[MDRS 148] Billet pour L’Union 4

Allô la Terre ? Ici Mars – ou sa copie conforme dans le désert américain de l’Utah. Aujourd’hui, première crainte. L’objectif principal de la mission est de tester des procédures d’urgence. Ce matin, on a eu une formation donnée par Lucie, notre commandant, et Tiffany, qui conduit l’expérience. L’idée est de simuler un feu ou une dépressurisation avec plusieurs scénarios plus ou moins difficiles. On en fera tous les deux jours, l’heure sera tirée au sort ainsi que le rôle assigné à chacun.

Mais ça fait beaucoup d’informations : apprendre ce que chacun doit faire dans chaque situation en quelques minutes, c’est compliqué. Assimiler le vocabulaire utilisé (la mission est en anglais), ça me semblait hors de portée. Je me suis sentie découragée.

Mais on a fait l’exercice une fois. J’ai tiré le numéro 5 : c’était à moi de trouver l’origine de la fuite. Elle n’était pas réparable, on a dû évacuer.

Finalement c’est rigolo, ce jeu de rôle grandeur nature…

Lucie, Nuno et moi dans le sas de décompression avant l'évacuation

[MDRS 148] Billet pour L’Union 3

Allô la Terre ? Ici Mars – ou sa copie conforme dans le désert américain de l’Utah. Première surprise : le temps s’écoule de manière très étrange, ici. Et pourtant, on ne simule pas la durée du jour martien qui est de vingt-quatre heures et quarante minutes !

L’Équipage qu’on a relevé est parti hier matin et on a tous l’impression que ça fait des semaines. Pourtant, on ne voit pas passer les journées et j’ai bien du mal à me souvenir de ce qu’on a fait la veille. Vraiment étrange. Sans doute parce que le planning est tellement calibré et chargé de tâches diverses à accomplir à la chaîne qu’on n’a pas le temps de les assimiler avant de passer à la suivante…

Je me demande si des neuropsychologues se sont penchés sur la perception du temps dans ce genre de mission. Étant donné qu’elles servent à préparer les futurs vols habités sur Mars, ce serait primordial de comprendre les mécanismes en jeu. Pour utiliser les quarante minutes supplémentaires au mieux…

[MDRS 148] Billet pour L’Union 2

Allô la Terre ? Ici Mars – ou sa copie conforme dans le désert américain de l’Utah. À cause de contretemps, nous n’avons pas pu commencer la simulation à midi. C’était un mal pour un bien : il faisait si beau que nous sommes allés explorer sans combinaison  les collines dignes des panoramas de Curiosity. Les mots me manquent pour exprimer à quel point cet endroit est sublime. (Ce n’est pas si grave, j’ai tout filmé.) J’ai tenu à faire des photos de groupe et des photos individuelles : nous avons désormais nos portraits officiels !

De gauche à droite : Lucie, Tiffany, Duarte, Nuno, Louise, et moi !

Après quelques selfies pour le fun, j’ai posé téléphone et caméra et je suis allée m’asseoir longuement au sommet d’une colline. C’est tellement important d’imprégner ses rétines de ce qu’on v(o)it d’extraordinaire…

Et quand Lucie, notre commandant, a annoncé : « Nous sommes officiellement en simulation ! » quelques heures plus tard, un frisson m’a parcourue. Ça y est, nous sommes sur « Mars » !

 

 

[MDRS 148] Billet pour L’Union 1

Allô la Terre ? Ici Mars – ou sa copie conforme dans le désert américain de l’Utah. Je vous écris depuis ma chambre avec vue sur un paysage austère et sublime, dont les collines marbrées de rouge, de beige et de rouille contrastent avec le bleu pur du ciel matinal – couleur bien terrestre, hélas.

De toute façon, la simulation n’a pas encore commencé. Nous sommes arrivés hier et l’équipage 147 nous a briefés sur tout ce qu’il faut savoir : mise en place des casques de combinaison, conduite des quads, position des extincteurs (la serre a brûlé le mois dernier…), rapports quotidiens à envoyer à la « Terre », etc.

Nous avons dîné de pizzas maison et fêté les 25 ans de Louise, notre astronome. Malgré notre épuisement lié au décalage horaire, nous sommes allés regarder les étoiles à l’air libre.

À partir de midi, aujourd’hui, nous ne respirerons plus que dans nos combinaisons quand nous sortirons explorer ce paysage rougeoyant…

[SPATIAL] Vivez l’amarrage de l’ATV en direct !

