[HUMEUR] STOP à la conquête, oui à l’exploration !

33 !! Non, il ne s’agit pas d’une visite chez un médecin d’un autre temps, ni du nombre d’années-lumière séparant une exoplanète récemment découverte de notre bonne vieille Terre, et encore moins du nombre de personnes présentes dans l’espace actuellement. Non non non. 33… Le mot « conquête » apparaît 33 fois dans le dernier hors-série de « Science&Vie » intitulé « Aller sur Mars – Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? » Autant vous dire que la lecture de ces 150 pages a été un peu compliquée pour moi.

Petit rappel… Il y a un an, déjà, dans l’un des tout premiers épisodes de mon podcast « La folle histoire de l’Univers », je m’étais fâchée très fort contre un journaliste qui utilisait le mot « colonisation » (à partir de 7’20).

Voilà. La « colonisation » d’autres mondes, la « chasse » ou la « traque » d’exoplanètes ou d’astéroïdes, les exemples ne manquent pas. Et le vocabulaire faisant partie du champ lexical de la guerre, de l’agressivité et de la violence me hérisse un peu le poil, voyez-vous, surtout quand ça concerne l’espace. Et donc, 33 « conquêtes » dans ce hors-série, alors qu’on n’utilise plus ce mot depuis les années 70 et qu’on parle désormais d’exploration, comment vous dire… En lisant ce magazine, j’ai eu un peu l’impression que Science&Vie était tombé dans une faille temporelle et qu’il était resté bloqué dans les années 60.

Donc, amis journalistes… On parle d’EXPLORATION spatiale, et plus de CONQUÊTE spatiale, merci, bisous. Et ce, depuis 1975 quand la guéguerre de kikalaplugrosse et kikipisslepluloin (voir à ce propos mon billet sur l’histoire des femmes dans l’exploration spatiale) s’est terminée entre les USA et l’URSS. Et ce n’est même pas moi qui le dis, c’est vous !! Je cite, pp. 106-107 : « Quand Nixon cherchera à afficher sa politique de détente avec l’Union soviétique, c’est une mission spatiale conjointe qui est choisie comme symbole, avec l’amarrage dans l’espace des vaisseaux Apollo et Soyouz en 1975.« 

Alexeï Leonov et Deke Slayton. Juillet 1975.

Le mot « conquête » s’inscrit dans un contexte historique, et j’estime donc qu’il n’est absolument plus légitime depuis 1975. Vous avez 38 ans de retard, les gars. Parce que, bon… Que vous l’ayez mal utilisé une fois ou deux… ça peut arriver. Éviter les redites de vocabulaire dans un papier, faute d’attention… Ça arrive, bien sûr. Mais là, non. Non. « Les nouveaux enjeux de la conquête spatiale« , c’est écrit en orange sur noir sur votre couv’ !!

Seriously ?? Les nouveaux enjeux de la conquête spatiale ??? Mais vous sortez d’où ? Vous étiez dans un bunker, ces 40 dernières années, sans déconner ? Admettons que dans le mot « conquête », il y ait l’idée de déflorer des sols extraterrestres… Quelqu’un vous a dit qu’on n’est pas retourné sur la Lune depuis… 1972 ?

Bon… Bon mais admettons que vous ayez voulu faire de l’excès de zèle et qu’on mot agressif sur la couverture ait servi à appâter le chaland. Admettons. Comment vous expliquez… ça ??

Pour les besoins de ce billet, j'ai surligné toutes les "conquêtes"...

... Je pensais faire du surlignage. Pas du coloriage.

Reprenons tout depuis le début, si vous voulez bien. Déjà, que veut dire « conquête » ? Je demande à mon fidèle Larousse : « action de conquérir ». Oui, bon, ok, alors… Que veut dire « conquérir » ?

Soumettre… armes… se rendre maître… maîtriser… dominer…
Dites donc, Science&VieÇa vous dirait pas, en 2013, d’arrêter d’utiliser des mots qui veulent dire des choses aussi barbares, mmh ?… Vous voulez faire passer quoi, comme message, en utilisant encore le mot « conquête » ? Que les agences spatiales, les gouvernements, les ingénieurs, les techniciens, les scientifiques et les astronautes sont des hommes-blancs-occidentaux-assoiffés-de-sang qui livrent une bataille armée contre l’espace pour mieux s’en rendre maître et le dominer ?…
Vous vous rendez compte que cette dernière phrase n’a absolument aucun sens, ou… ?

Le mot « conquête » avait un sens quand l’accès à l’espace était une arme politique, idéologique, tactique, militaire, et de propagande, quand les USA et l’URSS jouaient donc à kikalaplugrosse et kikipisslepluloin – jusqu’en 1975, donc. Mais aujourd’hui ?…

Aujourd’hui vous êtes vraiment sûrs, Science&Vie, que les États sont dans le même état d’esprit et que le secteur spatial représente une volonté de domination et de pouvoir sur les petits copains dans la cour de récré mondiale ? Ou est-ce que, par hasard, au moins dans ce secteur, ne nous serions-nous pas assagis ?…

Pour répondre à cette question, allons voir du côté des sites des agences spatiales. Je me rends sur le site de la NASA, puis dans « à propos de la NASA ». Et tout de suite, avant d’aller plus loin, ce petit macaron sur la colonne de gauche…

Je traduis. « La vision de la NASA – Atteindre de nouvelles hauteurs et révéler l’inconnu de manière à ce que toute l’humanité puisse bénéficier de que nous faisons et de ce que nous apprenons. » Voilà. Et puis personnellement, je ne vois aucune petite étoile qui renverrait vers des nano-caractères en bas de page disant : « Enfin bon, ça vaut pour toute l’humanité sauf pour ces salauds de Russes, pour les faces de citrons qui commencent à nous tataner le bourrichon sévère, et pour les ispices di counasses qu’on voudrait bien continuer à conquérir en les maîtrisant avec nos grosses fusées puissantes. » Je vois ça nulle part. Donc bon.

Mais continuons. Rendons-nous sur la page « What NASA does« . Mais oui, tiens ? Qu’est-ce qu’elle fait donc, la NASA ? Je vous la fais courte, hein : elle EXPLORE, dites donc. C’est fou, ça ! Elle explore, elle fait des sciences, de la recherche, de la technologie, dans le spatial, dans l’aéronautique et dans l’économie. Et une petite recherche rapide sert à confirmer que le mot « exploration » apparaît 4 fois dans cette page, pareil pour le mot « explore(s) », et qu’en revanche les mots « conquest » et « war » sont aux abonnés absents.

Un peu comme si le mot « conquête » quand il s’agit de spatial ne s’utilisait plus depuis des dizaines d’années.

Mais vous allez me dire qu’il n’y a pas que la NASA dans la vie : vous avez absolument raison. Allez voir du côté de notre Agence Spatiale Européenne (ESA)… Le premier mot que l’on trouve sur la page « Space for Europe » est « exploring« . Quelle surprise !

Et dès la première ligne de « ESA’s purpose« , nous avons : « (…) pour des objectifs exclusivement pacifiques (…)« . Et donc l’ESA, ben elle explore, elle fait des sciences, de la recherche, de l’industrie, des satellites, etc pour faire avancer la connaissance et aider l’humanité dans des tas de domaines (sciences, observation de la Terre, télécommunications, navigation, etc…) Je vous fais grâce du nombre d’occurrences du terme « exploration » et de l’absence totale de « conquête ».

Du côté de Roscomos, l’agence spatiale russe, maintenant… Je vous accorde qu’il est beaucoup question de choses militaires – apparemment l’agence est très liée au ministère de la Défense, d’après ce que j’ai compris. Mais… ça fait des dizaines d’années que l’agence russe est alliée avec notamment la NASA et l’ESA sur de nombreux projets… Et voici un extrait de leur site (la traduction Google est un peu aléatoire mais on comprend le principal) :

Evidemment, aucune trace du mot « conquête » et 4 occurrences de « exploration ».

Et du côté des Chinois, qui n’ont pas la réputation d’être des rigolos et qui font station spatiale à part ? Ce sont des poignées de mains avec l’ESA, des échanges par-ci, de la coopération par-là dès la home du site

Quant à la suite, c’est du même acabit : science, technologie, industrie, échanges et coopération avec une liste de pays longue et solide comme un boa constrictor :

Et je rappelle que le Traité de l’espace, traité international datant de 1967, stipule en gros que l’espace est un bien commun. Et quand dans ce texte, le mot « conquête » n’apparaît jamais – en revanche, il y a 18 occurrences de « exploration ».

Voilà. Je pense avoir expliqué avec suffisamment de preuves à l’appui que plus personne n’utilise le mot « conquête spatiale » parmi les organisations de ce domaine et les personnes qui y travaillent. Si vous pouviez donc, amis journalistes, remplacer une fois pour toute cette expression datée – et fausse dans le contexte actuel – par l’expression « exploration spatiale », ce serait rigoureux et juste (ne serait-ce que du point de vue historique si on met de côté l’éthique) et j’estime que c’est quand même la base de votre métier (allez, je m’inclus dedans, j’ai mon diplôme).

Mais essayons de comprendre encore pourquoi tu utilises ce terme, cher Science&Vie… (parce que je t’aime bien, au fond, tu m’accompagnes depuis si longtemps.) Ton hors-série s’intitule « Aller sur Mars » et tu titres ton premier gros dossier « Conquête de Mars« . J’imagine que dans le mot « conquête », tu entends que poser le pied sur Mars voudra dire qu’on l’aura conquise. Sauf que… sauf que là encore, avec tout le respect et l’admiration que je te dois, tu te trompes.

Déjà, cela fait des dizaines d’années que les agences spatiales s’allient entre elles pour mener à bien des projets qui coûteraient trop cher pour une seule agence. Ça ne t’aura pas échappé que la station spatiale internationale est internationale, par exemple, ou encore que la mission Cassini-Huygens était une mission NASA-ESA (Huygens, sonde européenne, objet le plus lointain à s’être posé sur un monde extraterrestre, à savoir Titan), que la superstar Curiosity a des instruments français à son bord et que la NASA ne bouge pas d’un pète avant d’avoir consulté Toulouse, et que la future mission ExoMars sera conjointe ESA-Russie.

Or, une mission habitée vers Mars coûtera bien plus cher que tout ce qui aura été mis en place jusqu’à présent (à part l’ISS, peut-être), et qu’il est très, très peu probable que la NASA prenne en charge le budget total de l’opération. Il n’y aura donc pas de « conquête » dans le sens où les Américains réaliseraient à nouveau l’exploit, seuls, de poser le pied pour la première fois sur une autre planète. La conquête idéologique et politique de la Terre par une seule nation n’aura plus lieu.

C’est donc géopolitiquement faux de parler de « conquête » de Mars. Mais c’est également faux du point de vue sémantique. Va-t-on soumettre Mars par les armes ? Non (mais ce serait une jolie ironie, pour un dieu de la guerre…) Va-t-on la gagner ? Non. Ça n’a aucun sens de dire qu’on va gagner une planète. Va-t-on la maîtriser, la dominer, s’en rendre maître ? Mais enfin… Tout ça ne veut absolument rien dire du tout !!

