[SPECTACLE] C’est beau, c’est bien, c’est Bel. Ou non.

Cédric Andrieux, spectacle de non-danse de Jérôme Bel avec Cédric Andrieux, s’est joué ce 14 décembre 2009 au Théâtre de la Ville à Paris. Non-critique.

Puisque vous ne me voyez pas, je vous décris la scène. Je suis dans une pièce banale, ni trop grande, ni trop petite, dans laquelle se trouvent un bureau, une chaise, un ordinateur. Je suis à mon clavier, un thé fumant à côté de moi. Je suis une travailleuse comme les autres. J’écris.

J’écris depuis que je sais écrire. Ces mots, sans cesse, qui m’ont apprivoisée plus que l’inverse. La grammaire, la conjugaison, les figures de style, la ponctuation ; toutes ces règles à la base de l’écriture qu’il faut apprendre, s’approprier, répéter, intégrer dans la douleur, dans les mêmes exercices, sans cesse, jusqu’à la nausée, jusqu’à la crampe intellectuelle.

Cédric Andrieux, 32 ans, danseur, de Brest, est seul sur scène, sans costume, sans décor. Un survêtement, un sac de sport, une bouteille d’eau à ses pieds. Il ne danse pas, il raconte sa vie de danseur. Comment, à l’adolescence, il choisit de vouer son existence à cet art. Il nous raconte ses cours, ses études, les compagnies dans lesquelles il s’est intégré.

J’ai appris la littérature, j’ai appris l’écriture journalistique, j’ai pris des cours, j’ai lu des livres, des articles, des critiques. Des critiques, surtout. Observer sans cesse, tenter de reproduire le geste, le style, la forme. Se tromper, recommencer, déchirer la feuille, ne pas enregistrer les modifications, ouvrir une nouvelle page, s’acharner, souffrir, pleurer. Et un jour, le texte. Jugé, bien sûr. Maladroit encore, mais on me dit que l’équilibre est là, la technique aussi. L’âme viendra. (Ah, penser à racheter du thé à la framboise.)

La compagnie de Merce Cunningham, notamment, dans laquelle il est resté huit ans. Alors des  fois, Cédric Andrieux, dans ce spectacle éponyme, danse. Oh à peine, c’est un danseur qui prête son corps au concept du chorégraphe Jérôme Bel, il ne voudrait pas déstabiliser son public. Un danseur qui danse – nous ne sommes pas prêts. Jérôme Bel aime d’ailleurs « casser l’attente du public ». Alors, cassée, l’attente ? Non. On attend. Inexorablement.

1816 signes, déjà. Ma critique suit la construction que j’avais imaginée, peut-être que le ballet final des mots permettra une esthétique ; peut-être que les lecteurs, en me lisant, auront une émotion, ou le sentiment d’avoir fait une rencontre. En tout cas, je suis tellement concentrée sur la technique, si exigeante, si compliquée, j’en oublie le reste.

Je critique peu le spectacle bien sûr – mon dieu, qui suis-je ? J’ai mes maîtres, mes mentors, mes modèles ; je les respecte infiniment et préfère les raconter plutôt que de les singer. Bien sûr, comme les danseurs. Des rencontres qui m’ont forgé le caractère, d’autres qui m’ont emballée, d’autres qui m’ont ennuyée.

La voix de Cédric Andrieux est posée, placée, mais monotone. Si Jérôme Bel est un passeur, il n’y connaît rien à la musique. Ça se non-entend. Ce n’est pas du théâtre, ce n’est pas de la danse, c’est de la non-danse. C’est conceptuel, comme l’indique le programme : le nom de Jérôme Bel n’apparaît pas après « chorégraphie » (absent) mais après « concept ».

Alors à quoi sert Cédric Andrieux, au fond ? La question se greffe à chaque unité de temps des 75 minutes du spectacle. Et elle se pose : Le Monde, dans sa critique du spectacle, le fait à quatre reprises. Finalement, à rien, à tout ; c’est de l’art.

Enfin là, en l’occurrence, rendons hommage à ce spectacle : du non-art.

[ITW] Pénélope Bagieu, illustratrice qui croque le quotidien

Pénélope Bagieu, plus connue par les internautes sous le nom de Pénélope Jolicœur, est une jeune illustratrice parisienne de 27 ans. Diplômée de l’ENSAD où elle a suivi des études de cinéma d’animation, c’est par son blog qu’elle s’est fait connaître du grand public, en y racontant avec des illustrations toujours plus drôles des anecdotes de son quotidien.

Bonjour Pénélope… Bagieu ? Jolicœur ? Quelle différence (ou pas !) faites-vous entre les deux ?