[Avec AFP]
Un cargo spatial européen ATV, cinquième et dernier de la série conçue pour ravitailler la Station spatiale internationale (ISS), doit s’amarrer automatiquement à la Station mardi après-midi, un événement qui sera retransmis en direct et en multi-caméras par l’agence spatiale française.

Dès 14h45 heure de Paris (12h45 GMT), le site du CNES commencera à diffuser, avec cinq angles de vue différents, les manoeuvres d’approche de l’ATV-5, à 400 km au-dessus de la Terre. Une séquence automatisée mais supervisée depuis le centre de contrôle de l’agence spatiale française, situé à Toulouse.

« Le flux vidéo principal diffusera une émission commentée d’une heure autour de l’amarrage », mais il sera aussi possible de suivre les opérations directement depuis l’ISS grâce à deux caméras embarquées, l’une russe et l’autre américaine, placées à l’extérieur de la station, précise le CNES dans un communiqué.

Une autre caméra plongera le spectateur au coeur des opérations du centre de contrôle de l’ATV à Toulouse, tandis qu’un dernier flux vidéo montrera, en temps réel et en images de synthèse, la progression de l’ATV vers la Station spatiale, jusqu’à son amarrage prévu pour 15h30 heure de Paris.

Baptisé Georges Lemaître en hommage au physicien belge père de la théorie du Big Bang, l’ATV-5, d’une masse au décollage de 20,3 tonnes, a été lancé dans la nuit du 29 au 30 juillet depuis la Guyane française par une fusée Ariane 5.

Depuis lors, le cargo a effectué une série de manoeuvres pour rejoindre l’ISS, passant sous la station, puis au-dessus, pour finalement se laisser lentement dériver et venir se placer à son point d’attente, à 5 km en arrière, depuis lequel il entamera son approche finale mardi.

C’est Alexander Gerst, astronaute allemand de l’Agence spatiale européenne (ESA), qui supervisera le déchargement des quelque 6,6 tonnes de fret (un record) destinés aux six occupants de l’ISS : près de 850 litres d’eau potable, trois tonnes de carburant, et plus de 2,6 tonnes de denrées alimentaires, vêtements et équipements pour la recherche.

Teaser Amarrage #ATV5 from CNES on Vimeo.

A la fin de sa mission, début 2015, le vaisseau de dix mètres de long sera rempli des déchets non dangereux produits à bord de la Station. Il se détachera de l’ISS et plongera vers l’atmosphère terrestre où il se consumera avec sa cargaison, comme l’ont fait ses quatre prédécesseurs, Jules Verne (2008), Johannes Kepler (2011), Edoardo Amaldi (2012) et Albert Einstein (2013).

Le chant du cygne du dernier ATV sera filmé pour la première fois de l’intérieur, grâce à une caméra embarquée spécialement conçue pour transmettre les images des toutes dernières secondes du cargo avant de brûler avec lui.

Avec la fin des ATV, l’ISS sera ravitaillée par des vaisseaux russes Progress et des cargos opérés par des firmes privées américaines sous contrat avec la Nasa, SpaceX (Dragon) et Orbital Sciences (Cygnus).

Pour en savoir plus : l’astronaute Jean-François Clervoy parle de l’ATV sur Futura-Sciences.

Et l’encouragement d’Alexandre Astier !

 

[BD] Bulles d’Univers 1

Ah, la fameuse photo de Curiosity qui a fait le tour des Internets… Une lueur étrange : il n’en fallait pas plus pour élaborer les hypothèses les plus farfelues ! Mais c’est une explication bien plus terre à terre (Mars à Mars ?) que la NASA a apportée, et je vous en parlais justement dans « La tête au carré » sur France Inter le 9 avril dernier (à partir de 2’51)…

Mais la Lune n’est pas en reste. Elle s’est certes éclipsée il y a quelques jours dans l’ombre de la Terre, mais une actualité peu banale la concerne ces jours-ci : la sonde LADEE arrive à court de carburant et va s’écraser sur le sol lunaire dans les prochains jours (à partir de 5′).

 

MISE À JOUR
Ça y est, elle s’écrasée !

 

Et à l’instar des animaux qui viennent d’être reconnus comme « doués de sensibilité », je suis persuadée que les astres sont des objets cosmiques sensibles (très sensibles, même…) aussi.