Quand allez-vous comprendre qu’on ne maîtrisera aucune planète (pas même la nôtre, et de moins en moins !), pour la simple et bonne raison que nous sommes des êtres, certes intelligents et conscients mais organiques, petits et fragiles, et que nous ne sommes rien face aux éléments et que, hormis la Terre, absolument tout dans le cosmos, en l’état des connaissances actuelles, nous est parfaitement hostile ?…

Quand allez-vous apprendre à être humble face à tout ça, à commencer par le vocabulaire employé ?… Les mots ont un sens qu’il ne faut pas prendre à la légère.

On ne conquiert rien du tout. On explore – avec prudence, avec respect, et surtout avec une grande humilité. L’autre jour, j’ai répondu à une interview concernant ma candidature pour Mars One sur le site Civilisation 2.0. On m’a demandé si j’avais une idée des premiers mots que j’aimerais prononcer sur Mars, et j’ai répondu que j’aimerais que ce soit une déclaration à Mars.
« Bonjour Mars, merci de nous accueillir sur ton sol. Nous, humains de la planète Terre, te promettons de te respecter et de rester humble face à toi. Nous venons apprendre à mieux te connaître avec bienveillance et nous espérons que tu toléreras notre présence. » Déclaration qu’on accrocherait et qu’on s’efforcerait de respecter et de ne jamais oublier.

Voilà la différence entre conquête et exploration : dans la première, on arrive avec un sentiment de puissance, de domination et une volonté de s’approprier ; dans la deuxième, on vient demander humblement un dialogue scientifique avec un élément que l’on respecte dans une quête de connaissance dénuée de toute idée de violence, de puissance, ou d’appropriation et mue par la curiosité la plus saine qui soit.

Luca Parmitano jouant à Superman dans l'ISS

En plus, nous savons que l’espace, Mars, et tout ce que Science&Vie nous voit conquérir nous sont absolument hostiles. On ne joue plus les caïds depuis bieeeen longtemps – je crois qu’aucun(e) astronaute ayant volé ne s’y soit même risqué – et Luca Parmitano, actuellement dans l’ISS, l’a d’ailleurs rappelé dans un billet de blog très émouvant sur son incident lors d’une sortie extra-véhiculaire il y a quelques semaines (il avait failli se noyer dans son casque) et intitulé « Explorer la frontière« . Voici la traduction des dernières lignes de ce billet :

« L’espace est une frontière dure, inhospitalière et nous sommes des explorateurs, pas des colonisateurs. Les compétences de nos ingénieurs et la technologie qui nous entoure font que les choses nous apparaissent simples alors qu’elles ne le sont pas, et peut-être qu’on l’oublie parfois. On ferait mieux de ne pas l’oublier.« 

Je crois que tout est dit. Donc vraiment, amis journalistes, chroniqueurs ou blogueurs, s’il vous plaît, essayez de n’utiliser le mot « conquête » que dans un contexte historique précis (ou faites tourner si vous avez des amis journalistes, chroniqueurs ou blogueurs).

Ah oui… et même chose pour le mot « colonisation », par pitié. Si on pouvait plutôt parler de « base scientifique ou humaine », hein… Il y a autant de non-sens et de sous-entendu belliqueux, agressif et violent dans « colonisation » que dans « conquête ». Et le mot « colonisation » apparaît bien trop souvent également dans ce hors-série. Et s’il se peut que dans un futur lointain le terme soit approprié, ce n’est encore pas du tout le cas.

Autre chose qui m’a passablement agacée dans ce numéro : la référence au rêve. Ce n’est absolument pas gênant en soi, au contraire, puisque le spatial a toujours eu le rêve comme moteur. Mais j’ai ressenti très fortement de la part de Science&Vie un certain mépris. Et là, ça commence effectivement à me gêner un petit peu.

Exemple, p.111 : « Cela n’a certes pas le souffle d’une colonisation humaine, mais cela contribue toujours à en maintenir le rêve. »
Moi je comprends : « On n’est pas capable d’être de bons petits soldats belliqueux et d’aller conquérir Mars, mais bon, puisque ça continue à faire fantasmer ces braves gens, oh oh oh… », semble conclure ce journaliste avec une ironie pleine de condescendance.

Autre exemple, p.133 : « Certes, convient Jean-Pierre Luminet, il y a dans ces projets un peu d’utopie et beaucoup d’économie. Mais ils n’en permettent pas moins de développer de nouvelles technologies, et de faire avancer la science. » Faire avancer la science… [Oui, faire avancer la science. Le monsieur essaye de te dire que le rêve et l’imagination contribuent à la créativité et donc à l’innovation, et donc au progrès, et donc à la connaissance. Ça te parle, ou… ?] Vers une conquête encore plus lointaine ? [Putain mais t’es décidément complètement à côté de la plaque.] Mars aurait-elle de vraies richesses à nous offrir ? « En l’état actuel de nos connaissances géologiques, Mars n’aurait aucune ressource intéressante à exploiter », assure Francis Rocard. [Aaaah, d’accord. Donc dans ta question, « vraies richesses » voulait dire « espèces sonnantes et trébuchantes ». OKÉ. Donc la science et la connaissances sont de fausses richesses. Très bien. Je note.] Si ce n’est du rêve… [Phrase qui conclut 5 doubles-pages de dossier. Mais si ça fait rêver la brave méménagère de moins de 50 ans, hein, alors tout va bien…]
COMMENT TE DIRE.
Alors certes, il faut remettre cet extrait dans le contexte d’un article sur l’exploitation minière des astéroïdes – d’ailleurs intitulé, je vous le donne en mille…

Et "À la recherche de l'astéroïde idéal", par exemple, non ?... Non. Ok.

Mais ce cas, que vient foutre Mars là-dedans ??

Dernier exemple, p.144 : « L’idée tient aujourd’hui du doux rêve… » On parle d’aller voir une exoplanète. Effectivement, il nous est impossible d’accéder à une exoplanète en l’état de nos compétences et de connaissances techniques en terme de voyage spatial. Mais l’expression « doux rêve », avec toute la connotation de mépris et de condescendance qu’elle implique, était-elle vraiment utile ?… Je ne sais pas. Oui, pour le moment c’est de la science-fiction. Et alors ? Ça mérite d’être rejeté d’une main méprisante ? Je rappelle que sept ans avant les premiers pas sur la Lune, un être humain sur la Lune était de la science-fiction. Et pourtant on l’a fait. En seulement sept ans !!

Cher Science&Vie… Je vais terminer ce billet amer en citant l’astronaute français Thomas Pesquet.

« Dans le domaine de l’exploration spatiale il faut croire à la science-fiction. Moi j’y crois depuis que je suis tout petit. Ça m’a aidé à me dépasser. Ça m’a permis de réaliser des choses qui me paraissaient hors de portée comme devenir astronaute.« 

Ce jeune homme est devenu astronaute parce que c’est un rêve qui l’a porté. Méprisez-vous toujours ce rêve ? Quand vous êtes face à un petit garçon ou à une petite fille qui vous dit qu’il/elle aimerait bien devenir astronaute, je suis sûre que vous êtes du genre à ricaner et balayer ça d’un revers de la main – et je crois que je vous déteste pour ça 🙁

« J’espère vous avoir convaincu qu’il faut croire en l’exploration spatiale, qu’elle est bénéfique, qu’elle permet de se dépasser et de rêver un peu au-delà de son échelle individuelle, et ça, l’Homme en a bien besoin…« 

Ce sont les mots de conclusion de Thomas Pesquet, donc, lors de sa présentation à TEDx Paris l’année dernière que je vous conseille vivement de regarder.

 

Tu remarqueras, Science&Vie, que Thomas Pesquet se trompe en disant « conquête » et se reprend aussitôt (à 5’25). Tu sais pourquoi ? Parce que nous baignons dans un monde où l’expression « conquête spatiale » est encore utilisée beaucoup trop souvent. Les médias en sont en grande partie responsables et coupables. Tu l’es aujourd’hui.

En tout cas, j’espère qu’après tout ça tu changeras d’état d’esprit concernant la conquête l’exploration spatiale et le rôle du rêve dans ce domaine.

Oui, tu m’as déçue, mais ça me rend triste comme quand un ami nous déçoit. Je te suis depuis des années, je te dois énormément, et il y a plein de choses intéressantes dans ce numéro, mais j’ai tellement eu l’impression que tu étais resté bloqué dans les années 60 où tout ce qui a déjà été fait relève de la conquête agressive (ce hors-série suinte d’une violence sous-jacente due à ce terme) et où tout ce qui reste à faire relève du doux rêve pour personnes pas très sérieuses que j’ai eu bien du mal à apprécier ses bons côtés.

Mais si tu souhaites te défendre, j’accueillerai avec joie un droit de réponse ici-même. Je t’aime bien quand même et les jours où je te reçois dans ma boîte aux lettres restent toujours pleins de joie.

[SPATIAL] Les hangouts du CNES

Ce dimanche 23 juin à 11h, le CNES a organisé un Hangout avec Eric Lorigny, le responsable de FIMOC (French Instrument Mars Operation Centre). Son travail ? Creuser des trous sur Mars.

Il nous a raconté son quotidien, son boulot, ses relations avec la NASA et a répondu à toutes nos questions avec une simplicité et une émotion désarmantes.

Mais ce n’est pas le seul Hangout organisé par l’agence spatiale française : cette semaine, à l’occasion du Salon du Bourget, plusieurs ont eu lieu sur des thèmes différents mais toujours liés au spatial. Les voici ci-dessous pour les revoir !

[ASTRONOMIE] Solstices et équinoxes

Bonjour ! Ici la Terre. Vous savez ? Votre planète préférée 🙂

Quand j’étais petite (je vous parle d’un temps que les moins de quelques milliards d’ans ne peuvent pas connaître), Soleil m’appelait son « petit culbuto ». Faut dire aussi que j’ai décidé de m’incliner un peu par rapport au plan de l’écliptique.

Ah mince, premier gros mot. Bon. Ne partez pas tout de suite, je vous explique. Le plan de l’écliptique… C’est très simple. Prenez une orange. Posez-la sur une feuille de papier rigide posée sur une table. L’orange, c’est Soleil. Maintenant, coupez l’orange en deux parties bien égales mais parallèlement à la table, donc à l’horizontale. Vous avez donc deux moitiés d’orange. Soulevez la moitié du haut et glissez la feuille rigide entre les deux moitiés. Reposez la moitié du haut. La feuille rigide, qui passe par le milieu de l’orange et est parallèle à la table, c’est le plan de l’écliptique.

En gros, le plan de l’écliptique, c’est une surface plane imaginaire en deux dimensions qui passe par l’équateur de Soleil, quoi. Le dessin ci-dessous a des flèches un peu bizarres dans tous les sens mais c’est l’idée. Et c’est surtout le plan sur lequel j’orbite (le centre de mon noyau n’en bouge jamais, je ne vais ni au-dessus ni en dessous.)

