment) – et accessoirement petite-amie d’un autre personnage. Quant à Rachel, elle est l’assistante d’un des personnages.
Vous allez me dire : oui, mais dans Intelligence Artificielle, Jude Law joue un gigolo ! C’est exact. Mais il n’est pas tout le temps à poil, lui.

Pour l’instant, les femmes ont beau avoir des rôles importants, elles sont soit renvoyées (voire réduites) à leur sexualité, soit en position d’infériorité dans leur vie professionnelle.

Trinity, le personnage qu'on croyait indépendant et en fait non

On retrouve Carrie-Ann Moss et la fameuse Trinity. Quand, au début du film, on découvre que c’est une hackeuse, on se dit chouette ! un personnage féminin intéressant. Et puis en fait non.
Parce que Trinity malgré son statut de hackeuse, c’est une sorte d’assistante de Morpheus. Alors d’accord, elle court, elle se bat, elle fait de la moto… mais si ce personnage est une femme, c’est uniquement parce qu’il y a une prophétie qui dit qu’elle tombera amoureuse de l’Élu. Aaaah, ok… Moi qui croyais qu’elle pouvait être autre chose que la-petite-amie-du-héros…
Et il y a ce grand moment où elle sauve la vie de Neo… en l’embrassant. Tandis que plus tard, quand c’est Neo qui lui sauve la vie à son tour, il lui fait un message cardiaque. Elle, non. Une femme, ça ne fait pas de massage cardiaque, ça ressuscite d’un seul baiser, c’est bien connu.

Dans Matrix, il y a aussi l’Oracle, qui est une femme. Choix révolutionnaire dans le casting ? Mmmh… non. L’oracle est dans la droite lignée de la Pythie hystérique, de la sorcière maléfique et de la voyante complètement barrée. On reste quand même pas mal dans le cliché…

J’aurais sincèrement voulu mettre Ariane du fabuleux Inception dans la catégorie « rôle féminin réussi ». Elle est architecte, brillante, intelligente, dégourdie… Tout pour plaire. Vraiment. Mais… mais un détail dans le scénario la rétrograde, à mon plus grand regret.
À un moment, dans un rêve, un des personnages lui demande de l’embrasser pour essayer de détourner l’attention de gens qui semblent leur vouloir du mal. Elle n’a pas trop le choix, elle s’exécute. Voici la suite :
– Ça a fonctionné ?
– Non.
– …
– Ça valait la peine de tenter le coup, répond l’homme qui lui a volé un baiser d’un air taquin.
Ariane, comprenant qu’elle vient de se faire avoir, sourit du genre « ah ah ah, quelle bonne blague, on m’a forcée à embrasser quelqu’un, c’est tellement drôle d’être victime d’une agression sexuelle ! » (Oui, un baiser obtenu par contrainte est une agression sexuelle.)
Si le scénariste (Christopher Nolan en l’occurrence) avait été une femme, voici ce qu’elle aurait sans doute écrit :
(… bla bla bla…)
– Ça valait la peine de tenter le coup, répond l’homme qui lui a volé un baiser d’un air taquin.
Ariane le gifle, puis lui sourit d’un air taquin à son tour.
– C’est qu’un rêve, au fond !
L’homme sourit du genre « bien joué, je l’ai bien mérité ».

Voilà. Vous allez me dire – bien entendu… – que ce n’est qu’un détail, que ce n’est pas si grave, que c’est rien qu’un baiser, volé certes, mais qu’il ne l’a pas menacée, etc, etc, etc…
Alors… 1) SI, c’est grave, puisqu’il y a contrainte et que c’est donc puni par la loi. Point.
2) Ça l’est d’autant plus à mon sens que cette scène NE SERT À RIEN. Faites le test : imaginez qu’elle ait été coupée au montage, ça ne change strictement rien à l’intrigue (le personnage l’avoue lui-même) ni aux relations qu’il y a entre les personnages (Ariane n’est plus jamais renvoyée à son statut de femme en potentielle position de faiblesse parmi tous ces hommes). Cette scène est juste là parce que le scénariste n’a pas pu s’empêcher (et peut-être pas forcément de manière consciente, un comble pour un film sur les rêves) de rappeler à ce personnage sa condition de femme potentiellement violable.
Ce sont ces petites choses, ce genre de « détails » qui s’instillent dans nos cerveaux et qui font croire aux garçons que c’est amusant et aux filles que c’est normal. Alors que ce n’est ni l’un, ni l’autre, et que cette scène est strictement inutile.
Et ça m’embête beaucoup parce qu’à part ça, le film et ce personnage sont parfaits.

Dans Minority Report, il y a 2 rôles féminins notables : Lisa, la femme de Tom Cruise et mère de leur enfant disparu, et Agatha la precog. Oui, sauf que… sauf qu’Agatha est un personnage volontairement androgyne. Donc je ne suis pas sûre que ce soit un rôle féminin fort…

LES PREMIERS RÔLES QUI S’EXCUSENT D’ÊTRE FÉMININS

… ce qui nous amène à cette catégorie. Avant toute chose, que ce soit bien clair et qu’on ne m’accuse pas de tout et de n’importe quoi : une femme est une femme, quand bien même elle serait plus musclée qu’un Van Damme, avec les cheveux courts ou rasés (comme Agatha), amputée de son utérus ou de ses seins, née homme mais de genre féminin, ou je ne sais pas quoi encore. Ça, c’est pour la vraie vie, le quotidien, le monde dans lequel on vit. Bon.

Mais au cinéma, c’est différent : chaque détail est un symbole qui a une signification, c’est à dire qu’un personnage ressemble physiquement à tout ce qu’on veut faire passer comme symbolique (et/ou clichés) à travers lui.
Par exemple… Je ne retrouve pas le lien et c’est dommage, mais j’avais lu un article à propos de la préparation du tournage de Ghost. Quand les deux comédiens principaux étaient arrivés le premier jour sur le plateau, le réalisateur avait failli avoir une attaque parce que Demi Moore avait coupé ses cheveux tout court et que Patrick Swayze, en plus, les avait longs (mais ça a pu s’arranger) – ce qui inversait les rôles « sexués ». Vous allez me dire : on s’en fout. Oui, en effet, mais pas au cinéma, donc. Ce sont des détails qui comptent et ça a été une vraie problématique à gérer pour l’équipe du film. Finalement ils les ont gardés tels qu’ils sont et personne n’y a fait attention, parce que les gens ne sont pas débiles et qu’on allait pas confondre ou croire que les rôles étaient inversés.

Tout ça pour dire, donc, que ce qui paraît être un détail ne l’est pas : c’est soigneusement pensé et réfléchi. Un film dure environ 2 heures, il n’y a pas tellement de place pour les fioritures, tous les détails comptent et ont une signification.

Karen Nyberg, ingénieur et astronaute. COMME QUOI. HEIN.

Ce qui m’amène donc à Gravity où la beauté des images est inversement proportionnelle à la subtilité du personnage principal. Sandra Bullock joue Ryan Stone. Eh oui, Ryan, un prénom masculin. On aurait pu passer outre, mais non, c’est appuyé par un échange entre elle et son collègue : « C’est quoi ça Ryan comme prénom pour une femme ? » « Mon père voulait un garçon. » No comment.

