[PHYSIQUE] Je suis le Boson de Higgs et je vais vous expliquer qui je suis

C’est officiel et (presque) certain : j’existe. Les scientifiques terriens ont réussi à voir des preuves de mon existence, moi qui jouais à cache-cache avec eux depuis plus de 40 ans et qui changeais de place sans arrêt, instable que je suis.

Mais les blagues les plus courtes sont les meilleures (oui, oh, ben, à l’échelle du cosmos, 40 ans, c’est court !) et j’ai enfin bien voulu montrer le bout de mon spin nez. Me voici donc sous les instruments ébahis du LHC, à grand renfort d’énergies considérables à l’échelle humaine et me montrant derrière des chiffres, des courbes et des graphiques. Mais qui suis-je ?…

Si vous ne comprenez rien à la vidéo ci-dessous, alors lisez la suite.

The Higgs Boson Explained from PHD Comics on Vimeo.

 

Pour me présenter le plus simplement et le plus précisément possible, j’ai besoin de vous expliquer le tableau général dans lequel je m’inscris. (D’avance, amis scientifiques, veuillez accepter mes excuses : pour faire limpide, j’ai besoin d’utiliser quelques raccourcis certes grossiers mais néanmoins indispensables.)

Un seul Univers, deux mondes physiques

L’Univers physique se compose de deux mondes, hélas pour l’instant distincts (j’y reviendrai) : l’infiniment grand (les planètes, les étoiles, les nébuleuses, les galaxies, etc) et l’infiniment petit (les atomes, les particules, les quarks, etc).

Vous, Terriens, vous vous situez un peu entre les deux : vous êtes des composés d’atomes (eux-mêmes composés de particules) qui vivez sur une petite planète autour d’une étoile de taille moyenne située dans une galaxie, la Voie Lactée, tout à fait banale.

Et vous avez donc réussi, jusqu’ici, à élaborer deux théories formidables pour expliquer les phénomènes physiques : la théorie de la Relativité générale qui explique l’infiniment grand (le mouvement des objets célestes, la vitesse de la lumière, les courbures de l’espace-temps, etc) et le Modèle standard de la physique des particules qui explique les phénomènes au niveau quantique (l’infiniment petit).

Mais il y a quelques couilles dans le potage (si je puis me permettre). Quelques détails du Modèle standard vous échappent toujours ou sont en cours de validation (c’est mon cas, j’y reviendrai), et surtout, ces deux théories expliquant les deux facettes de l’Univers sont incompatibles entre elles. Comme si deux mondes totalement différents composait notre unique Univers… Cela paraît impossible, et pourtant…

Un seul Univers, une physique unique ?

Depuis Einstein, les physiciens tentent d’unifier ces deux grandes théories dans une théorie «du tout» : une seule série d’équations qui expliquerait aussi bien les phénomènes de l’infiniment grand que ceux de l’infiniment petit.

La théorie des cordes est pour l’instant celle qui s’en approche le plus, mais elle pose encore problème et est quasiment impossible à vérifier par l’expérience : elle part du principe que tout dans l’Univers – la matière, l’espace, le temps – est composé non pas de particules mais de cordes de taille infinitésimales qui vibreraient différemment.

Les 4 forces fondamentales de l’Univers

Mais revenons à nos bosons moutons. L’univers physique est composé de 4 forces fondamentales :

– La plus connue, qui est aussi la plus faible de toutes, est la gravité. Elle est responsable de la chute des corps, des marées, de la forme sphérique des étoiles et des planètes, et de tous les mouvements au sein de l’Univers.

– La moins populaire est l’interaction faible. C’est pourtant grâce à elle que les étoiles existent puisqu’elle est responsable de la fusion nucléaire au sein des atomes qui permet leur formation.

– Plus fort que l’interaction faible, l’électromagnétisme nous est assez familier puisqu’il prend en compte beaucoup de phénomènes de notre quotidien : l’électricité, le magnétisme, la chimie, la lumière…

– Et enfin, la force la plus puissante de toute est la bien-nommée interaction forte. C’est elle qui maintient collés les quarks (particules élémentaires qui forment le noyau atomique) à l’intérieur des atomes pour que leurs noyaux puissent se tenir formés.