Image de Philippe Saadé. Lien vers l'article original en fin de billet.

Et donc, comme on peut le voir sur l’image ci-dessus, le plan de mon équateur est de traviole par rapport au plan de l’équateur de Soleil (j’en voulais un rien qu’à moi, que voulez-vous). J’ai culbuté légèrement sur le côté pour devenir inclinée à environ 23° (c’est pas mal représenté par la flèche a qui part de traviole – donc).

Soleil m’appelait « petit culbuto » dans mes jeunes années à cause de ces 23°. Mais il a vite arrêté quand il s’est rendu compte qu’Uranus a voulu faire son malin en se renversant quasiment complètement : il est incliné à plus de 90°. Un astre chelou, Uranus. Il savait pas comment attirer l’attention. (Ne le dites pas que je vous l’ai dit, mais Soleil pense qu’Uranus a tellement mauvais caractère que ça le faisait marrer de ne lui montrer que ses culs pôles.)

Crédit : Lawrence Sromovsky, (Univ. Wisconsin-Madison), Keck Observatory

Mais nous y voilà : quel rapport entre l’inclinaison que nous, planètes, pouvons avoir par rapport au plan de l’écliptique (Mercure n’est quasiment pas inclinée par exemple), le fait de plus ou moins montrer nos pôles à Soleil, les solstices et les équinoxes ?

C’est très simple, en fait.

Vous vous souvenez de l’orange ? Imaginez maintenant que je sois une pomme qui tourne autour de cette orange. Le pédoncule (la petite queue de la pomme, faites un effort, un peu) représente mon pôle Nord et à l’opposé, la mouche (le petit zigouigoui en dessous, FAITES UN EFFORT, ON A DIT) représente mon pôle Sud.

Inclinez la pomme de telle manière à ce que le pédoncule suive la direction de la flèche a du premier schéma. Vous avez à peu près reproduit mon inclinaison d’environ 23°. (Sur le schéma ci-dessous, la pomme est exactement inclinée à 23°).

Soleil, plan de l'écliptique, moi. Je débute en Photoshop. Et c'est pas à l'échelle, hein !

Maintenant, en faisant bien attention à garder l’inclinaison de 23° et de garder le centre du noyau au niveau du plan de l’écliptique, faites tourner la pomme autour de l’orange.

Par exemple, là, au début sur le schéma ci-dessus, j’ai le pôle Sud tourné à fond vers Soleil. C’est le solstice d’été pour l’hémisphère sud et le solstice d’hiver pour l’hémisphère nord. Et puis comme je tourne autour de Soleil, ben six mois après, c’est le pôle Nord qui est tourné à fond vers lui. C’est donc le solstice d’hiver pour l’hémisphère sud et le solstice d’été pour l’hémisphère nord.

Et puis ben les équinoxes, c’est ce qu’il y a pile entre les deux solstices, quand ni le pôle Nord ni le pôle Sud n’est tourné vers Soleil. C’est plus clair avec le schéma ci-dessous.

Solstices, équinoxes et saisons pour l'hémisphère Nord

Récapitulons : les solstices sont les deux moments dans l’année où l’un ou l’autre pôle se trouve exactement en face de Soleil. Les équinoxes sont les moments où ni l’un ni l’autre le « regarde ». En gros, les solstices sont les moments où je lui montre mes pôles et les équinoxes sont les moments où je suis de profil.

Simple, non ? Bon, corsons un peu.

D’après le schéma ci-dessus, donc, on voit que c’est l’été pour l’hémisphère nord alors que je suis à l’endroit le plus éloigné de Soleil (mon aphélie). Erreur ? Paradoxe ? Pas du tout. Ce qui compte, ce n’est pas la taille du rayon de Soleil qui m’atteint, c’est la manière dont il m’atteint.

Image de Przemyslaw "Blueshade" Idzkiewicz (francisée par Idarvol)

En fait, il y a deux raisons qui expliquent pourquoi la saison chaude advient dans l’hémisphère nord au moment où je suis la plus éloignée de Soleil.

– Lorsque j’ai le pôle Nord tourné vers Soleil, ses rayons m’atteignent selon un angle plus direct. Le faisceau lumineux en jeu se concentre donc sur une plus petite surface, ce qui la chauffe plus – et hop ! ce sont les beaux jours.

Voyez le schéma ci-dessous. Il ne correspond à rien de réel, mais imaginez que la « planète » se penche vers les faisceaux lumineux comme le pôle Nord le fait lors du solstice d’été vers Soleil… Le faisceau le plus direct, celui que l’on voit à l’équateur, se « déplacera » vers le nord…

Et le faisceau du haut se déplacera vers le pôle Nord. Pour comprendre pourquoi ça chauffe plus quand il y a une plus petite surface, imaginez qu’on donne un échantillon de peinture jaune à une fille et à un garçon. On demande à la fille de peindre le mur d’une toute petite pièce et au garçon le mur d’une très grande pièce. Avec le même échantillon de peinture, la fille aura alors une pièce jaune vif et le garçon jaune pâle parce qu’il aura dû diluer son échantillon à l’extrême. C’est exactement le même principe avec l’énergie : elle se concentre d’autant plus (et donc chauffe plus) lorsque la surface est petite.

Quand le pôle Nord est orienté vers Soleil, ses faisceaux concentrent donc leur énergie sur de plus petites surfaces grâce à l’angle auquel ils m’atteignent au nord.

– Deuxième raison pour laquelle c’est l’été dans l’hémisphère nord alors que je me trouve très éloignée de Soleil : la longueur du jour. Pas de la journée, qui dure toujours 24 heures, hein – mais le jour par opposition à la nuit.

Regardez ce schéma à nouveau.

Image de Przemyslaw "Blueshade" Idzkiewicz (francisée par Idarvol)

Vous voyez ? Regardez la distance de jour qu’il y a entre la côte russo-chinoise et la côté Ouest du Canada que l’on devine de l’autre côté… Elle est immense. En fait, puisque ce schéma représente le solstice d’été de l’hémisphère nord, il montre la journée où le jour dure le plus longtemps (environ 15-16 heures selon les endroits).

Il y a donc beaucoup plus de surface de jour et beaucoup moins de surface de nuit dans l’hémisphère nord quand le pôle Nord est tourné vers Soleil : il nous éclaire (et nous chauffe) donc plus longtemps. On voit très bien aussi sur ce schéma pourquoi le pôle Nord n’a pas de nuit pendant plusieurs semaines lors de l’été ! On ne peut pas à la fois vouloir se montrer en entier à Soleil et avoir de l’obscurité, hein.

Voilà !

Aujourd’hui, c’est donc le solstice d’été pour mes habitants de l’hémisphère nord et le solstice d’hiver pour mes habitants de l’hémisphère sud.

Joyeux solstices à vous tous ! Et prenez soin de moi…

Sources :
Variations de l’éclairement de la Terre selon les saisons
A sharper view of a tilted planet
Equinoxe
La planète Terre et son environnement
Page Wikipédia du solstice
Page Wikipédia de l’écliptique

Liens utiles :
Mon compte Twitter
La liste Twitter de tout l’Univers (avec Soleil dedans)
Je vous raconte comme vous gaspillez mon hélium et pourquoi c’est grave

[SPATIAL] Les femmes et l’exploration spatiale

16 juin 1963. Il y a 50 ans, une femme a voyagé dans l’espace pour la première fois dans l’Histoire de l’Humanité. Valentina Terechkova avait 26 ans, elle était soviétique et elle reste la seule femme à ce jour à avoir effectué un vol spatial en solitaire. Elle est redescendue sur Terre le 19 juin après 48 orbites autour de la Terre en 70 heures et 41 minutes, soit plus d’heures de vol au compteur à elle seule que tous les astronautes américains réunis (à l’époque). Et elle reste également à ce jour la plus jeune personne à avoir voyagé dans l’espace.

Mes respects les plus admiratifs, madame.

Le « père de l’astronautique soviétique » pour une série de premières fois

Mais comme un peu d’Histoire ne nuit jamais, remettons cet exploit dans son contexte…

*****

[Les dialogues en italiques qui vont suivre sortent de mon imagination délirante, délicatement agrémentés d’une louche de mauvaise foi et saupoudrés d’un second degré légèrement acide sur le retour.]

Staline – Bon, Korolev, avec mes potes les Américains, on joue à kikalaplugrosse.
Korolev – La plus grosse… euh… pardon ?
Staline – Ben kikalaplugrosse. Kikipisslepluloin, quoi. Marquer son territoire.
Korolev – Le territoire ? Ben c’est nous qui avons le plus gros, chef. On a le plus grand pays du monde. On occupe plus de 11 % des terres à nous tous seuls.
Staline – Oui. Bon. T’es ingénieur, Korolev, t’es précis, factuel. C’est bien. Mais je te parle de politique, là, c’est subtil, tu peux pas comprendre. Bon. Il faut qu’on gagne à kikalaplugrosse et là je trouve qu’on est un peu mal barré. Donc trouve un truc.
Korolev – Les Américains ont Hollywood, chef. Ça marche pas trop mal. On pourrait les concurrencer sur ce marché-là.
Staline – Mmmh, développe.
Korolev – Il faut les surpasser. Une forme de cinéma révolutionnaire. Par exemple, ce matin, je me suis fait la réflexion… Mon chat a glissé sur la glace et s’est mangé un mur. J’ai failli décéder de rire, chef. J’ai la ceinture abdominale qui brûle encore. Eh ben j’aurais voulu garder un film de ce moment, pour rire à nouveau, et surtout, le partager avec d’autres.
Staline – Abrège, je vois pas où tu veux en venir.
Korolev – Les Américains font rêver, avec leurs films hollywoodiens. Moi, je propose un bon gros rire bien gras. Ça réchauffe. Et c’est proche du peuple. Il peut s’identifier. Petits moments du quotidien.
Staline – Korolev ?
Korolev – Chef ?
Staline – Je ne te parle pas du peuple, je te parle de la Nation. KIKALAPLUGROSSE.
Korolev – Ben je vous l’ai dit, notre territoire est le…
Staline – KOROLEV. Le quotidien, tout le monde en est riche, personne ne va payer pour aller voir ça dans un cinéma. Et si c’est de la chaleur qu’on veut, on a de la vodka. Hollywood fonctionne précisément parce que ça vend du rêve. Un chat qui se vautre contre un mur, ça ne marchera jamais.
Korolev – Bon. Du rêve, alors. Des stars ?
Staline – Pourquoi pas. Un autre genre de star. Dépassons-les.
Korolev – Je peux me permettre une vanne pourrie, chef ?
Staline – Accordée.
Korolev – « L’Amérique a des stars. Nous avons des étoiles. »
Staline – Korolev ?
Korolev – Chef ?
Staline – Tu vois, quand tu veux !

*****

Sergueï Korolev

Et c’est ainsi que pour savoir kikalaplugrosse qui aurait la suprématie sur le monde, l’exploration spatiale (nommée « conquéquête » à l’époque) fut l’un des domaines où les États-Unis et l’URSS se mesurèrent (donc).