« penelope-jolicoeur » est l’URL de mon blog. Ce n’est donc ni un personnage, ni un pseudonyme.

INTERNET : « C’est grâce à mon blog qu’on m’a proposé de publier ma première BD. »

 Votre blog rencontre un grand succès. L’avez-vous créé par envie ou par besoin ?

Je l’ai créé pour dessiner en-dehors de mon travail d’illustratrice, sans brief, sans commande et surtout sans recevoir l’avis de personne. La mise en forme « blog » me permet de ne pas avoir de feuilles de croquis qui s’empilent jusqu’au plafond. Quant au fait de raconter des petites anecdotes de ma vie de tous les jours, ça évite de me prendre trop de temps ou de trop me casser la tête à chercher des histoires.

http://penelope-jolicoeur.typepad.fr/.a/6a00e551dd382d88340120a66f647e970c-pi


Est-ce que votre blog vous a aidé à décrocher des contrats ?

Des contrats, non : dans la publicité, on distingue bien les illustrateurs professionnels des gens qui font ça pour le plaisir. En revanche, c’est grâce à mon blog qu’on m’a proposé de publier ma première BD.

Vous êtes devenue une « blogueuse influente ». Est-il arrivé que des amitiés à l’intérieur de la blogosphère se transforment en amitiés « réelles » ?

Non. Mais je suis devenue amie avec des auteurs à force de les croiser dans les salons et les festivals.

SOCIETE : son image de parisienne ? « Rien de très fou-fou ! »

La presse vous présente souvent comme le parfait exemple de la parisienne moderne. Aviez-vous conscience de cette image ? Comment vous en accommodez-vous ?

Je ne sais pas trop. Comme je n’ai jamais vécu ailleurs, je n’ai pas trop de points de comparaison. En fait, ça doit surtout être l’image de n’importe quelle fille de mon âge qui vit dans une ville, et qui jongle donc entre le boulot, le mec, les copines, les sorties et le supermarché qui ferme à 22 heures. Rien de très fou-fou !

Comment définiriez-vous la « Parisienne » ?

Aucune idée !

ARGENT : « Je vis très décemment. »

Vos activités d’illustratrice vous amène à travailler dans divers domaines : la publicité, la bande dessinée, l’édition, la presse, etc… Lequel est le plus lucratif ?

La pub, sans aucune hésitation ! Mais c’est aussi le moins rigolo. On ne peut pas tout avoir !

Vivez-vous décemment de votre talent ?

Je vis très décemment, même. La première année, j’ai gagné aux alentours de 2 ou 3000 euros par mois. J’ai eu beaucoup de chance et j’ai été très bien entourée. Même si c’est évidemment très aléatoire, surtout dans la pub : on a parfois une grosse commande, et parfois plus rien pendant des mois. Et dans l’édition, on gagne moins, forcément.

CULTURE : « J’avale quotidiennement mon poids en BD. »

Quelles sont vos pratiques culturelles ?

J’essaye de voir au maximum en concert les groupes et les chanteurs que j’aime, parce que c’est le dernier moyen de rémunérer leur travail. Ce n’est pas en achetant leur album à 9 euros sur iTunes que je vais encourager les petits groupes qui démarrent, hélas ! Et comme j’ai la chance d’avoir la plupart des concerts dans ma ville, voire dans mon quartier, je ne m’en prive pas.

Je vais au cinéma au moins une fois par semaine depuis que j’ai la carte MK2-UGC. Quant au spectacle vivant, une fois par mois seulement. C’est malheureux à dire, mais uniquement par manque d’accompagnateur ! J’ai découvert la danse contemporaine depuis peu et j’adore ça, mais je manque cruellement d’amis amateurs…

En littérature, j’aime beaucoup les auteurs américains, mais pas forcément très récents. Et j’avale quotidiennement mon poids en BD.

http://penelope-jolicoeur.typepad.fr/.a/6a00e551dd382d883401156fcc4735970b-pi

Si 2012 était la fin du monde et que vous aviez la possibilité d’émigrer sur Pandora, que sauveriez-vous de notre patrimoine culturel ?

Les vins de Bourgogne, sans hésiter.

MEDIAS : « Je ne veux pas qu’on me dise ce que je dois manger pour rentrer dans un 34. »

Quel est votre rapport à l’actualité ?

Je la suis suffisamment pour être sûre de ne pas passer à côté de LA grosse info.

Quelles sont vos pratiques d’accès à l’information ?

Je suis abonnée au Monde, même si au final, quand je rentre chez moi le soir et que je le prends dans ma boîte aux lettres, j’ai déjà lu toute l’actualité chaude sur leur site internet ou sur leur application iPhone. Mais rien ne remplace la version papier pour moi, c’est vraiment mon petit rituel.