Et je ne sais pas vous, mais moi j’ai été frappée quand elle retire son casque pour la première fois : je ne m’attendais pas du tout à ce qu’elle ait les cheveux courts. Ça m’a énervée, je crois, oui.
Comme chaque détail compte au cinéma, surtout dans ce film bourré de symboles, c’est comme si le scénariste s’excusait d’avoir choisi une femme en rôle principal. C’est agaçant. « Bon ok, c’est une femme, mais… elle s’appelle Ryan et elle a les cheveux courts, hein, ne vous inquiétez pas, c’est un peu un homme quand même ! » Ben oui, des fois qu’on ne la prenne pas au sérieux si elle s’était appelée Karen et qu’elle avait eu de longs cheveux blonds, doux et soyeux, hein.
Pourquoi ne pas avoir choisi un homme pour ce rôle, me direz-vous ? La réponse du réalisateur est très claire : il voulait du symbole, que tout soit attiré vers la « Mother Earth », la renaissance, toussa toussa. Donc d’un côté, Ryan Stone est un garçon manqué, mais de l’autre quand même, elle réunit tous les clichés de la maman, du foetus, de la naissance, etc. Parce que si elle se retrouve dans l’espace, c’est parce que Ryan est une « mère de » qui n’a pas fait le deuil de sa fille disparue – rien de plus. Vous avez dit réducteur ?

Vous avez dit symbole ?

Il y aurait encore tant de choses à dire si ce personnage féminin… Je ne le ferai pas ici, mais sachez que tout ce que j’en pense a été écrit dans ce billet. Le fait qu’il ait été écrit par un homme me rassure, oui, ça me permet d’avoir un argument de poids quand on me reproche (évidemment) d’être parano sur ces histoires de vision de la femme dans le cinéma : on peut être un homme et être gêné par tous les clichés archaïques ou grotesques que véhicule ce personnage, eh oui.

Suivante dans la catégorie des femmes qui s’excusent d’être des femmes parce qu’elles ont le premier rôle : Ripley, dans Alien. On est d’accord : dans une moindre mesure par rapport à Gravity. C’est à peine comparable. Mais…
Mais Sigourney Weaver a été choisie parce qu’elle est grande (1m82) et qu’elle a un physique qui se rapproche de l’androgynie. Hop ! on gomme tout ce qui peut se rapporter aux symboles d’une « vraie » femme de cinéma (longs cheveux, coquetterie, sexytude, etc…) Imaginez, par exemple, une Reese Witherspoon dans le rôle de Ripley. Alors ? Erreur de casting, ça ne fonctionnerait pas ? Voilà. CQFD.
Sans compter qu’elle devient « mère de » un alien, qu’elle a des sentiments pour « son bébé » et qu’il y en a pour l’appeler « Maman »… On ne s’en débarrasse pas, hein. Une femme est forcément une mère. Dommage, parce que Ripley a effectivement une fille, mais ça ne change absolument rien au rôle qu’elle a : si elle n’avait pas été mère, le personnage aurait été le même.

LES RÔLES FÉMININS RÉUSSIS

Mais oui ! Il y en a !! C’est possible !!! 😀

Quels sont les critères qui me le font dire ? Eh ben il faut que le personnage ne soit pas affublé de tous les clichés ou symboles que j’ai dénoncés jusque-là. Il faut que ce soit une femme qui ne soit pas définie par rapport à un homme, que son personnage ne soit pas une victime, qu’elle ne soit pas renvoyée ou réduite à sa sexualité, qu’elle ne soit pas privée d’attributs physiques dits « de vraie femme de cinéma », qu’elle peut être mère mais sans que ça ne la définisse de A à Z…

Première à jamais gravée dans mon coeur de geek : la princesse Leia de la trilogie Star Wars. Leia est une femme politique, une meneuse, une résistante, un soldat, une femme qui ne s’en laisse pas compter, qui envoie bouler régulièrement ce relou d’Han Solo, qui sauve Luke qui était venu la sauver mais sans plan pour repartir, etc, etc… La princesse Leia ressemble à une femme sans être hyper-sexualisée (même les scènes en bikini sont soft parce que la caméra ne s’y attarde pas inutilement), elle est volontaire, drôle, avec un caractère fort… Elle est parfaite. PARFAITE.

Autre femme de science-fiction parfaite, et c’est d’ailleurs la principale caractéristique de son personnage, c’est Leeloo dans Le cinquième élément. Dotée d’une intelligence supérieure, imbattable au combat, être suprême… C’est elle qui sauve le monde, et ce n’est pas en faisant un bisou à Bruce Willis, mais l’inverse. Comme quoi, hein.

Un peu moins tape à l’oeil mais tout aussi juste : Jenny Lerner dans Deep Impact, interprétée par Tea Leoni. La personne qui a réalisé ce film est une femme, tiens donc, ça peut avoir joué. Jenny est journaliste, déterminée, pugnace, c’est le personnage principal du film à travers lequel on avance dans l’histoire.

Enfin, last but not least, Ellie Arroway (Jodie Foster) dans Contact. Inspirée de Jill Tarter, qui a été la directrice de l’Institut SETI pendant des années, c’est une scientifique qui se bat pour avoir des subventions pour son projet d’écoute de signaux radio venus de l’espace. Et quand elle capte un signal qui s’avère être extraterrestre, elle devient l’experte absolue dans ce domaine et finit même par être une toute nouvelle sorte d’astronaute.

(Et un petit bonus, même si je ne range pas Thor 2 dans la catégorie Science-Fiction, il est intéressant de voir le traitement des personnages féminins dans ce film encore à l’affiche. Natalie Portman y joue une astrophysicienne, elle a une assistante… qui a elle-même un assistant ! Et quand ces deux-là se découvrent des sentiments amoureux l’un pour l’autre, c’est elle qui prend l’initiative de l’embrasser dans une parodie de scène de baiser cinématographique où un homme embrasse une femme en la tordant vers l’arrière et vers le bas. C’est là qu’on se rend compte que cette chorégraphie est tout à fait ridicule (et qu’en plus, c’est inconfortable et ça doit faire mal.)

Par contre… il est intéressant de constater que pour ceux deux dernières catégories où une femme a le rôle principal ou un rôle fort, aucune des affiches de ces films ne la montrent. Sauf pour Contact, mais Jodie Foster, assise (passive, rêveuse), est accompagnée de Matthew McConaughey, debout (actif, dans l’action) – rappelez-vous, la symbolique… ; et pour Star Wars où tous les héros sont présentés.
Alors… une femme à l’affiche, d’accord – une femme sur l’affiche, c’est pas encore ça.

Et c’est bien joli de râler et de ne pas être d’accord avec le test de Bechdel, mais si on ne propose pas de solution pour améliorer les choses, ça sert à rien. Alors je propose un autre test, celui-ci composé de 5 questions. Et à la quantité prônée par Bechdel, puisqu’il faut encore choisir entre les deux, je préfère la qualité des personnages. Le voici :

1) Y a-t-il au moins un personnage féminin en premier ou second rôle ?
2) Ces femmes sont-elles définies autrement que par rapport à un homme ?
3) Ces femmes sont-elles exemptes de remarques concernant leur sexualité ?
4) Ces femmes sont-elles exemptes de caractéristiques physiques dites « masculines » ?
5) Pour les femmes qui sont mères, leur personnage existerait-il si elles ne l’étaient pas ?

Faites passer ce test à n’importe quel film. Vous verrez qu’on est très loin d’avoir une représentation saine des femmes dans le cinéma.

[SPATIAL] Les femmes et l’exploration spatiale

16 juin 1963. Il y a 50 ans, une femme a voyagé dans l’espace pour la première fois dans l’Histoire de l’Humanité. Valentina Terechkova avait 26 ans, elle était soviétique et elle reste la seule femme à ce jour à avoir effectué un vol spatial en solitaire. Elle est redescendue sur Terre le 19 juin après 48 orbites autour de la Terre en 70 heures et 41 minutes, soit plus d’heures de vol au compteur à elle seule que tous les astronautes américains réunis (à l’époque). Et elle reste également à ce jour la plus jeune personne à avoir voyagé dans l’espace.

Mes respects les plus admiratifs, madame.

Le « père de l’astronautique soviétique » pour une série de premières fois

Mais comme un peu d’Histoire ne nuit jamais, remettons cet exploit dans son contexte…

*****

[Les dialogues en italiques qui vont suivre sortent de mon imagination délirante, délicatement agrémentés d’une louche de mauvaise foi et saupoudrés d’un second degré légèrement acide sur le retour.]