Je vous passe les détails, mais Sergueï Korolev, ingénieur spécialiste en fusées et en missiles, devint alors le « père de l’astronautique soviétique » (source : Wikipédia).

Il fallait tout faire plus vite que les Américains, mieux, plus loin, démesuré – ou en tout cas, être premier. L’URSS, par l’intermédiaire de Korolev, est donc devenue reine des premières fois en matière d’aérospatial :

– 4 octobre 1957 : premier satellite artificiel dans l’espace (Spoutnik-1)
– 3 novembre 1957 : premier animal terrestre dans l’espace (la chienne Laïka)
– janvier 1959 : première sonde lunaire (Luna-1) à aller dans l’espace, premier survol de la Lune à faible distance, première mise en orbite héliocentrique, première à découvrir le vent solaire
– septembre 1959 : premier artefact humain (Luna-2) à atteindre un corps céleste (la Lune)
– 12 avril 1961 : premier homme dans l’espace (Youri Gagarine)

Première femme dans l’espace : un outil de propagande

*****

Khrouchtchev – Grâce à vous, Korolev, on gagne à kikipisslepluloin. Mais je suis pas rassuré du côté de kikalaplugrosse. Ce salaud de Kennedy nous provoque, avec son discours.

Korolev – Chef, vous êtes pas foutu de surligner des mots sur Photoshop ?
Khrouchtchev – Ta gueule.
Korolev – Oui chef.
Khrouchtchev – On est en 1963. Peut-on aller sur la Lune avant 1970 ?
Korolev – Impossible.
Khrouchtchev – Gagnons du temps. Mettons-leur la pression. Trouvez-moi un autre exploit pour les faire chocotter et perdre leurs moyens.
Korolev – Envoyons deux hommes dans l’espace en même temps…
Khrouchtchev – On a un module pour deux personnes ?
Korolev – Non chef, pas encore.
Khrouchtchev – Je veux un exploit avant la fin de l’année, Korolev. Envoyez une femme.
Korolev – Une femme, c’est-à-dire ? Pour arranger l’intérieur du Vostok et en faire un biplace ?
Khrouchtchev – Ne faites pas l’idiot, Korolev. Envoyez une femme dans l’espace.
Korolev – AH AH AH AH AH !
Khrouchtchev – Vous commencez à m’agacer, Korolev.
Korolev – Vous êtes sérieux, chef ??
Khrouchtchev – Tout ce qu’il y a de plus sérieux. Allez hop !
Korolev – Oh non, chef, non… Enfin quoi, non… Une femme, chef…
Khrouchtchev – Arrêtez de geindre et faites ce que je vous dis ou vous serez le premier à atteindre la Lune d’un coup de pied au cul.
Korolev – Envoyons un chat, on n’a pas fait, les chats !…
Khrouchtchev – KOROLEV !!!! Envoyez-moi une femme là-haut avant la fin de l’année.
Korolev – Ah, juste l’envoyer, chef ? Donc faut pas qu’elle revienne ?
Khrouchtchev – KOROLEV !!!!! Et ne me faites pas une Laïka, hein. Ramenez-la-moi EN VIE.
Korolev – Chef… La chienne est morte, Youri est vivant… C’est bien la preuve que les femelles sont pas adaptées…
Khrouchtchev – Encore une réflexion de ce genre et je vous envoie au goulag à la vitesse de la lumière. Ramenez-moi vivante une femme de là-haut avant la fin de l’année.
Korolev – Je vais t’expédier ça, vite fait, moi, tu vas voir…
Khrouchtchev – Arrêtez de baragouiner dans votre moustache et au travail.

*****

C’est ainsi que le 16 juin 1963, Valentina Terechkova devint la première femme dans l’espace, après « une formation plus poussée que les hommes« , a-t-elle précisé le jour de ses 70 ans. Ce n’était donc pas la justice ni l’équité qui guidaient les Soviétiques, mais bien la volonté de gagner le combat qu’ils livraient contre les États-Unis. Comme Laïka, le Spoutnik ou Gagarine, Valentina Terechkova n’était qu’un outil de propagande de plus lors de la Guerre Froide. Et dans son cas, ils faisaient d’une pierre deux coups puisque l’URSS voulait prouver l’égalité homme-femme prônée par l’idéal communiste. (Ahem.)

Visuel actuel du site officiel de l'agence spatiale russe (Roscosmos)

Bien sûr, le dialogue ci-dessus est inventé de A à Z. Mais nous ne sommes pas si loin de la réalité quand on sait qu’après cet exploit, Sergueï Korolev s’est écrié : « Les bonnes femmes n’ont rien à faire dans l’espace ! (…) Plus jamais je ne veux avoir affaire à des femmes ! » Ce mouvement d’humeur était dû à deux choses : Korolev était agacé par les nausées qu’avait eues la jeune cosmonaute et par son incapacité à gérer l’orientation de son vaisseau.

Oui – sauf que concernant les nausées, elles étaient liées au mal de l’espace (équivalent du mal de mer, si on veut) et plus d’une personne sur deux en souffre lors d’un premier voyage. Ce n’est donc en aucun cas lié au sexe de l’astronaute. Quant à l’orientation du vaisseau…

Le Vostok était connu pour avoir régulièrement des défaillances dans son programme d’orientation. Quand Terechkova s’est rendue compte que son Vostok-6 s’éloignait de la Terre à chaque révolution au lieu de s’en approcher, elle a transmis l’information à Korolev qui a fait modifier les données du système de commande pour la remettre sur la bonne orbite. Sauf que… « M.Korolev m’a demandé de n’en parler à personne et j’ai gardé ce secret pendant des dizaines d’années. A présent, il y a des informations à ce sujet et je peux donc en parler librement« , a annoncé Terechkova en 2007. Apparemment, l’ingénieur responsable du programme d’orientation avait avoué son erreur quelques années auparavant. La cosmonaute n’était donc pas en faute.

Un exploit totalement absent de l’article encyclopédique sur son responsable

Plus étonnant encore : cette première historique, grande fierté de l’Union soviétique, et ses deux exploits encore non-supplantés (seul vol en solitaire féminin et plus jeune astronaute) ne figurent pas sur la page Wikipédia de Korolev à l’heure où j’écris ces lignes ! Pas une allusion, pas un lien vers un autre article. Rien. Comme si Valentina Terechkova n’avait jamais existé…

Même le mot "femme" n'apparaît pas une seule fois dans ce long article...

Sur la page Wikipédia de Valentina Terechkova, en revanche, Sergueï Korolev apparaît dès la première ligne de sa biographie.

Korolev ne voulait tellement « plus avoir affaire à des femmes » que l’encyclopédie en ligne a complètement rayé Valentina Terechkova de son Histoire. Au-delà de la dénégation de ces exploits visiblement moins dignes qu’un-homme-un-vrai ou qu’un chien mort en vol pour les très nombreux contributeurs de cette page, se pose la question de la suite. Combien de femmes cosmonautes depuis ?

Les femmes cosmonautes : suite (et fin)

La réponse est 2 : Svetlana Savitskaïa en 1982, soit 19 ans après, et Elena Kondakova en 1994. Et une fois encore, pour ces deux femmes, les anecdotes sont édifiantes.

Une mission exclusivement féminine était prévue. Svetlana Savitskaïa devait en être avec Elena Dobrokvachina et une autre cosmonaute. Mais la mission n’a finalement jamais eu lieu et Svetlana Savitskaïa est partie plus tard. Mais Elena Dobrokvachina, elle, s’est entraînée 14 ans pour rien. « C’était probablement du chauvinisme masculin. Pendant notre entraînement à la Cité des Étoiles, les responsables du secteur spatial étaient divisés : les uns soutenaient ce projet exclusivement féminin, les autres ne supportaient pas cette idée« , a-t-elle révélé à l’AFP.

L'ISS en avril 2010. Je vais en offrir un agrandissement à ceux "qui ne supportent pas l'idée".

La deuxième anecdote vient également de cette ex-cosmonaute devenue médecin : selon elle, Elena Kondakova n’aurait jamais pu voler si elle n’avait pas été mariée à un haut responsable du secteur spatial. En 1994, donc. No comment.

Et c’est tout. Depuis, aucune Russe n’a volé. Et actuellement, il n’existe qu’une seule femme dans l’unité des cosmonautes : il s’agit d’Elena Serova, qui s’entraîne pour une mission dans l’ISS en 2014 – soit 20 ans sans femme russe dans l’espace à l’heure où nous célébrons ce 50ème anniversaire du premier vol féminin.

C’était donc du côté soviétique. Mais du côté américain, ce n’est pas beaucoup plus glorieux…

Meilleures candidates, mauvais sexe

Bien entendu, ça n’était pas venu à l’idée de la NASA qu’une femme pouvait faire partie de la compétition – même après le vol de Terechkova qui prouvait que c’était tout à fait possible. D’ailleurs, les mots de Kennedy ne laissaient planer aucun doute : « poser un homme sur la Lune et le faire revenir en toute sécurité sur Terre« . Un « homme », pas une « personne ». Des années avant de constituer l’équipage, c’était déjà acté, puisque les 7 astronautes du projet Mercury (1959) sont des hommes.

Mais William Lovelace, un physicien passionné d’aviation et intéressé par la médecine spatiale, décide de mettre au point Mercury 13 en 1960 : comme pour Mercury 7, ce programme est destiné à former des candidats au poste d’astronaute. Sauf que dans le cas de Mercury 13, il s’agit uniquement de femmes (et c’était une initiative privée, et non d’État).

Les 13 heureuses élues étaient des pilotes confirmées et avaient passé avec succès les mêmes tests physiques, physiologiques et psychologiques que leurs homologues de Mercury 7. Certaines devaient aller passer des tests supplémentaires pour rejoindre la NASA, dont 2 avaient dû quitter leur travail pour ce faire, jusqu’au moment où elles reçurent un télégramme leur annonçant que cette étape était annulée et qu’elles ne pourraient pas faire partie des futurs astronautes officiels.

Jerrie Cobb pendant des tests physiologiques

La raison ? La NASA n’acceptait que les candidatures de pilotes d’essai militaires – profession qui était interdite aux femmes à l’époque. Les Mercury 13 étant pilotes mais dans le civil, elles ne pouvaient donc pas prétendre au poste d’astronaute. Cynisme absolu : la NASA ne faisait donc pas de discrimination de genre puisqu’il s’agissait d’un critère civil/militaire.

Pire encore : John Glenn (2ème Américain dans l’espace) faisait partie des astronautes qui ont étudié l’affaire. C’est lui qui a dû expliquer cette règle aux jeunes femmes… tout en admettant que lui-même n’avait pas le niveau scolaire requis pour entrer dans le corps des astronautes (mais il avait un pénis, vous comprenez, c’est plus facile pour entrer dans le corps – que n’y avaient-elles pas pensé !)