Sans ces quatre forces, rien ne serait possible : l’électromagnétisme, l’interaction faible et l’interaction forte, qui agissent dans l’infiniment petit (et qui font donc partie du domaine quantique et du Modèle standard), permettent à la matière de se former et de se maintenir.
La gravité, dans l’infiniment grand (expliquée par la Relativité générale), fait en sorte que toute cette matière se regroupe (pour former des étoiles, des galaxies, des planètes), garde vitesse ou inertie, et s’influence à échelle cosmique.

Bref : une faiblesse dans l’une ou l’autre de ses forces, et l’Univers tel que nous le connaissons ne serait pas possible.

La mécanique des forces

Quel est le rapport avec moi, vous demandez-vous ? Excellente question : nous y arrivons.

Ces forces ne sont pas quelque magie impie sortie de nulle part : elle viennent d’un même endroit/moment (le Big Bang) et elles s’expliquent selon des principes physiques plus ou moins bien connus.

La gravité est la force que nous connaissons le moins bien : les physiciens imaginent qu’elle est transportée par une particule nommée graviton. Mais rien n’est moins sûr – laissons-la donc de côté, puisque de toute façon elle n’a aucune influence sur l’infiniment petit qui est le monde dans lequel je vis.

L’électromagnétisme est une force véhiculée par une particule dont vous avez sans doute déjà entendu parler : le photon.

L’interaction forte est transportée par une particule nommée gluon (moyen mnémotechnique : elle tient les quarks collés ensemble, c’est donc une sorte de super glu !).

Quant à l’interaction faible… et nous y voilà : elle est véhiculée par différentes sortes de particules que l’on nomme boson. Il en existe plusieurs – pour différentes sortes de tâches – et je suis l’un d’entre eux !

Le boson de Higgs, un boson particulier

Mais qu’est-ce qui fait ma particularité ? Après tout, j’ai trois frères bosons et on n’en fait pas tout un plat.

Oui, mais voilà… Je suis la réponse à plusieurs questions un peu importantes quand même :

– Pourquoi certaines particules ont des masses et d’autres pas ? (Ce qui a permis la formation d’atomes plus ou moins lourds, et donc la diversité des éléments, et donc tout dans l’Univers de A à Z en passant par la vie…)

– Sachant que peu après le Big Bang, l’électromagnétisme et l’interaction faible étaient une seule et même force (la force électrofaible), alors pourquoi le photon (vecteur de l’électromagnétisme) a une masse nulle et a donc la vitesse la plus rapide existante, alors que les bosons Z et W (vecteurs de l’interaction faible) possèdent une masse, sont donc lourds, et se déplacent donc moins vite ?

– Qu’est-ce qui a fait que cette force se soit scindée en deux à un moment pour conduire à deux forces aux propriétés si différentes ?

La réponse à toutes ces questions est (en toute modestie) : moi.

Une vinaigrette cosmique

Juste après le Big Bang (on parle de l’ordre de milliardième de milliardième de seconde, hein), l’Univers était encore une espèce de soupe concentrée où les quatre forces fondamentales, pense-t-on, n’en faisaient qu’une.

Comme je vous le disais tout à l’heure, le Graal des physiciens serait de trouver la théorie de l’unification pour enfin expliquer en une seule formule tout et absolument tout, dans l’infiniment grand et l’infiniment petit.

En remontant le temps jusqu’à cette soupe, ils essayent donc de prouver que les 4 forces n’en étaient qu’une en les unifiant les unes aux autres.

Or, si la gravité semble ne vouloir se mêler à aucune autre (elle est un peu prétentieuse…), les scientifiques ont pu prouver qu’à un certain moment dans l’histoire de l’Univers, juste après le Big Bang, donc, l’électromagnétisme et l’interaction faible se rejoignaient pour faire la force électrofaible.

Revenons à notre soupe concentrée. L’univers, à ce stade de son histoire, était très très très dense et très très très chaud, vous imaginez bien, puisqu’il sortait tout juste d’une «explosion» à l’énergie colossale.

Mais plus il grandissait, plus il perdait d’énergie, plus il se refroidissait. A ce stade, la métaphore de la soupe n’est pas géniale, oubliez tout et remplaçons-la par de la vinaigrette. Quand vous faites de la vinaigrette et que vous la remuez avec énergie, on obtient une substance à peu près homogène.

Mais si vous la laissez reposer, l’énergie s’amenuise et ne tient plus vraiment le mélange comme une substance homogène : au bout d’un certain temps, le vinaigre et l’huile vont se séparer et vous les retrouverez l’un en bas, l’autre posé au-dessus.