A part ça, je lis quelques rares hebdomadaires, comme le Courrier International. Et en radio, je n’écoute pas du tout les infos, mais seulement des émissions, avec deux rendez-vous incontournables tous les jours sur France Inter : « 2000 ans d’histoire » de Patrice Gélinet, et « La tête au carré » de Mathieu Vidard.

Et sinon, à part la presse people, rien ! Et surtout pas de magazines féminins.

Pourquoi ?

Parce que ça m’ennuie. Si je veux de l’info, je préfère lire de la presse généraliste ; si je veux voir des fringues, je préfère la rue ou internet ; et si je veux du potin, je préfère Voici ! Je ne veux pas qu’on me dise ce que je dois manger pour rentrer dans un 34 ou à quelle œuvre humanitaire envoyer mes dons.

Si j’étais la représentante de tous les journalistes de France, qu’auriez-vous envie de me dire ?

Courage !

Que peut-on vous souhaiter pour 2010 ?

Du temps libre !

Propos recueillis par Florence Porcel

[LIVRE] « La théorie des cordes » : un polar scientifique aux frontières de l’horreur et de la métaphysique

José Carlos Somoza livre avec ce sixième roman un polar glaçant qui se base sur la théorie de la physique la plus excitante de ces dernières années : la théorie des cordes. Sa technique de narration sans faille est au service d’une histoire oppressante, mais qui finalement amène des réflexions salutaires.

Il est des romans dont on voudrait qu’ils ne finissent jamais. La théorie des cordes de José Carlos Somoza est de ceux-là. L’auteur cubain joue avec nos nerfs : chaque page que l’on tourne nous précipite un peu plus vers la fin d’un plaisir de lecture absolument divin, et ce n’est pas concevable. Mais ce qui l’est encore moins, c’est d’attendre une autre interminable nanoseconde pour découvrir ce qui se cache sur cette « page d’après » tant redoutée. Et c’est justement de temps, d’infimes portions de temps qui peuvent s’allonger à l’infini, dont il est question dans ce roman. Le fond, la forme, tout est lié.

Une théorie complexe mais fascinante

Que les non-spécialistes se rassurent : la théorie des cordes n’est qu’un prétexte à l’intrigue. José Carlos Somoza vulgarise à merveille cette théorie complexe de la physique qui part du principe que tout dans l’univers (la matière, les forces, la lumière et… le temps) est composé de cordes de taille infinitésimale et non de particules – réalisant par là même le rêve d’Einstein en englobant dans une seule théorie sa fameuse relativité générale (pour l’infiniment grand) et la physique quantique (pour l’infiniment petit).

Une expérience qui tourne mal

Des procédés révolutionnaires de recherche sont donc mis en œuvre dans ce livre. Une équipe de scientifiques est recrutée pour participer à un projet classé secret-défense. Il consiste à ouvrir des cordes de temps et à fixer sur un support physique les photons qui s’en échappent… pour obtenir ainsi une image du passé. Malheureusement, un accident se produit lors d’une expérience et le projet est abandonné. Mais dix ans après, une série de meurtres survient, ne touchant que les personnes qui y ont participé. S’engage alors une course contre la montre pour les survivants qui doivent faire face à des assassinats de plus en plus nombreux et de moins en moins explicables scientifiquement…

Un polar haletant

José Carlos Somoza livre avec ce roman un polar d’une efficacité redoutable. Le rythme est soutenu, le suspense insupportable, la narration chiadée ; les personnages sont incarnés, l’horreur est à son comble et l’atmosphère se fait de plus en plus étouffante. L’auteur réussit l’exploit de ne jamais tomber dans les clichés du genre tout en les effleurant quand même pour ne pas perdre son lecteur. Mais son talent culmine à des sommets rarement atteints dans les toutes dernières lignes, nous offrant une chute prenant de court les lecteurs les plus perspicaces.

De la physique à la métaphysique

Au-delà de son génie littéraire, José Carlos Somoza, un ancien psychiatre, pose avec ce roman se basant sur la physique un certain nombre de questions métaphysiques universelles. Rabelais et son « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » prend ici toute son importance dans des considérations qui pourraient sembler manichéennes à première vue, mais qui finalement évitent cet écueil. Plus profonde encore, la réflexion sur la nature humaine et ses zones d’ombre fait écho à toutes les questions que chacun s’est posées un jour, en les mettant en lumière sous un angle différent – et d’autant plus enivrant.

SOMOZA José Carlos, La théorie des cordes, Actes Sud, 2008, 600 pages – 11,50€