Inutile de préciser que parmi les astronautes sélectionnés, beaucoup d’hommes comptabilisaient moins d’heures de vol que les candidates de Mercury 13. Et que parmi les tests effectués, le record de survie dans un caisson d’isolation sensorielle était de 9 heures, bien loin devant le record suivant, et qu’il est détenu par Jerrie Cobb, une femme. Et aussi que l’entraînement des femmes en URSS (pour trouver Valentina Terechkova) avait permis de constater que les femmes s’adaptaient beaucoup plus rapidement à l’apesanteur que les hommes. (Source)

Mais bon. Un officiel de la NASA de l’époque (et qui n’a pas voulu donner son nom au journaliste) a dit que ça lui faisait « mal au ventre » rien qu’à l’idée d’imaginer une femme dans l’espace, alors…

Ce n’est qu’en 1978 que la NASA ouvrit enfin ses portes aux candidates. Et c’est Sally Ride, une astrophysicienne décédée en juillet dernier, qui sera la première femme américaine dans l’espace en 1983.

1983 ! Il aura fallu attendre 1983 pour que la NASA autorise une femme dans un équipage… L’année de ma naissance…

Depuis, heureusement, tout semble aller de mieux en mieux. Des femmes ont été pilotes de navette et commandant de vaisseau, elles ont fait des sorties extra-véhiculaires et ont été touriste spatiale. Une femme est actuellement directrice des vols spatiaux habités à la NASA et une femme a récemment occupé le même poste à l’ESA.

À l’heure où j’écris cet article, sur les 9 personnes dans l’espace actuellement, 2 sont des femmes (Karen Nyberg, américaine, à bord de l’ISS, et Wang Yaping, chinoise, à bord du Tiangong-1).

Les femmes ne représentent encore que 10 % des êtres humains à avoir voyagé dans l’espace (55 femmes sur 525 astronautes selon les chiffres de juillet 2012) mais les mentalités changent. En tout cas, si tout n’est pas rose (sans mauvais jeu de mot), il semble que les réactions à l’idée d’une femme dans l’espace ne soit plus aussi épidermiques qu’il y a 50 ans.

Du mieux, depuis longtemps, partout. Ou… pas

Du mieux, vraiment ?… On pouvait dire que les choses allaient en s’améliorant (lentement mais sûrement), oui, jusqu’à l’année dernière. Le 16 juin 2012, soit 49 ans jour pour jour après la première femme dans l’espace, la première Chinoise s’est envolée à son tour.

Liu Yang, juste avant son décollage

Sauf que les critères de sélection pour avoir cet honneur étaient… comment dire… Bon. Jugez vous-mêmes (source) :

– être mariée pour être « physiquement et psychologiquement plus mûres » (c’est Zhang Jianqi, ancien député et commandant en chef du programme spatial, qui l’a dit)
– avoir accouché naturellement parce que « quand on a souffert dans les douleurs de l’accouchement, on devient plus fort mentalement, on gère mieux le stress, bref rien à voir avec des jeunes filles sans expérience » (c’est un obstétricien cité par le Chongqing Daily qui l’a dit)
– avoir les dents blanches
– avoir une haleine fraîche
– pas de pieds calleux
– pas d’odeur corporelle

Yin Yang est autorisée exceptionnellement à embarquer quelques produits de beauté. Mais bien sûr, la Chine dément toute opération séduction. Au contraire : c’est une question de survie possible de l’espèce humaine.

Je me disais aussi… La jeune pilote ne pouvait pas être considérée comme une pilote. Enfin. Voyons. Ça ne reste qu’un utérus sur pattes soigneusement épilées, tout de même.

Je ne vais pas commenter plus avant tout ceci sous peine de devenir agressive et vulgaire.

Mauvaise foi historique

Si l’on liste toutes les conditions confondues pour être un parfait astronaute, voici ce que ça donnerait :

– être aussi petit et léger que possible
– être mûr
– être apte
– s’adapter facilement à l’apesanteur
– avoir connu la douleur et le stress d’un accouchement
– avoir une bonne hygiène dentaire et corporelle et des pieds doux
– avoir un utérus pour la survie de l’espèce

Résumons…

– Rappelez-moi la taille et le poids moyen d’une femme par rapport à la taille et au poids moyen d’un homme ? Voilà.
– Les mecs sont mûrs à 43 ans, les femmes à 32 ans, c’est le Daily Mail qui le dit
– Si les femmes n’étaient pas aptes, on le saurait depuis 50 ans, maintenant
– Les femmes s’adaptent plus facilement que les hommes à l’apesanteur
– Les hommes n’ont jamais connu la douleur et le stress d’un accouchement
– Les hommes sont des gros dégueulasses qui puent et qui ont les pieds calleux
– Les hommes n’ont pas d’utérus

Désolée les mecs, mais sur ces critères, ça va pas être possible. Que les 7 qui sont là-haut redescendent immédiatement parce que ça me retourne le ventre, cette idée.

Voilà.

Donc… Peut-on arrêter d’être débiles 5 minutes, maintenant ? Ou à tout jamais, tiens, hein. Ce serait pas mal. En 2013. Amis Chinois (et autres qui seraient tentés par ce genre de discours).

Que peut-on faire ?

Il existe une association qui fait très attention à la place des femmes dans l’aérospatial : Women In Aerospace. Il se trouve que j’étais invitée à la soirée de lancement de son antenne française et que j’ai pu poser quelques questions à Fiorella Coliolo, une astrophysicienne qui fait partie de l’équipe. Voici un résumé de ses réponses :

« La réalité montre qu’il y a des difficulté pour les femmes dans le domaine de l’aérospatial. Cette association a déjà permis d’aider des étudiants grâce à ses bourses ; elle facilite les contacts entre professionnels grâce à sa plateforme d’échange et à ses programmes de mentoring.

J’ai choisi de m’occuper de l’antenne de Paris parce que c’est une ville stratégique dans le domaine spatial. Mon rôle sera d’organiser des événements qui répondent aux objectifs de Woman In Aerospace – Europe : s’assurer une présence équilibrée des femmes à tous les niveaux dans le secteur aérospatial, stimuler et intéresser les jeunes filles aux sciences, et communiquer sur l’importance du spatial dans nos vies quotidiennes.« 

Jean-François Clervoy, astronaute et membre honoraire de WIA-Europe, lors de la soirée de lancement

L’association est ouverte à tous : hommes et femmes. Elle ne souhaite imposer aucun quota ni parité, elle veut juste que les femmes soient mieux représentées, que les postes à responsabilité leur soient accessibles sans plus de difficultés que celles que rencontrent les hommes, et que l’équilibre des genres ne soit plus vu comme un exploit qu’il faut relever mais comme une banale évidence.

Il n’est pas nécessaire non plus de travailler dans le secteur de l’aérospatial pour devenir membre, ni pour liker la page Facebook ou s’abonner au compte Twitter.

Sinon, la Cité de l’Espace accueille une expo pour ce 50ème anniversaire de la première femme dans l’espace en ce moment, et un compte Twitter s’est créé il n’y a pas longtemps sur le thème des femmes et du spatial.

Je suis candidate au projet Mars One qui projette d’envoyer des êtres humains sur Mars pour s’y installer par groupe de quatre : deux hommes et deux femmes à chaque fois. Ça ne m’avait même pas effleuré l’esprit que ce ne soit pas une volonté d’équité, jusqu’à ce qu’on me renvoie (gentiment) à mon statut d’utérus sur pattes. Laissez-moi continuer à vous envoyer chier (moins gentiment) chaque fois que ça arrivera – mais si ça pouvait ne plus se produire, ce serait mieux. Merci.

Ne terminons pas sur une vilaine impression. Voici un message de Karen Nyberg, actuellement dans l’ISS, qui célèbre ce 50ème anniversaire.

[TWITTER] Pendant ce temps-là, dans l’Univers… (2)

Je vous parlais il y a plus d’un an déjà de mon projet de faire vivre tout l’Univers sur Twitter, via 30 comptes regroupant approximativement tout ce qu’il peut contenir.

Régulièrement donc, ces chenapans nous informent, nous interpellent… et échangent parfois entre eux des noms d’oiseaux dans des gazouillis qui fusent à la vitesse de la lumière. Par exemple…

Quelques jours plus tard, un article intitulé « Les premières étoiles côtoyaient probablement des trous noirs« . L’inquiétude des principaux intéressés ne s’est pas fait attendre…

LIENS
Pour suivre l’Univers
Pour suivre mon compte perso
Et pendant ce temps-là, dans l’Univers… (1)

[TWITTER] Pendant ce temps-là, dans l’Univers… (1)

Je vous parlais il y a presque un an déjà de mon projet de faire vivre tout l’Univers sur Twitter, via 30 comptes regroupant approximativement tout ce qu’il peut contenir.

Et ces dernières semaines, il en a eu, des choses à dire… Déjà, la fin du monde. Ça l’a bien fait marrer, ça, l’Univers. Mais ça a failli nous pendre au nez… (Toutes les images ci-dessous sont à lire de bas en haut).

 

Heureusement, la veille au soir de la prétendue fin du monde, le Soleil a insisté pour tenir une petite réunion cosmique… (Toujours lire de bas en haut.)

 

 

Et pour le 1er janvier, des voeux sont arrivés de partout. Des exoplanètes, d’abord…

 

Et de la Terre et du Soleil ensuite.

 

 

L’Univers et moi-même vous souhaitons une très épanouissante année 2013 !

[EVENEMENT] Arrivée de Curiosity sur Mars en direct de la Cité de l’Espace

Elle est partie de la Terre le 26 novembre 2011 et je peux enfin la voir s’approcher de moi : le rover Curiosity, plus gros engin jamais envoyé par les Terriens sur mon sol martien, se posera sur le cratère Gale lundi matin. Comme je me trouverai à ce moment-là à environ 15 minutes-lumière de la Terre, le premier signal de la sonde est attendu à 7h31 heure de Paris.

Malgré l’heure franchement matinale, je ne manquerais pour rien au monde un live-tweet de ces moments un peu fous : mon ambassadrice se trouvera donc dans le saint des saints, à la Cité de l’Espace de Toulouse, pour partager avec vous via mon compte Twitter @Mars_VL cet évènement historique dans l’histoire de l’exploration robotique spatiale.

Invitée par le CNES (qu’elle remercie chaleureusement), elle sera accueillie avec d’autres twittos et blogueurs par Marc Pircher, le directeur du centre Spatial de Toulouse. A 7 heures environ, la vidéotransmission avec la NASA débutera pour l’entrée de Curiosity dans mon atmosphère, sa descente, sa décélération, son atterrissage, et enfin l’envoi du premier signal attendu à 7h31. Bien entendu, j’ai hâte de la voir arriver au top de sa forme et je lui faciliterai la tâche du mieux que je pourrai, pour que ces « sept minutes de terreur » ne soient qu’une crainte vite oubliée.