C’est qui s’est passé à 10-10 secondes après le Big Bang : l’Univers s’étant «refroidi» à 1015 degrés (contre 1018 pour la vinaigrette mélangée), la baisse de température a provoqué une «brisure de symétrie» : comme l’huile et le vinaigre qu’on a vu se dissocier à l’intérieur d’une même substance nommée vinaigrette, la force électrofaible s’est divisée en interaction faible et en électromagnétisme.

Et c’est à ce moment précis que je suis né : je suis le fils de la brisure de symétrie. (Qui a également engendré le divorce entre l’électromagnétisme et l’interaction faible, mais que voulez-vous, hein, c’est un mal pour un bien !)

Un twapéro cosmique

A partir de ce moment-là, tout est simple : j’ai baigné tout l’Univers. Enfin… pas moi tout seul évidemment : avec mes jumeaux, on a constitué ce qu’on appelle un champ de Higgs, une sorte de piscine uniquement composée de bosons de Higgs.

Et comme ce champ baignait tout l’Univers, donc, les particules n’avaient pas d’autre choix que de me traverser, et notamment les autres bosons, vecteurs de l’interaction faible (jeune divorcée), et les photons, vecteurs de l’électromagnétisme (jeune divorcé).

Mais par quel truchement les photons et les bosons qui ont traversé mon champ tout pareil, vindiou de vindiou, se sont retrouvés l’un avec une masse nulle, et l’autre avec une masse non nulle ?

C’est très simple. (MAIS SI.)

Imaginez un twapéro. Jusqu’ici ça va, ce sont des métaphores familières ? Oui ? Bon. Poursuivons.
Imaginez un twapéro bucolique organisé dans un champ, où les twittos et les twittas représentent chacun et chacune un moi-même.
Vous êtes donc, bosons de Higgs métaphoriques, dans ce champ, un verre de limonade à la main, en train de discuter, d’échanger les derniers potins, et de vous demander quand @Soleil_VL va enfin réussir à pécho @Lune_VL. Bon.

Au fur et à mesure, plusieurs nouveaux arrivants arrivent (ce qui est normal pour un arrivant, vous en conviendrez.) Plus l’arrivant a un nombre de followers élevé, plus il est connu d’un nombre important d’entre vous, plus le mouvement de foule pour l’accueillir sera grand.

Exemple :

@Terre_VL arrive dans le champ. Elle a 170 abonnés. C’est peu. Rares seront ceux qui viendront donc à sa rencontre : elle pourra avancer dans le champ sans trop de difficulté, avec légèreté, donc sans trop de masse. (Admettons qu’elle symbolise un neutrino.)

– Vient ensuite @FlorencePorcel (elle m’accueille sur son blog, faut bien que je sois un peu lèche-botte, hein). Avec ses 6270 abonnés, elle a déjà bien plus de chances de se faire souhaiter la bienvenue par nombre d’entre vous : comme vous êtes nombreux à vous regrouper autour d’elle, son avancée sera beaucoup moins fluide que celle de @Terre_VL. Elle aura besoin de plus d’énergie pour traverser le champ et a donc une masse plus importante. (Admettons qu’on elle symbolise un quark.)

– Et soudain, @sgtpembry fait son apparition. (Un Terrien fort sympathique, ce @sgtpembry, j’ai un faible pour lui – un comble pour un vecteur de force, mais que voulez-vous… Il a fait un sketch sur mon monde que j’aime beaucoup, alors… Tenez, je vous le mets là-dessous, je suis assez cool, comme boson.)

Donc @sgtpembry arrive dans le champ. Lourd de 88 500 abonnés, toutes les personnes présentes meurent d’envie d’aller à sa rencontre. Du coup, c’est la cohue, il ne peut pas avancer, comme s’il pesait une tonne : dans le champ, vous, petits bosons de Higgs, lui conférez une masse importante. (Admettons qu’il symbolise le boson Z.)

Et puis, plus tard dans la soirée, Marion Le Photon fait son apparition. Sauf que personne ne la voit ni n’interagit avec elle, puisqu’elle n’est pas sur Twitter mais uniquement sur Google +. Notre pauvre Marion traverse dont le champ sans être jamais freinée, ce qui lui confère une masse nulle…

Fin de la métaphore filée. Voilà. C’est plus clair, maintenant ?