Staline – Bon, Korolev, avec mes potes les Américains, on joue à kikalaplugrosse.
Korolev – La plus grosse… euh… pardon ?
Staline – Ben kikalaplugrosse. Kikipisslepluloin, quoi. Marquer son territoire.
Korolev – Le territoire ? Ben c’est nous qui avons le plus gros, chef. On a le plus grand pays du monde. On occupe plus de 11 % des terres à nous tous seuls.
Staline – Oui. Bon. T’es ingénieur, Korolev, t’es précis, factuel. C’est bien. Mais je te parle de politique, là, c’est subtil, tu peux pas comprendre. Bon. Il faut qu’on gagne à kikalaplugrosse et là je trouve qu’on est un peu mal barré. Donc trouve un truc.
Korolev – Les Américains ont Hollywood, chef. Ça marche pas trop mal. On pourrait les concurrencer sur ce marché-là.
Staline – Mmmh, développe.
Korolev – Il faut les surpasser. Une forme de cinéma révolutionnaire. Par exemple, ce matin, je me suis fait la réflexion… Mon chat a glissé sur la glace et s’est mangé un mur. J’ai failli décéder de rire, chef. J’ai la ceinture abdominale qui brûle encore. Eh ben j’aurais voulu garder un film de ce moment, pour rire à nouveau, et surtout, le partager avec d’autres.
Staline – Abrège, je vois pas où tu veux en venir.
Korolev – Les Américains font rêver, avec leurs films hollywoodiens. Moi, je propose un bon gros rire bien gras. Ça réchauffe. Et c’est proche du peuple. Il peut s’identifier. Petits moments du quotidien.
Staline – Korolev ?
Korolev – Chef ?
Staline – Je ne te parle pas du peuple, je te parle de la Nation. KIKALAPLUGROSSE.
Korolev – Ben je vous l’ai dit, notre territoire est le…
Staline – KOROLEV. Le quotidien, tout le monde en est riche, personne ne va payer pour aller voir ça dans un cinéma. Et si c’est de la chaleur qu’on veut, on a de la vodka. Hollywood fonctionne précisément parce que ça vend du rêve. Un chat qui se vautre contre un mur, ça ne marchera jamais.
Korolev – Bon. Du rêve, alors. Des stars ?
Staline – Pourquoi pas. Un autre genre de star. Dépassons-les.
Korolev – Je peux me permettre une vanne pourrie, chef ?
Staline – Accordée.
Korolev – « L’Amérique a des stars. Nous avons des étoiles. »
Staline – Korolev ?
Korolev – Chef ?
Staline – Tu vois, quand tu veux !

*****

Sergueï Korolev

Et c’est ainsi que pour savoir kikalaplugrosse qui aurait la suprématie sur le monde, l’exploration spatiale (nommée « conquéquête » à l’époque) fut l’un des domaines où les États-Unis et l’URSS se mesurèrent (donc).

Je vous passe les détails, mais Sergueï Korolev, ingénieur spécialiste en fusées et en missiles, devint alors le « père de l’astronautique soviétique » (source : Wikipédia).

Il fallait tout faire plus vite que les Américains, mieux, plus loin, démesuré – ou en tout cas, être premier. L’URSS, par l’intermédiaire de Korolev, est donc devenue reine des premières fois en matière d’aérospatial :

– 4 octobre 1957 : premier satellite artificiel dans l’espace (Spoutnik-1)
– 3 novembre 1957 : premier animal terrestre dans l’espace (la chienne Laïka)
– janvier 1959 : première sonde lunaire (Luna-1) à aller dans l’espace, premier survol de la Lune à faible distance, première mise en orbite héliocentrique, première à découvrir le vent solaire
– septembre 1959 : premier artefact humain (Luna-2) à atteindre un corps céleste (la Lune)
– 12 avril 1961 : premier homme dans l’espace (Youri Gagarine)

Première femme dans l’espace : un outil de propagande

*****

Khrouchtchev – Grâce à vous, Korolev, on gagne à kikipisslepluloin. Mais je suis pas rassuré du côté de kikalaplugrosse. Ce salaud de Kennedy nous provoque, avec son discours.

Korolev – Chef, vous êtes pas foutu de surligner des mots sur Photoshop ?
Khrouchtchev – Ta gueule.
Korolev – Oui chef.
Khrouchtchev – On est en 1963. Peut-on aller sur la Lune avant 1970 ?
Korolev – Impossible.
Khrouchtchev – Gagnons du temps. Mettons-leur la pression. Trouvez-moi un autre exploit pour les faire chocotter et perdre leurs moyens.
Korolev – Envoyons deux hommes dans l’espace en même temps…
Khrouchtchev – On a un module pour deux personnes ?
Korolev – Non chef, pas encore.
Khrouchtchev – Je veux un exploit avant la fin de l’année, Korolev. Envoyez une femme.
Korolev – Une femme, c’est-à-dire ? Pour arranger l’intérieur du Vostok et en faire un biplace ?
Khrouchtchev – Ne faites pas l’idiot, Korolev. Envoyez une femme dans l’espace.
Korolev – AH AH AH AH AH !
Khrouchtchev – Vous commencez à m’agacer, Korolev.
Korolev – Vous êtes sérieux, chef ??
Khrouchtchev – Tout ce qu’il y a de plus sérieux. Allez hop !
Korolev – Oh non, chef, non… Enfin quoi, non… Une femme, chef…
Khrouchtchev – Arrêtez de geindre et faites ce que je vous dis ou vous serez le premier à atteindre la Lune d’un coup de pied au cul.
Korolev – Envoyons un chat, on n’a pas fait, les chats !…
Khrouchtchev – KOROLEV !!!! Envoyez-moi une femme là-haut avant la fin de l’année.
Korolev – Ah, juste l’envoyer, chef ? Donc faut pas qu’elle revienne ?
Khrouchtchev – KOROLEV !!!!! Et ne me faites pas une Laïka, hein. Ramenez-la-moi EN VIE.
Korolev – Chef… La chienne est morte, Youri est vivant… C’est bien la preuve que les femelles sont pas adaptées…
Khrouchtchev – Encore une réflexion de ce genre et je vous envoie au goulag à la vitesse de la lumière. Ramenez-moi vivante une femme de là-haut avant la fin de l’année.
Korolev – Je vais t’expédier ça, vite fait, moi, tu vas voir…
Khrouchtchev – Arrêtez de baragouiner dans votre moustache et au travail.

*****

C’est ainsi que le 16 juin 1963, Valentina Terechkova devint la première femme dans l’espace, après « une formation plus poussée que les hommes« , a-t-elle précisé le jour de ses 70 ans. Ce n’était donc pas la justice ni l’équité qui guidaient les Soviétiques, mais bien la volonté de gagner le combat qu’ils livraient contre les États-Unis. Comme Laïka, le Spoutnik ou Gagarine, Valentina Terechkova n’était qu’un outil de propagande de plus lors de la Guerre Froide. Et dans son cas, ils faisaient d’une pierre deux coups puisque l’URSS voulait prouver l’égalité homme-femme prônée par l’idéal communiste. (Ahem.)

Visuel actuel du site officiel de l'agence spatiale russe (Roscosmos)

Bien sûr, le dialogue ci-dessus est inventé de A à Z. Mais nous ne sommes pas si loin de la réalité quand on sait qu’après cet exploit, Sergueï Korolev s’est écrié : « Les bonnes femmes n’ont rien à faire dans l’espace ! (…) Plus jamais je ne veux avoir affaire à des femmes ! » Ce mouvement d’humeur était dû à deux choses : Korolev était agacé par les nausées qu’avait eues la jeune cosmonaute et par son incapacité à gérer l’orientation de son vaisseau.