A 8 heures, mon ambassadrice et ses petits camarades privilégiés se verront offrir un petit-déjeuner bien mérité, puis ils iront sans doute visiter l’exposition « Explorez Mars ». Mais l’évènement est aussi ouvert à tous (dans la limite des places disponibles) : la Cité de l’Espace ouvrira exceptionnellement ses portes à 6h30 (plus d’infos ici).

Bien sûr, tout sera retransmis en direct sur vos Internets, notamment sur le site du CNES et sur celui d’enjoyspace. En plus, un concours Instagram est mis en place par le CNES qui publiera vos plus chouettes photos !

Je suis persuadé que Curiosity n’a pas de vilain défaut et que tout se passera pour le mieux. Je l’attends avec impatience et je lui donnerai toutes les informations qu’elle est venue chercher, dans l’espoir de voir arriver très vite des Terriennes et des Terriens.

La bise rouge et poussiéreuse et à lundi !

[SCIENCES/ITW] Les Mardis de l’espace : un café des sciences par le CNES

Lors de mes premières années à Paris, je ne manquais aucune conférence du Collège de la Villette. Physique, cosmologie, anthropologie, mathématiques… L’entrée y est libre, les intervenants passionnants et l’organisation impeccable. Malheureusement, pour des questions d’emploi du temps et de situation géographique, je n’ai pas pu continuer à m’y rendre (mais je n’en rate aucune grâce aux podcasts).

Récemment, j’ai découvert qu’à l’instar de la Cité des Sciences, le CNES (Centre National d’Etudes Spatiales) organise lui aussi ce genre de rencontres entre les spécialistes et le grand public. Baptisés « Mardis de l’espace« , j’ai pu assister au dernier de l’année 2011/2012 sur les trous noirs en pouvant LT sur place.

Extrait du LT du Mardi de l'espace sur les trous noirs

En effet, le CNES garde 10 places réservées pour les utilisateurs de Twitter afin qu’en suivant l’évènement grâce au hashtag dédié, un grand nombre de personnes présentes sur les réseaux sociaux puissent suivre comme s’ils étaient sur place.

J’ai pu y rencontrer la très sympathique Séverine Klein qui a accepté de répondre à mes questions. Diplômée en mathématiques pures (excusez du peu…) puis d’un DESS de communication scientifique, c’est un stage qui l’a menée au CNES qui l’a embauchée en 2001 en tant que rédactrice multimédia : elle était donc en charge du site cnes.fr. Puis elle a « pris du galon » et occupe désormais le poste de chef de service « Grand public » à la communication externe du CNES : « dans mon équipe, on gère les publications externes, l’audiovisuel, une partie des partenariats, et bien sûr il y a la cellule web. Pour ma part, indépendamment du management, j’ai notamment en charge la présence du CNES sur les médias sociaux. C’est donc moi qui parle derrière @CNES_France sur Twitter, par exemple. »

Florence Porcel – Que sont « Les mardis de l’espace » ?
Séverine Klein – Les mardis de l’espace sont des rencontres mensuelles entre les experts du spatial et le public, sous la forme d’un café scientifique. Ils se déroulent le 3ème mardi de chaque mois, au Café du Pont Neuf à Paris, à partir de 19h30. Lors de chaque soirée, nous abordons un thème différent ; 2 ou 3 intervenants sont présents, et le public peut poser ses questions. Il y a aussi un animateur pour mener les débats, et un pianiste qui improvise et met son grain de sel avec humour.

FP – D’où vient l’idée et quel en est le but ?
SK – L’idée est venue simplement du constat que les rencontres entre le public et nos experts, ingénieurs ou scientifiques, déclenchait toujours beaucoup d’enthousiasme des deux côtés. Or, nous n’organisions ce type de rencontre que de façon ponctuelle (lors de la Fête de la Science, par exemple). Nous avons donc souhaité donner des rendez-vous réguliers et éviter le mode trop formel ou conférence. D’où l’idée du café scientifique qui permet de passer un moment convivial tout en dialoguant avec des experts passionnés et passionants !

Séverine Klein : « L’espace est utile au quotidien ! »

FP – Quels ont été les thèmes abordés ?
SK – Nous avons parlé de l’exploration de Mars, de la recherche de vie dans l’Univers ou encore du monde de Saturne, mais aussi de l’utilité des technologies spatiales dans le domaine de l’océanographie ou des enjeux politiques du spatial. Nous essayons d’aborder des sujets très variés, à la fois pour faire découvrir toutes les facettes du spatial que le public connaît peu, pour le sensibiliser au fait que l’espace est utile au quotidien, mais aussi pour varier les plaisirs et le public !

FP – Quel bilan tirez-vous de cette première saison ?
SK – Que du positif ! En moyenne, nous avons compté entre 60 et 90 participants à chaque soirée, la dernier en a même comptabilisé 115 ! Pour un café scientifique, c’est énorme. Nous n’avons eu que des échos positifs, aussi bien des experts que du public, qui nous encouragent à continuer. Le niveau des questions est de très bonne qualité, et parfois même de haut niveau, mais nous souhaitons vraiment éviter que ces rencontres ne deviennent des débats d’experts. Chacun doit y trouver sa place et oser poser sa question. Pour une institution comme la nôtre, c’est très important d’être en contact direct avec notre public ; il y a une réelle interactivité.

Le volet numérique est également un point très positif : ces rencontres trouvent un écho en ligne, auprès des internautes qui ne sont pas à Paris ou ne peuvent pas se déplacer. Nous avons ainsi fait la connaissance d’internautes, bloggeurs, twitteurs fidèles qui viennent régulièrement et ont particulièrement apprécié cette démarche visant à vulgariser et rendre le spatial accessible au plus grand nombre.

« Nous avons trouvé une véritable interactivité avec notre public
avec l’apparition des médias sociaux. » 

FP – Le CNES est présent sur les réseaux sociaux, et notamment sur Twitter lors de ces mardis de l’espace. Pourquoi cette démarche ?
SK – Ce n’est pas très original, mais pour nous, les nouveaux usages, en particulier les médias sociaux, sont un moyen de toucher de nouveaux publics, de parler à ceux qui ne nous connaissent pas et ne viendront pas spontanément sur notre site ou lors d’un de nos événements. On nous dit souvent : « Vous faites des choses superbes mais vous ne le faites pas assez savoir ! »…
A chaque média son public et son usage : par voie de conséquence, nous trouvons là un moyen de diversifier notre audience.
Nous avons trouvé une véritable interactivité avec notre public avec l’apparition des médias sociaux, nous percevons davantage ce qu’il attend…
Les médias sociaux sont aussi une sorte de terrain d’expérimentation pour tester des dispositifs de communication nouveaux, parfois surprenants, et toujours très enrichissants.
Je crois que le CNES, qui est à la pointe de la technologie dans son cœur de métier, doit aussi être innovant dans sa communication.

FP – Le CNES est présent à Paris, mais aussi à Toulouse et à Kourou. Y aura-t-il des mardis de l’espace dans ces deux autres villes, à l’avenir ?
SK – C’est à l’étude à Toulouse… Ca ne prendra pas forcément la même forme, mais nous envisageons également des rencontres régulières de ce type. Dans un autre style mais toujours la même démarche d’ouverture, nous sommes partenaires avec la Cinémathèque de Toulouse et la Cité de l’espace d’un cycle de films sur l’espace, durant toute l’année scolaire. Après la projection a lieu un débat ou des animations, en présence d’experts du monde spatial.

FP- A Toulouse justement, de nombreux évènements sont live-tweetés. Quel bilan tirez-vous de cette présence du CNES sur les réseaux sociaux ?
SK – En fait, on organise des livetweets régulièrement, pas seulement à Toulouse. Nous l’avons notamment fait plusieurs fois lors des lancements d’Ariane, depuis la direction des lanceurs du CNES à Evry. Nous y avons organisé un Tweetup, et nous avons reconduit l’expérience à plus grande échelle à Toulouse pour l’amarrage dans l’espace de l’ATV 3 , un cargo desservant la station spatiale internationale.

Tirer un bilan de nos actions sur les médias sociaux est encore difficile (nous sommes d’ailleurs en pleine réflexion sur la manière d’évaluer ces actions). Sur le plan qualitatif, il est indéniable que nous avons établi une relation très enrichissante avec les internautes et plus spécifiquement avec des bloggeurs qui nous suivent régulièrement, assistent à nos événements, nous « retweetent » etc. Je crois que dans ce domaine, le CNES est reconnu pour sa démarche. Néanmoins, c’est un travail très prenant qui nécessiterait d’être assuré par plusieurs personnes pour pouvoir vraiment exploiter tout le potentiel de ces nouveaux médias !

FP – Y aura-t-il une deuxième saison des mardis de l’espace ? 
SK – Bien sûr ! La deuxième saison est en préparation. Elle débutera mi-octobre… Et pour les sujets abordés… surprise ! Nous avons essayé de tenir compte des (nombreuses) suggestions du public à l’issue de la première saison.

« Aujourd’hui, on ne peut plus se passer du CNES… » 

FP – Que souhaitez-vous pour le CNES dans un avenir proche ou lointain ?
SK – En tant que communicante, j’aimerais simplement que le CNES et ses activités soient plus connus du public francophone, car c’est un secteur dont nous ne pourrions aujourd’hui plus nous passer : au quotidien dans le domaine des télécommunications, de la localisation, de la santé. Dans le domaine de l’environnement, c’est un outil essentiel pour étudier la planète à l’échelle globale et comprendre les phénomènes climatiques, par exemple.

FP – Quel serait votre voeu, personnel, concernant l’espace ?
SK – J’aimerais qu’une de nos sondes découvre des signes d’une autre vie dans l’univers, sur une planète extrasolaire. Apprendre que nous ne sommes pas seuls, ce serait une révolution pour l’humanité !

[SCIENCES] L’hélium en danger : plus précieux et plus rare que le pétrole

Vous n’êtes pas sans savoir que moi, votre planète Terre, suis considérablement transformée et traumatisée par les progrès récents de votre espèce, bande de chameaux (qui, les pauvres, sont totalement innocents dans l’histoire, eux.)

D’ailleurs, selon l’étude d’une équipe de 18 scientifiques parue dans Nature, il serait fort possible que mes écosystèmes connaissent un effondrement irréversible et imminent (avant 2100). En gros, si vous atteignez une transformation de 50% de ma surface, ce serait trop tard et il n’y aurait plus rien à faire. Et vous en êtes à 43%… Je vous laisse imaginer l’urgence du truc. (Enfin pour vous, parce que moi, voyez, je passerai à un autre état comme je l’ai toujours fait, ça ne me posera pas trop de problème, voyez.)

Si vous voulez continuez à perpétuer votre espèce dans des conditions optimales, bougres de bougres d’humains, il va peut-être falloir penser à ouvrir grand vos mirettes sur les problèmes actuels. L’un d’entre vous, un jeune scientifique français nommé Martin, s’inquiète d’ailleurs beaucoup du cas de l’hélium, que je ne vais plus pouvoir vous fournir bien longtemps si vous continuez à ce rythme-là.