En interagissant avec moi dans mon champ, les particules élémentaires prennent une masse – ou pas.

Sans moi, tout filerait à la vitesse de la lumière (celle de Marion Le Photon). Il n’y aurait donc pas vraiment de différence entre les différentes particules. Elles ne s’associeraient pas, ne formant pas de noyau, donc pas d’atomes, donc pas de molécules, donc pas de matière, donc pas de vie.

M’avez-vous compris ?

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Si vous voulez savoir d’où c’est-y que je viens causer sur un blog, suivez le guide qui vous présentera la genèse de ce projet.

Votre serviteur, @BosonDeHiggs_VL

(NB – L’infographie ci-dessous est chouette mais elle contient une grossière erreur. Sauras-tu la retrouver ?…)

[LIVRE] « La théorie des cordes » : un polar scientifique aux frontières de l’horreur et de la métaphysique

José Carlos Somoza livre avec ce sixième roman un polar glaçant qui se base sur la théorie de la physique la plus excitante de ces dernières années : la théorie des cordes. Sa technique de narration sans faille est au service d’une histoire oppressante, mais qui finalement amène des réflexions salutaires.

Il est des romans dont on voudrait qu’ils ne finissent jamais. La théorie des cordes de José Carlos Somoza est de ceux-là. L’auteur cubain joue avec nos nerfs : chaque page que l’on tourne nous précipite un peu plus vers la fin d’un plaisir de lecture absolument divin, et ce n’est pas concevable. Mais ce qui l’est encore moins, c’est d’attendre une autre interminable nanoseconde pour découvrir ce qui se cache sur cette « page d’après » tant redoutée. Et c’est justement de temps, d’infimes portions de temps qui peuvent s’allonger à l’infini, dont il est question dans ce roman. Le fond, la forme, tout est lié.

Une théorie complexe mais fascinante

Que les non-spécialistes se rassurent : la théorie des cordes n’est qu’un prétexte à l’intrigue. José Carlos Somoza vulgarise à merveille cette théorie complexe de la physique qui part du principe que tout dans l’univers (la matière, les forces, la lumière et… le temps) est composé de cordes de taille infinitésimale et non de particules – réalisant par là même le rêve d’Einstein en englobant dans une seule théorie sa fameuse relativité générale (pour l’infiniment grand) et la physique quantique (pour l’infiniment petit).

Une expérience qui tourne mal

Des procédés révolutionnaires de recherche sont donc mis en œuvre dans ce livre. Une équipe de scientifiques est recrutée pour participer à un projet classé secret-défense. Il consiste à ouvrir des cordes de temps et à fixer sur un support physique les photons qui s’en échappent… pour obtenir ainsi une image du passé. Malheureusement, un accident se produit lors d’une expérience et le projet est abandonné. Mais dix ans après, une série de meurtres survient, ne touchant que les personnes qui y ont participé. S’engage alors une course contre la montre pour les survivants qui doivent faire face à des assassinats de plus en plus nombreux et de moins en moins explicables scientifiquement…

Un polar haletant

José Carlos Somoza livre avec ce roman un polar d’une efficacité redoutable. Le rythme est soutenu, le suspense insupportable, la narration chiadée ; les personnages sont incarnés, l’horreur est à son comble et l’atmosphère se fait de plus en plus étouffante. L’auteur réussit l’exploit de ne jamais tomber dans les clichés du genre tout en les effleurant quand même pour ne pas perdre son lecteur. Mais son talent culmine à des sommets rarement atteints dans les toutes dernières lignes, nous offrant une chute prenant de court les lecteurs les plus perspicaces.

De la physique à la métaphysique

Au-delà de son génie littéraire, José Carlos Somoza, un ancien psychiatre, pose avec ce roman se basant sur la physique un certain nombre de questions métaphysiques universelles. Rabelais et son « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » prend ici toute son importance dans des considérations qui pourraient sembler manichéennes à première vue, mais qui finalement évitent cet écueil. Plus profonde encore, la réflexion sur la nature humaine et ses zones d’ombre fait écho à toutes les questions que chacun s’est posées un jour, en les mettant en lumière sous un angle différent – et d’autant plus enivrant.

SOMOZA José Carlos, La théorie des cordes, Actes Sud, 2008, 600 pages – 11,50€