Oui – sauf que concernant les nausées, elles étaient liées au mal de l’espace (équivalent du mal de mer, si on veut) et plus d’une personne sur deux en souffre lors d’un premier voyage. Ce n’est donc en aucun cas lié au sexe de l’astronaute. Quant à l’orientation du vaisseau…

Le Vostok était connu pour avoir régulièrement des défaillances dans son programme d’orientation. Quand Terechkova s’est rendue compte que son Vostok-6 s’éloignait de la Terre à chaque révolution au lieu de s’en approcher, elle a transmis l’information à Korolev qui a fait modifier les données du système de commande pour la remettre sur la bonne orbite. Sauf que… « M.Korolev m’a demandé de n’en parler à personne et j’ai gardé ce secret pendant des dizaines d’années. A présent, il y a des informations à ce sujet et je peux donc en parler librement« , a annoncé Terechkova en 2007. Apparemment, l’ingénieur responsable du programme d’orientation avait avoué son erreur quelques années auparavant. La cosmonaute n’était donc pas en faute.

Un exploit totalement absent de l’article encyclopédique sur son responsable

Plus étonnant encore : cette première historique, grande fierté de l’Union soviétique, et ses deux exploits encore non-supplantés (seul vol en solitaire féminin et plus jeune astronaute) ne figurent pas sur la page Wikipédia de Korolev à l’heure où j’écris ces lignes ! Pas une allusion, pas un lien vers un autre article. Rien. Comme si Valentina Terechkova n’avait jamais existé…

Même le mot "femme" n'apparaît pas une seule fois dans ce long article...

Sur la page Wikipédia de Valentina Terechkova, en revanche, Sergueï Korolev apparaît dès la première ligne de sa biographie.

Korolev ne voulait tellement « plus avoir affaire à des femmes » que l’encyclopédie en ligne a complètement rayé Valentina Terechkova de son Histoire. Au-delà de la dénégation de ces exploits visiblement moins dignes qu’un-homme-un-vrai ou qu’un chien mort en vol pour les très nombreux contributeurs de cette page, se pose la question de la suite. Combien de femmes cosmonautes depuis ?

Les femmes cosmonautes : suite (et fin)

La réponse est 2 : Svetlana Savitskaïa en 1982, soit 19 ans après, et Elena Kondakova en 1994. Et une fois encore, pour ces deux femmes, les anecdotes sont édifiantes.

Une mission exclusivement féminine était prévue. Svetlana Savitskaïa devait en être avec Elena Dobrokvachina et une autre cosmonaute. Mais la mission n’a finalement jamais eu lieu et Svetlana Savitskaïa est partie plus tard. Mais Elena Dobrokvachina, elle, s’est entraînée 14 ans pour rien. « C’était probablement du chauvinisme masculin. Pendant notre entraînement à la Cité des Étoiles, les responsables du secteur spatial étaient divisés : les uns soutenaient ce projet exclusivement féminin, les autres ne supportaient pas cette idée« , a-t-elle révélé à l’AFP.

L'ISS en avril 2010. Je vais en offrir un agrandissement à ceux "qui ne supportent pas l'idée".

La deuxième anecdote vient également de cette ex-cosmonaute devenue médecin : selon elle, Elena Kondakova n’aurait jamais pu voler si elle n’avait pas été mariée à un haut responsable du secteur spatial. En 1994, donc. No comment.

Et c’est tout. Depuis, aucune Russe n’a volé. Et actuellement, il n’existe qu’une seule femme dans l’unité des cosmonautes : il s’agit d’Elena Serova, qui s’entraîne pour une mission dans l’ISS en 2014 – soit 20 ans sans femme russe dans l’espace à l’heure où nous célébrons ce 50ème anniversaire du premier vol féminin.

C’était donc du côté soviétique. Mais du côté américain, ce n’est pas beaucoup plus glorieux…

Meilleures candidates, mauvais sexe

Bien entendu, ça n’était pas venu à l’idée de la NASA qu’une femme pouvait faire partie de la compétition – même après le vol de Terechkova qui prouvait que c’était tout à fait possible. D’ailleurs, les mots de Kennedy ne laissaient planer aucun doute : « poser un homme sur la Lune et le faire revenir en toute sécurité sur Terre« . Un « homme », pas une « personne ». Des années avant de constituer l’équipage, c’était déjà acté, puisque les 7 astronautes du projet Mercury (1959) sont des hommes.

Mais William Lovelace, un physicien passionné d’aviation et intéressé par la médecine spatiale, décide de mettre au point Mercury 13 en 1960 : comme pour Mercury 7, ce programme est destiné à former des candidats au poste d’astronaute. Sauf que dans le cas de Mercury 13, il s’agit uniquement de femmes (et c’était une initiative privée, et non d’État).

Les 13 heureuses élues étaient des pilotes confirmées et avaient passé avec succès les mêmes tests physiques, physiologiques et psychologiques que leurs homologues de Mercury 7. Certaines devaient aller passer des tests supplémentaires pour rejoindre la NASA, dont 2 avaient dû quitter leur travail pour ce faire, jusqu’au moment où elles reçurent un télégramme leur annonçant que cette étape était annulée et qu’elles ne pourraient pas faire partie des futurs astronautes officiels.

Jerrie Cobb pendant des tests physiologiques

La raison ? La NASA n’acceptait que les candidatures de pilotes d’essai militaires – profession qui était interdite aux femmes à l’époque. Les Mercury 13 étant pilotes mais dans le civil, elles ne pouvaient donc pas prétendre au poste d’astronaute. Cynisme absolu : la NASA ne faisait donc pas de discrimination de genre puisqu’il s’agissait d’un critère civil/militaire.

Pire encore : John Glenn (2ème Américain dans l’espace) faisait partie des astronautes qui ont étudié l’affaire. C’est lui qui a dû expliquer cette règle aux jeunes femmes… tout en admettant que lui-même n’avait pas le niveau scolaire requis pour entrer dans le corps des astronautes (mais il avait un pénis, vous comprenez, c’est plus facile pour entrer dans le corps – que n’y avaient-elles pas pensé !)

Inutile de préciser que parmi les astronautes sélectionnés, beaucoup d’hommes comptabilisaient moins d’heures de vol que les candidates de Mercury 13. Et que parmi les tests effectués, le record de survie dans un caisson d’isolation sensorielle était de 9 heures, bien loin devant le record suivant, et qu’il est détenu par Jerrie Cobb, une femme. Et aussi que l’entraînement des femmes en URSS (pour trouver Valentina Terechkova) avait permis de constater que les femmes s’adaptaient beaucoup plus rapidement à l’apesanteur que les hommes. (Source)

Mais bon. Un officiel de la NASA de l’époque (et qui n’a pas voulu donner son nom au journaliste) a dit que ça lui faisait « mal au ventre » rien qu’à l’idée d’imaginer une femme dans l’espace, alors…

Ce n’est qu’en 1978 que la NASA ouvrit enfin ses portes aux candidates. Et c’est Sally Ride, une astrophysicienne décédée en juillet dernier, qui sera la première femme américaine dans l’espace en 1983.

1983 ! Il aura fallu attendre 1983 pour que la NASA autorise une femme dans un équipage… L’année de ma naissance…

Depuis, heureusement, tout semble aller de mieux en mieux. Des femmes ont été pilotes de navette et commandant de vaisseau, elles ont fait des sorties extra-véhiculaires et ont été touriste spatiale. Une femme est actuellement directrice des vols spatiaux habités à la NASA et une femme a récemment occupé le même poste à l’ESA.

À l’heure où j’écris cet article, sur les 9 personnes dans l’espace actuellement, 2 sont des femmes (Karen Nyberg, américaine, à bord de l’ISS, et Wang Yaping, chinoise, à bord du Tiangong-1).

Les femmes ne représentent encore que 10 % des êtres humains à avoir voyagé dans l’espace (55 femmes sur 525 astronautes selon les chiffres de juillet 2012) mais les mentalités changent. En tout cas, si tout n’est pas rose (sans mauvais jeu de mot), il semble que les réactions à l’idée d’une femme dans l’espace ne soit plus aussi épidermiques qu’il y a 50 ans.