J’ai donc interrogé Martin qui a des informations tout à fait instructives à propos de ce gaz irremplaçable qui disparaît de manière inquiétante. Moins médiatique que le pétrole, ce serait pourtant une nouvelle bien plus grave si mes stocks arrivaient à épuisement.

Peux-tu te présenter, cher Martin ?

Je suis doctorant en astrochimie à l’Université Rennes 1. J’étudie les réactions chimiques qui se déroulent dans les nuages froids, tels ceux qui se forment sur Titan et les Giant Molecular Cloud (GMC), tels ceux d’Orion ou du Taureau.

GMC d'Orion

(Précisions : les GMC d’Orion et du Taureau sont des nuages de gaz géants (vraiment très très géants), où se déroulent des réactions alors que nous parlons. Ils vont un jour s’effondrer et donner naissance à des systèmes solaires. Je parle de ceux-ci car ils sont très beaux à l’observation !)

Leurs caractéristiques (exposés aux rayonnements), leur température, densité, et leur composition en font des objets d’étude très importants. On y retrouve en effet des molécules très complexes à l’échelle de ce qu’on trouve principalement dans l’espace : le dihydrogène et l’hélium.

Pour étudier ces réactions, nous utilisons le CRESU (Cinétique de Réaction en Écoulement Supersonique Uniforme, utilisé aussi sous ce nom dans les publications anglophones car inventé en France par des Français \o/), un appareil inventé au sein de notre équipe, et qui a désormais fait des petits dans plusieurs équipes de recherche dans le monde.

Le CRESU

Tu étudies donc de près l’hélium. Peux-tu expliquer ce que c’est ? 

Second élément de la classification périodique, l’hélium (symbole : He) est également le second élément le plus abondant dans l’Univers (24%) après l’hydrogène (75%). Tous les autres éléments de l’univers étant le 1%. J’attends d’ailleurs avec impatience une manifestation de l’hélium et de l’hydrogène « WE ARE THE 99% ! ».

Ayant toutes ses couches électroniques saturées (de même que toute la famille des gaz nobles dont il fait partie), il ne forme pas naturellement de liaison et reste seul, contrairement à l’oxygène ou l’azote, qui dans notre atmosphère forment surtout O2 et N2.

C’est un gaz dit rare dans la classification périodique, mais c’est pourtant le deuxième élément le plus abondant dans l’Univers. Comment se fait-il que j’en sois si peu pourvue ? 

Parce qu’il est inerte et plus léger que l’atmosphère, il monte… et part dans l’espace, pour ne plus jamais être revu, contrairement à son cousin l’argon qui est un constituant de l’atmosphère (environ 1%).

L’hélium qui était présent lors de ta formation a depuis longtemps disparu, et celui qui reste provient de la désintégration alpha de noyaux radioactifs, comme l’uranium. Piégé par des couches géologiques hermétiques, il forme des nappes de gaz, qu’on trouve aujourd’hui principalement au Texas et en Sibérie. Il n’en resterait que 30 à 50 ans accessible facilement.

En effet, c’est peu… Mais pourquoi disparaît-il, au juste ? 

Lorsqu’on l’utilise, il disparaît donc car sa concentration dans l’atmosphère est trop faible pour envisager l’en extraire.

Il est « irremplaçable », dis-tu sur Twitter. A quoi sert-il au quotidien ? En quoi est-il indispensable à l’Humanité ?

Au quotidien, ses fonctions sont dictées par ses propriétés inégalées : étant le plus léger des inertes, il des températures caractéristiques très basses.

(Précisions : un élément inerte est un élément qui, dans la majorité des cas ne réagit avec aucun autre. Mais pas seulement. Il est aussi monoatomique (composé d’un seul atome), sous entendu qu’il n’existe pas de molécule de dihélium He2 par exemple (molécule composée de deux atomes d’hélium).

Le diazote de notre atmosphère est relativement inerte sauf pour quelques éléments chimiques, mais il n’est pas monoatomique (« di- » implique le doublement d’un même atome dans une molécule). L’hélium lui va toujours rester He, sauf à l’ioniser, le bombarder aux électrons, le geler… Bref, au quotidien il est et reste monoatomique et inerte.)

L’hélium liquide sert maintenir à basse température les aimants supraconducteurs, qui sont dans les RMN (recherche scientifique), les IRM (médecine), le LHC (qui vient de découvrir le boson de Higgs).

Sans hélium, plus d'IRM...

On l’utilise aussi en biologie car il est inerte vis à vis des tissus vivants, en optique pour l’utilisation de puissants lasers, ou pour la recherche de fuites car il s’infiltre partout plus facilement que n’importe quel autre élément.

Il a également bien d’autres usages basés sur ses fantastiques propriétés physiques.

La cryogénisation, par exemple, qui fait fantasmer les auteurs et les réalisateurs de science-fiction. Quel est ton avis de scientifique là-dessus ?

La cryogénisation, oui. Mais des bactéries ou de petits multicellulaires. Sur des gros animaux le froid détruit les cellules lors de la congélation. Les recherches avancent mais pour le moment, la seule chose qu’on peut dire, c’est que ceux qui se sont déjà fait congeler ont perdu.

Tu es scientifique. En as-tu besoin pour tes recherches ? Si oui, dans quel but ? 

L’usage que j’en fais est la génération d’écoulement gazeux à travers un profil particulier de tuyère (tuyère de Laval). Les lois de la thermodynamique font que le gaz se refroidit et c’est ainsi que j’étudie les réactions chimiques à basse température dans un nuage. J’ai en effet les mêmes conditions. Je peux utiliser l’argon ou l’azote, mais l’hélium reste le meilleur. L’hydrogène est très bon aussi, mais infiniment plus dangereux et n’est pas applicable tout le temps car il n’est pas inerte.

(Précisions : la tuyère de Laval sert à générer une détente de gaz. Comme dans toute détente, le gaz refroidit alors. Il se produit le phénomène inverse quand on gonfle une roue de vélo, l’air est chaud à la sortie de la pompe. Dans la tuyère de Laval, le profil particulier qu’on lui donne permet de connaitre (sous certaines conditions) la température et la densité du jet de sortie. On utilise cette détente pour étudier les GMC.)

Tu as réagi sur l’hélium suite à la lecture de cet article. Fais-tu partie des scientifiques « terrifiés » ? Plus généralement, que penses-tu de cette étude ? 

L’article donné est effectivement, si ce n’est effrayant, objecteur de conscience. Qu’on ait déjà consommé une bonne part des énergies disponibles avec des rendements désastreux (= échauffement climatique) ne peut être remis en question et doit faire réfléchir quant au modèle de consommation actuel.

De façon assez simpliste, il va un jour falloir choisir entre sa voiture et l’Amazonie. Personnellement je prends le bus…

(Et je t’en remercie.) Que peuvent faire les Humains pour ralentir la disparition du stock d’hélium ?

C’est simple : arrêtons de l’utiliser pour les applications non indispensables. Commençons par ne plus gonfler les ballons à l’hélium. Et ça évitera les pleurs des enfants qui lâchent leur ballon et le voient disparaitre.

Il faudrait limiter son utilisation aux domaines vraiment indispensables, et également pouvoir le recapter lors de son utilisation. Par exemple, celui que j’utilise est pollué par les composés chimiques que j’ai étudié, mais rien d’irréversible avec de bons filtres.

J’espère qu’on trouvera des solutions et qu’on agira rapidement, car sans hélium, on sera beaucoup plus gênés que sans pétrole (qui n’est qu’une source d’énergie et de carbone). Mais les gens n’en ont pas conscience car ils ne l’utilisent pas directement…

Quant au pétrole, en tant que chimiste, je suis révolté qu’on le brûle alors qu’il devrait être réservé à la chimie, mais ceci est une autre histoire d’un autre gâchis.

Comment pouvez-vous être plus « gênés » par la disparition de l’hélium que du pétrole ? 

Le pétrole est une énergie, mais on peut en trouver ailleurs. Oui, c’est très efficace parce qu’il y a beaucoup d’énergie par masse, d’où son usage en carburant, mais on saura se débrouiller. Et pour son usage chimique, on peut partir d’autres composés (pas mal de recherches sur les sucres, ces temps-ci, ou les chaines acides).

L’hélium, aucun autre élément n’a ses propriétés physiques : on ne peut pas l’imiter ni le remplacer. Quand il n’y en aura plus assez… ben les applications de l’hélium devront faire sans et être moins performantes – si tant est qu’elles puissent faire sans…

[PHYSIQUE] Je suis le Boson de Higgs et je vais vous expliquer qui je suis

C’est officiel et (presque) certain : j’existe. Les scientifiques terriens ont réussi à voir des preuves de mon existence, moi qui jouais à cache-cache avec eux depuis plus de 40 ans et qui changeais de place sans arrêt, instable que je suis.

Mais les blagues les plus courtes sont les meilleures (oui, oh, ben, à l’échelle du cosmos, 40 ans, c’est court !) et j’ai enfin bien voulu montrer le bout de mon spin nez. Me voici donc sous les instruments ébahis du LHC, à grand renfort d’énergies considérables à l’échelle humaine et me montrant derrière des chiffres, des courbes et des graphiques. Mais qui suis-je ?…

Si vous ne comprenez rien à la vidéo ci-dessous, alors lisez la suite.

The Higgs Boson Explained from PHD Comics on Vimeo.

 

Pour me présenter le plus simplement et le plus précisément possible, j’ai besoin de vous expliquer le tableau général dans lequel je m’inscris. (D’avance, amis scientifiques, veuillez accepter mes excuses : pour faire limpide, j’ai besoin d’utiliser quelques raccourcis certes grossiers mais néanmoins indispensables.)

Un seul Univers, deux mondes physiques

L’Univers physique se compose de deux mondes, hélas pour l’instant distincts (j’y reviendrai) : l’infiniment grand (les planètes, les étoiles, les nébuleuses, les galaxies, etc) et l’infiniment petit (les atomes, les particules, les quarks, etc).

Vous, Terriens, vous vous situez un peu entre les deux : vous êtes des composés d’atomes (eux-mêmes composés de particules) qui vivez sur une petite planète autour d’une étoile de taille moyenne située dans une galaxie, la Voie Lactée, tout à fait banale.

Et vous avez donc réussi, jusqu’ici, à élaborer deux théories formidables pour expliquer les phénomènes physiques : la théorie de la Relativité générale qui explique l’infiniment grand (le mouvement des objets célestes, la vitesse de la lumière, les courbures de l’espace-temps, etc) et le Modèle standard de la physique des particules qui explique les phénomènes au niveau quantique (l’infiniment petit).

Mais il y a quelques couilles dans le potage (si je puis me permettre). Quelques détails du Modèle standard vous échappent toujours ou sont en cours de validation (c’est mon cas, j’y reviendrai), et surtout, ces deux théories expliquant les deux facettes de l’Univers sont incompatibles entre elles. Comme si deux mondes totalement différents composait notre unique Univers… Cela paraît impossible, et pourtant…

Un seul Univers, une physique unique ?