Du mieux, depuis longtemps, partout. Ou… pas

Du mieux, vraiment ?… On pouvait dire que les choses allaient en s’améliorant (lentement mais sûrement), oui, jusqu’à l’année dernière. Le 16 juin 2012, soit 49 ans jour pour jour après la première femme dans l’espace, la première Chinoise s’est envolée à son tour.

Liu Yang, juste avant son décollage

Sauf que les critères de sélection pour avoir cet honneur étaient… comment dire… Bon. Jugez vous-mêmes (source) :

– être mariée pour être « physiquement et psychologiquement plus mûres » (c’est Zhang Jianqi, ancien député et commandant en chef du programme spatial, qui l’a dit)
– avoir accouché naturellement parce que « quand on a souffert dans les douleurs de l’accouchement, on devient plus fort mentalement, on gère mieux le stress, bref rien à voir avec des jeunes filles sans expérience » (c’est un obstétricien cité par le Chongqing Daily qui l’a dit)
– avoir les dents blanches
– avoir une haleine fraîche
– pas de pieds calleux
– pas d’odeur corporelle

Yin Yang est autorisée exceptionnellement à embarquer quelques produits de beauté. Mais bien sûr, la Chine dément toute opération séduction. Au contraire : c’est une question de survie possible de l’espèce humaine.

Je me disais aussi… La jeune pilote ne pouvait pas être considérée comme une pilote. Enfin. Voyons. Ça ne reste qu’un utérus sur pattes soigneusement épilées, tout de même.

Je ne vais pas commenter plus avant tout ceci sous peine de devenir agressive et vulgaire.

Mauvaise foi historique

Si l’on liste toutes les conditions confondues pour être un parfait astronaute, voici ce que ça donnerait :

– être aussi petit et léger que possible
– être mûr
– être apte
– s’adapter facilement à l’apesanteur
– avoir connu la douleur et le stress d’un accouchement
– avoir une bonne hygiène dentaire et corporelle et des pieds doux
– avoir un utérus pour la survie de l’espèce

Résumons…

– Rappelez-moi la taille et le poids moyen d’une femme par rapport à la taille et au poids moyen d’un homme ? Voilà.
– Les mecs sont mûrs à 43 ans, les femmes à 32 ans, c’est le Daily Mail qui le dit
– Si les femmes n’étaient pas aptes, on le saurait depuis 50 ans, maintenant
– Les femmes s’adaptent plus facilement que les hommes à l’apesanteur
– Les hommes n’ont jamais connu la douleur et le stress d’un accouchement
– Les hommes sont des gros dégueulasses qui puent et qui ont les pieds calleux
– Les hommes n’ont pas d’utérus

Désolée les mecs, mais sur ces critères, ça va pas être possible. Que les 7 qui sont là-haut redescendent immédiatement parce que ça me retourne le ventre, cette idée.

Voilà.

Donc… Peut-on arrêter d’être débiles 5 minutes, maintenant ? Ou à tout jamais, tiens, hein. Ce serait pas mal. En 2013. Amis Chinois (et autres qui seraient tentés par ce genre de discours).

Que peut-on faire ?

Il existe une association qui fait très attention à la place des femmes dans l’aérospatial : Women In Aerospace. Il se trouve que j’étais invitée à la soirée de lancement de son antenne française et que j’ai pu poser quelques questions à Fiorella Coliolo, une astrophysicienne qui fait partie de l’équipe. Voici un résumé de ses réponses :

« La réalité montre qu’il y a des difficulté pour les femmes dans le domaine de l’aérospatial. Cette association a déjà permis d’aider des étudiants grâce à ses bourses ; elle facilite les contacts entre professionnels grâce à sa plateforme d’échange et à ses programmes de mentoring.

J’ai choisi de m’occuper de l’antenne de Paris parce que c’est une ville stratégique dans le domaine spatial. Mon rôle sera d’organiser des événements qui répondent aux objectifs de Woman In Aerospace – Europe : s’assurer une présence équilibrée des femmes à tous les niveaux dans le secteur aérospatial, stimuler et intéresser les jeunes filles aux sciences, et communiquer sur l’importance du spatial dans nos vies quotidiennes.« 

Jean-François Clervoy, astronaute et membre honoraire de WIA-Europe, lors de la soirée de lancement

L’association est ouverte à tous : hommes et femmes. Elle ne souhaite imposer aucun quota ni parité, elle veut juste que les femmes soient mieux représentées, que les postes à responsabilité leur soient accessibles sans plus de difficultés que celles que rencontrent les hommes, et que l’équilibre des genres ne soit plus vu comme un exploit qu’il faut relever mais comme une banale évidence.

Il n’est pas nécessaire non plus de travailler dans le secteur de l’aérospatial pour devenir membre, ni pour liker la page Facebook ou s’abonner au compte Twitter.

Sinon, la Cité de l’Espace accueille une expo pour ce 50ème anniversaire de la première femme dans l’espace en ce moment, et un compte Twitter s’est créé il n’y a pas longtemps sur le thème des femmes et du spatial.

Je suis candidate au projet Mars One qui projette d’envoyer des êtres humains sur Mars pour s’y installer par groupe de quatre : deux hommes et deux femmes à chaque fois. Ça ne m’avait même pas effleuré l’esprit que ce ne soit pas une volonté d’équité, jusqu’à ce qu’on me renvoie (gentiment) à mon statut d’utérus sur pattes. Laissez-moi continuer à vous envoyer chier (moins gentiment) chaque fois que ça arrivera – mais si ça pouvait ne plus se produire, ce serait mieux. Merci.

Ne terminons pas sur une vilaine impression. Voici un message de Karen Nyberg, actuellement dans l’ISS, qui célèbre ce 50ème anniversaire.

[HUMEUR] À celles… qui m’accusent de misogynie complaisante (LOL)

[Les commentaires sont fermés jusqu’à lundi matin. Merci à tous et bon week-end :-)]

Ces derniers jours, un petit groupe de féministes n’a pas tellement aimé le Vinvinteur que nous avons fait sur le sexisme dans la communauté geek. Bon. Pour être féministe moi-même, je sais à quel point le sujet peut être délicat quand ce combat touche autant à coeur. Je comprends donc que l’émission ne leur ait pas plu.


Le Vinvinteur n°22 – Le sexisme sur Internet par levinvinteur

Par contre, je n’admets pas les insultes et autres accusations effarantes qu’elles nous servent depuis des jours entiers. On a le droit de ne pas être d’accord – pas d’agresser ni d’injurier. Je pensais donc faire un billet pour défoncer point par point leurs arguments bidons – ou d’un autre monde.

Et puis en me renseignant sur les personnes à qui j’avais eu affaire, je me suis rendu compte que…

– La jeune femme (@Dame_Moustache) qui me donne des leçons sur la misogynie en entreprise (« Tu ne connais pas cette réalité », m’a-t-elle dit) a 23 ans. J’ai donc travaillé plus d’années que la moitié de sa vie entière.
Elle m’a dit aussi qu’il-ne-faut-pas-rire-des-grands-brûlés-parce-que-les-grands-brûlés-c’est-PAS-drôle. Désolée cocotte, mais j’étais encore la mauvaise cible : j’ai eu une tumeur au cerveau et je suis toujours la première à en rire.
Et de s’enfoncer encore un peu plus : « Ah ouais ?? Et quand tu perdras un proche, tu riras aussi, peut-être !! » Ben ouais. J’ai perdu plus d’arrières-grands-parents que tu n’as (eu) de grands-parents. Et le jour de l’enterrement de ma copine Juliette, suicidée à 25 ans, j’ai dit à mon père en croisant un miroir : « Oh putain, je suis sûre que Juju, dans son cercueil, elle a plus de couleurs que moi. »

Elle a le droit de ne pas rire de ce qui peut (lui) faire mal. Mais qu’elle ne me dise pas de ne pas le faire, moi, si ça me chante. Et je rappelle à cette jeune femme que les grands blessés (au propre comme au figuré) sont souvent les premiers à rire de leurs malheurs.
Je la renvoie pour exemple à l’interview de Jérémy Ferrari que nous avions reçu au Vinvinteur, sur le fait que les handicapés en ont ras-le-bol du misérabilisme et que rire de leur situation est salvateur et rend la vie plus douce.

Pour finir sur l’exemple de cette jeune femme, je me permettrai un conseil (qu’elle sera libre ou non de suivre) : par pitié, ne t’embarque pas dans un débat si tu n’as pas d’arguments plus solides que ça. Ça va que là, en face, c’était moi. Mais si un jour tu fais la même erreur face à un misogyne, tout ce que tu gagneras, c’est de le conforter dans son idée que les femmes sont des idiotes. Alors… pour toi, et pour la cause que nous défendons, abstiens-toi de tenir ce genre de discours bancal. Muscle.

– La jeune femme suivante les cumule : agressive, paranoïaque, insultante envers Jean-Marc, Cyrille et Henri dans un billet qui prouve toute l’étendue de sa bêtise (« La télé, c’est le Mal » – mais oui, meuf, c’est vrai que les féministes comme toi qui partent en guerre à renforts de textes vulgaires et de doigts d’honneurs photographiés et fièrement exhibés devant une poignée de lecteurs, c’est vachement mieux pour la cause féministe que nos interviews de Mar_lard et de Nathalie Magnan sur une chaîne publique…)

Elle va jusqu’à qualifier toute l’équipe du Vinvinteur d’islamophobe… AH AH AH AH AH AH 😀 Entre autres « sexistes, complaisants, inconscients, nases, cyniques », j’en passe et des plus colorés, elle part du principe bien misogyne qu’il ne peut y avoir qu’un mec derrière le compte d’une émission (alors que… COUCOU, je suis la CM n°1, le jeune homme qui travaille avec moi étant surnommé CM2) et elle part du principe qu’on serait assez pourris et malhonnêtes pour « faire disparaître » l’intégralité de l’interview de Mar_lard de notre chaîne Youtube. Ben voyons. J’appelle ça de la paranoïa pure et dure, moi, hein, quand on accuse d’emblée quelqu’un d’une malhonnêteté qui ne s’est pas produite. Mais allez. Mettons tout cela sur le compte d’une ignorance crasse.

– Et enfin, Mar_Lard. Après m’être « clashée » avec elle sur Twitter – un dimanche matin, je m’en serais bien passé, voyez, mais à un moment quand on m’attaque, j’essaye de comprendre.
Il y a deux solutions : soit Mar_Lard est masochiste. Soit c’est une génie du marketing. Je penche évidemment pour la deuxième solution, et ce sans hésitation.
Je parle en connaissance de cause : je me suis, moi aussi, retrouvée ultra-médiatisée du jour au lendemain sans m’y attendre (CF mon CV-vidéo). Moi aussi, je m’en suis pris plein la gueule : des trolls, des mecs qui s’acharnent, des insultes, des « sale pute, cé de la prostitusion, jvé te violé salope cé tou ce ke tu merite », etc etc, pendant des semaines.
Moi aussi, à chaque fois que je répondais à un journaliste ou que j’acceptais qu’on vienne me filmer, je craignais très fort que mes propos soient déformés, sortis de leur contexte, ou qu’on me fasse passer pour celle que je ne suis pas. J’ai eu de la chance : ça ne m’est jamais arrivé. Jamais. Mais si ça avait été le cas…
Comme j’aurais pris soin de ne pas partager le reportage/l’article/l’émission en question !! Comme j’aurais pris soin de ne pas en parler, d’ignorer ceux qui m’en auraient parlé, de n’en faire aucune mention !!…
Or, Mar_lard n’a pas aimé le montage qui a été fait dans le Vinvinteur n°22. C’est son droit le plus total. Mais si elle voulait vraiment que ce discours qu’elle qualifie de biaisé ou de transformé reste inaperçu, je pense qu’il aurait été plus intelligent de nous envoyer un petit mail pour nous faire part de son mécontentement. Et ç’aurait été tout.
Au lieu de quoi elle s’est épanchée, telle un Caliméro 2.0, sur le méchant journaliste machiste (LOL) et le méchant réalisateur islamophobe (re-LOL) du Vinvinteur, sur un réseau social à forte caisse de résonnance. Résultat : des gens qui n’avaient jamais entendu parler du Vinvinteur l’ont découverte… dans le montage que l’on a fait. Malin, Mar_lard. Très malin.

Comme je suis persuadée que cette jeune femme est très loin d’être stupide, comme je reste persuadée que son article sur le sexisme chez les geeks est d’utilité publique, je pense sincèrement que le fait de chi(al)er sur le Vinvinteur n°22 est parfaitement calculé pour faire parler d’elle/de son combat. Par contre, je suis pas sûre que la méthode soit la bonne, non.

Ces 3 exemples de féministes qui 1) pêche par son ignorance et son inexpérience ; 2) pêche par sa bêtise et son agressivité ; 3) pêche par ses méthodes douteuses pour faire parler d’une cause honorable, m’ont convaincue de ne pas justifier point par point ce Vinvinteur n°22. On ne va pas s’énerver pour une poignée d’extrêmistes (oui, ben oui, je persiste et signe, oui) alors que l’émission a été soit très bien reçue (je passe sur les tweets/DM, mails/commentaires de félicitations et de remerciements), soit moins bien reçue mais par des personnes avec des arguments construits et constructifs, qui ne nous accusent pas de tout (et surtout de n’importe quoi).

Je vous laisse donc faire votre propre opinion, mais avant, je voudrais proposer un petit jeu très amusant à ces trois-là qui manquent cruellement d’humour/de recul/d’auto-critique/de détente du string. Aucune chance que ça vous déride, mesdames, mais bon. Je suis une féministe optimiste, que voulez-vous…

Regardez bien les deux images ci-dessous. Les deux sont tirées de deux émissions différentes, de deux chaînes différentes, de deux programmes de natures différentes.
L’une présente des jeunes femmes filmées par un réalisateur et un producteur sans scrupules dans une reproduction de la réalité : premier degré.
L’autre présente des jeunes femmes jouant des personnages dans une fiction où leurs tronches indiquent clairement qu’elles ne cautionnent pas ce qu’on leur propose de faire : second degré.
Saurez-vous les distinguer ?…

La prochaine fois qu’une émission de télévision met en avant votre combat avec des intervenantes qui sont, soit vous, soit des personnes que vous avez appréciées, revoyez vos priorités : demandez-vous s’il n’y a pas d’autres priorités dans votre lutte contre le sexisme à la télévision-diabolique que de pourrir cette émission-là qui vous a donné la parole.

Les femmes et le féminisme s’en porteront bien mieux.

L’intégralité de l’interview de Mar_lard

Le Gros t’Chat avec Nathalie Magnan (qui a été ma prof et co-directrice de mémoire)

[ENQUÊTE] Le Ministère s’efforce de l’art

Les outils de promotion de l’art contemporain français à l’international


La Force de l’Art 02 s’est achevée il y a quelques mois, le succès escompté n’étant pas au rendez-vous. Dans un contexte difficile, il nous a semblé important de nous interroger sur l’état des structures et des soutiens dont disposent les artistes contemporains en France.
Les outils mis en place par les initiatives publiques et privées pour soutenir et promouvoir l’art contemporain français sur la scène internationale sont-ils pertinents ?


 

En 2001, le rapport Quémin intitulé « Le rôle des pays prescripteurs sur le marché et dans le monde de l’art contemporain » est sorti. Ce document, destiné au Ministère des Affaires Etrangères, stigmatise « le lent effacement de l’art français sur la scène mondiale ». A partir d’une analyse comparative, l’auteur, le sociologue Alain Quémin, pointe la défection des artistes français contemporains dans les collections publiques, dans les grandes institutions culturelles de portée internationale, dans le Kunst Kompass (classement réputationnel des artistes faisant référence), dans les foires et les biennales, et enfin sur le marché international des ventes aux enchères.