Depuis Einstein, les physiciens tentent d’unifier ces deux grandes théories dans une théorie «du tout» : une seule série d’équations qui expliquerait aussi bien les phénomènes de l’infiniment grand que ceux de l’infiniment petit.

La théorie des cordes est pour l’instant celle qui s’en approche le plus, mais elle pose encore problème et est quasiment impossible à vérifier par l’expérience : elle part du principe que tout dans l’Univers – la matière, l’espace, le temps – est composé non pas de particules mais de cordes de taille infinitésimales qui vibreraient différemment.

Les 4 forces fondamentales de l’Univers

Mais revenons à nos bosons moutons. L’univers physique est composé de 4 forces fondamentales :

– La plus connue, qui est aussi la plus faible de toutes, est la gravité. Elle est responsable de la chute des corps, des marées, de la forme sphérique des étoiles et des planètes, et de tous les mouvements au sein de l’Univers.

– La moins populaire est l’interaction faible. C’est pourtant grâce à elle que les étoiles existent puisqu’elle est responsable de la fusion nucléaire au sein des atomes qui permet leur formation.

– Plus fort que l’interaction faible, l’électromagnétisme nous est assez familier puisqu’il prend en compte beaucoup de phénomènes de notre quotidien : l’électricité, le magnétisme, la chimie, la lumière…

– Et enfin, la force la plus puissante de toute est la bien-nommée interaction forte. C’est elle qui maintient collés les quarks (particules élémentaires qui forment le noyau atomique) à l’intérieur des atomes pour que leurs noyaux puissent se tenir formés.

Sans ces quatre forces, rien ne serait possible : l’électromagnétisme, l’interaction faible et l’interaction forte, qui agissent dans l’infiniment petit (et qui font donc partie du domaine quantique et du Modèle standard), permettent à la matière de se former et de se maintenir.
La gravité, dans l’infiniment grand (expliquée par la Relativité générale), fait en sorte que toute cette matière se regroupe (pour former des étoiles, des galaxies, des planètes), garde vitesse ou inertie, et s’influence à échelle cosmique.

Bref : une faiblesse dans l’une ou l’autre de ses forces, et l’Univers tel que nous le connaissons ne serait pas possible.

La mécanique des forces

Quel est le rapport avec moi, vous demandez-vous ? Excellente question : nous y arrivons.

Ces forces ne sont pas quelque magie impie sortie de nulle part : elle viennent d’un même endroit/moment (le Big Bang) et elles s’expliquent selon des principes physiques plus ou moins bien connus.

La gravité est la force que nous connaissons le moins bien : les physiciens imaginent qu’elle est transportée par une particule nommée graviton. Mais rien n’est moins sûr – laissons-la donc de côté, puisque de toute façon elle n’a aucune influence sur l’infiniment petit qui est le monde dans lequel je vis.

L’électromagnétisme est une force véhiculée par une particule dont vous avez sans doute déjà entendu parler : le photon.

L’interaction forte est transportée par une particule nommée gluon (moyen mnémotechnique : elle tient les quarks collés ensemble, c’est donc une sorte de super glu !).

Quant à l’interaction faible… et nous y voilà : elle est véhiculée par différentes sortes de particules que l’on nomme boson. Il en existe plusieurs – pour différentes sortes de tâches – et je suis l’un d’entre eux !

Le boson de Higgs, un boson particulier

Mais qu’est-ce qui fait ma particularité ? Après tout, j’ai trois frères bosons et on n’en fait pas tout un plat.

Oui, mais voilà… Je suis la réponse à plusieurs questions un peu importantes quand même :

– Pourquoi certaines particules ont des masses et d’autres pas ? (Ce qui a permis la formation d’atomes plus ou moins lourds, et donc la diversité des éléments, et donc tout dans l’Univers de A à Z en passant par la vie…)

– Sachant que peu après le Big Bang, l’électromagnétisme et l’interaction faible étaient une seule et même force (la force électrofaible), alors pourquoi le photon (vecteur de l’électromagnétisme) a une masse nulle et a donc la vitesse la plus rapide existante, alors que les bosons Z et W (vecteurs de l’interaction faible) possèdent une masse, sont donc lourds, et se déplacent donc moins vite ?

– Qu’est-ce qui a fait que cette force se soit scindée en deux à un moment pour conduire à deux forces aux propriétés si différentes ?

La réponse à toutes ces questions est (en toute modestie) : moi.

Une vinaigrette cosmique

Juste après le Big Bang (on parle de l’ordre de milliardième de milliardième de seconde, hein), l’Univers était encore une espèce de soupe concentrée où les quatre forces fondamentales, pense-t-on, n’en faisaient qu’une.

Comme je vous le disais tout à l’heure, le Graal des physiciens serait de trouver la théorie de l’unification pour enfin expliquer en une seule formule tout et absolument tout, dans l’infiniment grand et l’infiniment petit.

En remontant le temps jusqu’à cette soupe, ils essayent donc de prouver que les 4 forces n’en étaient qu’une en les unifiant les unes aux autres.

Or, si la gravité semble ne vouloir se mêler à aucune autre (elle est un peu prétentieuse…), les scientifiques ont pu prouver qu’à un certain moment dans l’histoire de l’Univers, juste après le Big Bang, donc, l’électromagnétisme et l’interaction faible se rejoignaient pour faire la force électrofaible.

Revenons à notre soupe concentrée. L’univers, à ce stade de son histoire, était très très très dense et très très très chaud, vous imaginez bien, puisqu’il sortait tout juste d’une «explosion» à l’énergie colossale.

Mais plus il grandissait, plus il perdait d’énergie, plus il se refroidissait. A ce stade, la métaphore de la soupe n’est pas géniale, oubliez tout et remplaçons-la par de la vinaigrette. Quand vous faites de la vinaigrette et que vous la remuez avec énergie, on obtient une substance à peu près homogène.

Mais si vous la laissez reposer, l’énergie s’amenuise et ne tient plus vraiment le mélange comme une substance homogène : au bout d’un certain temps, le vinaigre et l’huile vont se séparer et vous les retrouverez l’un en bas, l’autre posé au-dessus.

C’est qui s’est passé à 10-10 secondes après le Big Bang : l’Univers s’étant «refroidi» à 1015 degrés (contre 1018 pour la vinaigrette mélangée), la baisse de température a provoqué une «brisure de symétrie» : comme l’huile et le vinaigre qu’on a vu se dissocier à l’intérieur d’une même substance nommée vinaigrette, la force électrofaible s’est divisée en interaction faible et en électromagnétisme.

Et c’est à ce moment précis que je suis né : je suis le fils de la brisure de symétrie. (Qui a également engendré le divorce entre l’électromagnétisme et l’interaction faible, mais que voulez-vous, hein, c’est un mal pour un bien !)

Un twapéro cosmique

A partir de ce moment-là, tout est simple : j’ai baigné tout l’Univers. Enfin… pas moi tout seul évidemment : avec mes jumeaux, on a constitué ce qu’on appelle un champ de Higgs, une sorte de piscine uniquement composée de bosons de Higgs.

Et comme ce champ baignait tout l’Univers, donc, les particules n’avaient pas d’autre choix que de me traverser, et notamment les autres bosons, vecteurs de l’interaction faible (jeune divorcée), et les photons, vecteurs de l’électromagnétisme (jeune divorcé).

Mais par quel truchement les photons et les bosons qui ont traversé mon champ tout pareil, vindiou de vindiou, se sont retrouvés l’un avec une masse nulle, et l’autre avec une masse non nulle ?

C’est très simple. (MAIS SI.)

Imaginez un twapéro. Jusqu’ici ça va, ce sont des métaphores familières ? Oui ? Bon. Poursuivons.
Imaginez un twapéro bucolique organisé dans un champ, où les twittos et les twittas représentent chacun et chacune un moi-même.
Vous êtes donc, bosons de Higgs métaphoriques, dans ce champ, un verre de limonade à la main, en train de discuter, d’échanger les derniers potins, et de vous demander quand @Soleil_VL va enfin réussir à pécho @Lune_VL. Bon.

Au fur et à mesure, plusieurs nouveaux arrivants arrivent (ce qui est normal pour un arrivant, vous en conviendrez.) Plus l’arrivant a un nombre de followers élevé, plus il est connu d’un nombre important d’entre vous, plus le mouvement de foule pour l’accueillir sera grand.

Exemple :

@Terre_VL arrive dans le champ. Elle a 170 abonnés. C’est peu. Rares seront ceux qui viendront donc à sa rencontre : elle pourra avancer dans le champ sans trop de difficulté, avec légèreté, donc sans trop de masse. (Admettons qu’elle symbolise un neutrino.)

– Vient ensuite @FlorencePorcel (elle m’accueille sur son blog, faut bien que je sois un peu lèche-botte, hein). Avec ses 6270 abonnés, elle a déjà bien plus de chances de se faire souhaiter la bienvenue par nombre d’entre vous : comme vous êtes nombreux à vous regrouper autour d’elle, son avancée sera beaucoup moins fluide que celle de @Terre_VL. Elle aura besoin de plus d’énergie pour traverser le champ et a donc une masse plus importante. (Admettons qu’on elle symbolise un quark.)

– Et soudain, @sgtpembry fait son apparition. (Un Terrien fort sympathique, ce @sgtpembry, j’ai un faible pour lui – un comble pour un vecteur de force, mais que voulez-vous… Il a fait un sketch sur mon monde que j’aime beaucoup, alors… Tenez, je vous le mets là-dessous, je suis assez cool, comme boson.)

Donc @sgtpembry arrive dans le champ. Lourd de 88 500 abonnés, toutes les personnes présentes meurent d’envie d’aller à sa rencontre. Du coup, c’est la cohue, il ne peut pas avancer, comme s’il pesait une tonne : dans le champ, vous, petits bosons de Higgs, lui conférez une masse importante. (Admettons qu’il symbolise le boson Z.)

Et puis, plus tard dans la soirée, Marion Le Photon fait son apparition. Sauf que personne ne la voit ni n’interagit avec elle, puisqu’elle n’est pas sur Twitter mais uniquement sur Google +. Notre pauvre Marion traverse dont le champ sans être jamais freinée, ce qui lui confère une masse nulle…

Fin de la métaphore filée. Voilà. C’est plus clair, maintenant ?

En interagissant avec moi dans mon champ, les particules élémentaires prennent une masse – ou pas.

Sans moi, tout filerait à la vitesse de la lumière (celle de Marion Le Photon). Il n’y aurait donc pas vraiment de différence entre les différentes particules. Elles ne s’associeraient pas, ne formant pas de noyau, donc pas d’atomes, donc pas de molécules, donc pas de matière, donc pas de vie.

M’avez-vous compris ?

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Si vous voulez savoir d’où c’est-y que je viens causer sur un blog, suivez le guide qui vous présentera la genèse de ce projet.

Votre serviteur, @BosonDeHiggs_VL

(NB – L’infographie ci-dessous est chouette mais elle contient une grossière erreur. Sauras-tu la retrouver ?…)