Alors que l’Angleterre s’est dotée du Prix Turner dès les années 80 ou que les Etats-Unis, « patriotiques, suivent leurs artistes » depuis les années 50, « La France a du mal à défendre ses ouailles, contrairement à d’autres pays bien plus protecteurs ».

 

Excepté le Centre national des arts plastiques (CNAP), organisme public chargé de soutenir et de promouvoir la création contemporaine avec un budget minime (1,269 millions d’euros), la France ne s’est pas dotée d’outil de promotion de son art national avant 2006, date de création de la première triennale d’art contemporain français sous l’égide du Ministère de la Culture : La Force de l’Art. Conçue comme une vitrine de la scène française, la Force de l’Art est-elle une initiative pertinente ?

 

La Force de l’Art : pertinence et étude comparée des deux éditions


 

 

Force de l’Art 1

Force de l’Art 2

COÛT

Ministère de la Culture

3,88 M €

NC

Subventions de l’Etat

2,5 M €

NC

Mécénat

675 000 €

NC

Total

7,05 M

NC

 

 

PRIX ENTREE

Tarif plein

7 € (pour 2 visites)

6 €

Tarif réduit

5 € (pour 2 visites)

4 €

Gratuit

moins de 18 ans

moins de 13 ans

 

 

COMMISSAIRES

15

3

 

 

EXPOSANTS

Exposition principale

200

39

Avec annexes

pas d’annexe

6

 

 

VISITEURS

Exposition principale

80 000

67 286

Avec annexes

pas d’annexe

107 000

La première édition, sous l’impulsion du Premier Ministre Dominique de Villepin, a attiré un nombre honorable de visiteurs (environ 80 000). Quinze commissaires et plus de 200 artistes participants ont donné un aperçu relativement complet « des trente dernières années de l’art en France », commente Gilles Fuchs, président de l’Association pour la Diffusion Internationale de l’Art Français (ADIAF).


Ce dernier a d’ailleurs eu plutôt l’impression d’un « déballage » tandis que la seconde édition, sous l’égide de Christine Albanel, Ministre de la Culture, lui parut plus intéressante, car plus anglée. La Force de l’Art 02 montrait « le point de vue de trois commissaires. Les œuvres furent bien mises en valeur ».


Si une majorité d’artistes louent l’initiative, nombreux sont ceux qui critiquent sa mise en application. Pour la seconde édition, les trois commissaires de La Force de l’Art (Jean-Louis Froment, Jean-Yves Jouannais et Didier Ottinger) ont fait appel à Philippe Rahm, architecte, pour concevoir l’espace d’exposition. La « géologie blanche » figure une « banquise » de box blancs dont les parois sont repoussées, déformées par les œuvres et leurs volumes.


Frédérique Loutz associe cette architecture à une forme de cynisme, une « banquise avec ses artistes-ours en péril ». L’artiste désapprouve un espace qui, contrairement à la visée du projet, ne s’adapte pas à ses pièces : son papier peint a dû être découpé pour pouvoir se conformer aux dimensions de la « géologie blanche ». « Seules les pièces surdimensionnées ont pu résister à l’emprise de la scénographie sur les œuvres présentées. En outre, chaque pièce étant isolée, le dialogue peine à s’établir », regrette-t-elle. « Toute la communication s’est faite autour de la superbe et généreuse idée de l’architecte. Le lien entre les œuvres et les pratiques a été écarté, n’en reste qu’une sensation de cacophonie un peu stérile […] chaque artiste est parqué dans son petit bungalow dans ce village polaire ». Elle déplore que cette manifestation soit loin d’avoir été « une aventure humaine ». L’ambiance est à l’aune de la froideur de la « géologie blanche » : « un des trois commissaires n’a pas eu la politesse de me saluer », et l’a fait se sentir « seule, démunie et éprouvée ».

 

 

 

Force de l’Art 1

Force de l’Art 2

Ministre en charge du projet

Dominique de Villepin

Christine Albanel

Date

10 mai – 25 juin 2006 (41 jours)

24 avril – 1er juin 2009 (36 jours)

Lieu

Nef du Grand Palais

Nef du Grand Palais

Annexes

pas d’annexe

Musée du Louvre

Tour Eiffel

Palais de la Découverte

Musée Grévin

Eglise Saint-Eustache

Espace dédiés aux prix

Prix Marcel Duchamp

pas d’espace dédié aux prix

Prix Ricard

Cependant, elle se dit reconnaissante d’avoir bénéficié d’une bourse du CNAP et d’une résidence à Rome. Elle reconnaît que La Force de l’Art 02 fut bénéfique pour elle, lui assurant une visibilité certaine. Néanmoins, six mois après la manifestation, elle n’a toujours eu aucune proposition d’exposition…

Fayçal Baghriche estime que cette édition fut surtout bénéfique aux jeunes artistes, lui y compris. Dans la mesure où très peu de pièces furent créées pour l’évènement, il s’agit pour les artistes plus reconnus « d’une manifestation de plus à leur actif, mais qui n’apporte pas grand-chose à leur travail ». En tant que commissaire, il estime que le nombre d’artistes exposés est assez juste. Fayçal Baghriche reconnaît que des efforts sont faits du côté du Ministère de la Culture et de la Communication mais qu’il est également avéré que des subventions ont diminué et que certains lieux ferment. Mais, dit-il, on ne peut pas « attendre d’un ministère de droite de mener une politique culturelle de gauche ». Enfin, cet artiste rejoint Frédérique Loutz : « Certaines œuvres étaient mal accrochées, notamment celles d’Anita Molinero ou de Michel Blazy ». Toutefois, il reconnaît que l’importance et les contraintes de l’évènement nécessitent  « négociations et concessions » autant du côté des commissaires que du côté des artistes. Philippe Mayaux, également, regrette que ses peintures exposées à l’extérieur du cubicle (« box » alloué à chaque artiste) cachent celles exposées à l’intérieur…

 

 


 

Quid des femmes ?

Fayçal Baghriche évoque également un problème récurrent : la sous-représentation des femmes à La Force de l’Art, problème symptomatique des expositions françaises en général. Même si Fayçal Baghriche n’est pas « pour la parité dans les expositions ; on choisit de montrer des travaux selon leur pertinence et non selon le sexe de l’auteur », il estime tout de même que « des oublis aussi manifestes ne peuvent être assimilés qu’à du dédain ». Gilles Fuchs est lui aussi partagé sur cette question : « On fait attention à la présence de femmes mais ce n’est pas un critère déterminant. Si on n’avait que des Louise Bourgeois dans notre sélection, on n’aurait que des Louise Bourgeois. Les personnes sélectionnées sont artistes avant d’être femmes. Il est vrai que les artistes promus par les galeries sont en majorité des hommes… Sur neuf prix, nous avons trois femmes. Dans nos jurys, nous avons autant de femmes que d’hommes. En art, il n’est pas essentiel de distinguer les deux genres : si vous lisez un bon roman, il n’est pas nécessaire de savoir si c’est un homme ou si c’est une femme qui l’a écrit. Ce n’est pas vital au niveau de l’organisation de la société. Si vous demandez à Annette Messager si elle est une artiste femme, elle vous griffera et vous dira : je suis UN artiste ».


Ce problème, bien loin d’être anecdotique, mobilise : des groupes militants se forment, notamment sur Facebook. En effet, un groupe intitulé « La faiblesse de la Force de l’Art » a été créé en écho à la lettre ouverte écrite par Isabelle Alfonsi (galeriste et critique d’art), Claire Moulène (journaliste et commissaire d’exposition indépendante), Lili Reynaud-Dewar (artiste et enseignante à l’Ecole des Beaux-Arts de Bordeaux), et Elisabeth Wetterwald (critique d’art et enseignante à l’Ecole des Beaux-Arts de Clermont-Ferrand). Cette lettre vise à dénoncer la faible représentation des femmes, notamment à la Force de l’Art, qui ne comptaient que pour 16% des effectifs alors que « 60% des artistes diplômés des écoles des Beaux-Arts en France sont des femmes. »


Philippe Comtesse, le créateur du groupe, explique : « Cet appel est bien plus large que celui de « La Force de l’Art » qui n’est qu’un symptôme de ce qui se passe dans l’art et la représentation des femmes dans les collections, événements, expositions. Pour ce qui est de mon engagement dans cette histoire, je suis sympathisant féministe. Suite à cet appel, j’ai boycotté l’événement. » Il ne semble pas être le seul concerné. Jihane El Meddeb, auteure et cinéaste présente au vernissage des deux éditions, a déclaré : « J’ai d’ailleurs eu une conversation avec Orlan à ce sujet. J’avais entamé une action relevant le pourcentage de femmes représentées lors de ces expositions alors que je ne suis pas « féministe » pour un sou… » Et Polina, une amatrice d’art contemporain qui ne se sent pas non plus particulièrement proche d’un quelconque mouvement féministe, avoue : « Oui, les artistes femmes ne sont pas assez représentées, mais ce n’est pas spécifique à la Force de l’Art, c’est tout le milieu de l’art en général. »

Outre le manque de femmes, il y a un problème de représentativité au niveau du territoire puisque le commissariat trahit un certain parisianisme.

 

Monumenta, l’autre cheval de bataille du Ministère de la Culture

Monumenta est une manifestation créée dans le but de « montrer l’art contemporain au public le plus large grâce à l’attractivité du bâtiment et à la possibilité de créer un projet d’amplitude en ce lieu. Le deuxième objectif est de montrer la vitalité de la scène française à l’international ». Quand on s’étonne de ce qu’Anselm Kiefer et Richard Serra, les deux artistes précédents de Monumenta, ne sont pourtant pas Français, Catherine Grenier répond : « Anselm Kiefer vit en France depuis plus de quinze ans, c’était important de montrer qu’un artiste international a choisi de vivre en France. Il est important d’avoir des artistes internationaux car, en plus d’affirmer la créativité française, le but est de montrer que Paris compte sur la carte internationale ». La presse étrangère est très demandeuse d’interviews de Christian Boltanski, l’artiste exposé de Monumenta 2010 (en cours), plus que la presse française qui l’a couvert quand même très largement, des revues spécialisés aux journaux généralistes. Quant aux subventions allouées à l’évènement, elles viennent pour un tiers de l’Etat, un tiers du mécénat, et le tiers restant dépendant de la billetterie.

 

 


 

Gilles Fuchs rappelle à quel point ces initiatives sont capitales pour la visibilité de l’art français… et pour son existence tout court : « La Force de l’Art et Monumenta sont essentiels. C’est ce pour quoi nous nous sommes battus, pour montrer qu’un art français existe. Tout le monde parle d’art chinois, indien, islamique, américain, russe, etc. Pourquoi n’y aurait-il pas un art français ? Si le créateur d’Abidjan faisait la même chose qu’un artiste du 7ème arrondissement de Paris, quel ennui ! Des personnes comme Olivier Kaeppelin ou des organismes comme le Prix Ricard ou l’ADIAF ont beaucoup œuvré en ce sens. Maintenant on ne rit plus lorsqu’on parle d’art français même si la spéculation va moins vite en France qu’ailleurs. Le principe est de montrer un point de vue français ».

 

Les initiatives privées : le Prix Marcel Duchamp et le Prix Ricard

Créé en 1994, l’ADIAF est un organisme privé de mécénat culturel fondé par Catherine Millet, Daniel Abadie, Daniel Templon et Gilles Fuchs ayant pour but de faire connaître à l’international la scène contemporaine française. En 2000, ce regroupement de collectionneurs se dote du Prix Marcel Duchamp, prix prestigieux récompensant le travail d’un artiste contemporain français ou vivant en France.
L’artiste primé reçoit une dotation financière de 35 000 euros et est exposé au Centre Pompidou qui éditera un catalogue.

 

 

 


Le rapport Quémin met en exergue la nécessité pour les artistes français d’être intégrés dans les collections permanentes. Or, l’obtention du Prix Ricard permet justement aux artistes d’entrer dans les collections permanentes du Centre Pompidou. Le Prix Marcel Duchamp affiche-t-il, lui aussi, une volonté de suivre les conseils du rapport Quémin et de pérenniser les œuvres des artistes primés ?

 

« Nous sommes suivis par le Centre Pompidou : ce dernier possède déjà les artistes que nous primons et, si ce n’est pas le cas, les achète. Sur les quarante-trois nominés de cette année, le Centre Pompidou a dans ses collections permanentes trente-sept d’entre eux. Depuis la création du Prix Marcel Duchamp, le Centre Pompidou a acquis une cinquantaine d’oeuvres des artistes que nous avons sélectionnés. C’est une réelle chance pour les artistes car le Centre Pompidou accueille quelque 70 000 visiteurs. La question des expositions temporaires ou permanentes est difficile. En effet, si un musée qui se veut dynamique est obligé de montrer ce qui se passe actuellement, son but premier est de conserver, d’acquérir, d’organiser ses collections permanentes. Bien sûr, on a envie d’avoir l’avis du Centre Pompidou sur l’actuelle mais il y a aussi d’autres endroits pour le faire ».


Les deux prix n’entretiennent pas des rapports concurrentiels. En effet, la sélection du Prix Marcel Duchamp consacre des artistes d’une quarantaine d’années, ayant déjà une certaine visibilité sur la scène internationale, tandis que le Prix Ricard récompense des artistes émergents. « Le Prix Ricard et nous », explique Gilles Fuchs, « avons un fonctionnement différent : ils élisent des artistes plus jeunes que nous et ont un mode de sélection différent. Les membres collectionneurs votent mais c’est au conservateur qu’appartient la décision finale. Comme il n’y a que des collectionneurs, le choix est moins aisé. Notre jury est composé de professionnels qui connaissent les œuvres. C’est un jury international composé de sept personnes qui choisit le lauréat. Les membres fixes sont madame Matisse, à qui appartiennent les droits des œuvres de Marcel Duchamp, le directeur du Musée national d’art moderne Alfred Pacquement et le président de l’ADIAF, c’est-à-dire moi-même. A cela il faut ajouter deux collectionneurs et deux conservateurs, tous d’envergure. Le jury est à moitié composé d’étrangers afin d’éviter un choix hexagonal et le diktat des institutions françaises ».

 

De la nécessité des institutions…

« Bien que conscient de représenter une identité particulière à travers mon activité d’artiste,je ne crois pas au concept de promotion d’un art national à l’international ». Saâdane Afif est lauréat du Prix Marcel Duchamp 2009, prix attribué par l’ADIAF « initiative pour contribuer au rayonnement de la scène française sur le marché mondial». Cependant, cet artiste contemporain ne désire pas s’exprimer sur la question des institutions, question selon lui « dépassée, que l’on pose depuis dix, quinze ans ».

La volonté pour un artiste de ne pas être institutionnalisé semble compréhensible.

Y a-t-il une visibilité possible des artistes en dehors des institutions ?

 

 

Ornella Lamberti

Florence Porcel

Boris Tampigny

Ca peut vous intéresser :

Les
hommes en Force de l’Art contemporain

 

C’est beau, c’est bien,
c’est Bel. Ou non.

Par ordre d’apparition : une
performance qui danse le serpent dans la blancheur cubique

Rosas danst Rosas : un spectacle nerveux au minimalisme
entêtant

La culture à (très) moindre
coût


Littérature, internet, nouvelles
technologies : débuts poussifs d’un ménage à trois qui promet