Alors avec Aurélie Bordenave, l’illustratrice des fabuleuses « Semaines Dessinées » de La Tête Au Carré, nous avons décidé de les laisser s’exprimer…

Voici le premier strip de « Bulles d’Univers » !

Si vous voulez plus de dessins d’Aurélie, n’hésitez pas à faire un tour sur son site.
Si vous voulez plus de dialogues entre les astres, alors n’hésitez pas à faire un tour par ici !

Ceci est un billet auparavant publié sur le Blog au Carré !

[ITW/SCIENCES] Sébastien Rouquette : « L’expression scientifique est le 10ème art ! »

Quand on m’a parlé de Sébastien Rouquette, on me l’a décrit comme un homme aussi brillant que humble et sympathique. Mais aussi avec une expérience déjà longue comme le bras : un doctorat en planétologie, un brevet de pilote, une presque-sélection dans le corps des astronautes européens et une carrière au CNES…

Et j’allais voler avec lui. En tant que responsable des vols paraboliques, il était présent lors du vol Zéro-G que j’ai effectué le 8 octobre dernier (et que j’ai commencé à raconter dans ce billet).

La première rencontre a été sommaire : nous étions alors en train de déjeuner dans le parc de Novespace quand il s’est présenté. J’ai dû bredouiller un bonjour sans même oser sourire de peur qu’un bout de salade entre les dents ne me ridiculise. J’étais déjà tellement impressionnée… 

J’aurais voulu l’interviewer au micro de France Inter qui ne m’a pas quittée lors de ces deux journées à Novespace, mais trop intimidée, et malade et pressée à la sortie de l’avion, je n’en ai pas eu l’occasion. Heureusement, les Internets m’ont sauvée. Qu’il soit ici chaleureusement remercié d’avoir pris le temps de répondre à mes nombreuses questions…

Qui es-tu, Sébastien Rouquette ?

Planétologue de formation, je suis arrivé au Cnes en 2000 (à l’aube du nouveau millénaire) en post-doc, sur un sujet lié à la transmission de la connaissance. Alors c’est vrai c’était moins de l’astrophysique que de la médiation ou de l’épistémologie, mais c’est ce qui m’a ouvert les portes de l’espace. Je rêvais de travailler au CNES quand j’étais plus jeune… Ce fut aussi mon premier contact avec le vol parabolique. Je m’occupais alors de la sélection des expériences éducatives.

Puis j’ai travaillé à la conception de satellites d’astrophysique. Mon rôle était celui de responsable programmation mission. J’étais encore un médiateur entre les scientifiques et les ingénieurs pour faire en sorte que les rêves des uns soient dessinés par les autres, en tenant compte des contraintes orbitales.

Début 2011, je suis revenu vers le vol parabolique, programme dont je suis le responsable aujourd’hui. C’est un vrai plaisir… qui me donne l’occasion d’associer ma passion pour l’aviation et celle pour l’espace.

Quel est ton rôle exactement concernant les vols paraboliques ?

Le poste de chef de projet est multi-facettes. Gestion du budget, planning, organisation… Du point de vue technique, c’est la sélection des expériences avec les spécialistes thématiques du CNES, le suivi du développement des expériences, l’accompagnement des labos dans leurs travaux de recherche, jusqu’au déroulement des campagnes.

En fait, on reproduit un schéma de développement et d’accompagnement de la science quel que soit l’outil de travail. ISS, capsules, spationef ZERO-G. Et ce travail se fait au CADMOS, le Centre d’aide au développement des activités en micropesanteur et des opérations spatiales. C’est un service qui porte l’histoire des vols spatiaux scientifiques. Presque tous les astronautes français l’ont pratiqué.

Comment s’organise une campagne ?

Pour une équipe de recherche, tout commence quelques années avant une participation éventuelle. Il faut d’abord qu’elle soit soutenue pas le CNES. Pour cela, elle fait une proposition de recherche qui sera analysée par des groupes thématiques (spécialistes CNES et extérieurs). Si le soutien est accordé (financement), le labo va pouvoir, s’il le souhaite, faire appel au CADMOS pour développer un concept instrumental. Même si c’est plus simple que pour l’ISS, les contraintes techniques sont assez fortes et requièrent pas mal de savoir faire, ce dont nous disposons au CADMOS.

Pour les campagnes en particulier, l’aventure débute 8 à 10 mois avant une campagne, par un tour des labos soutenus par le CNES, pour connaitre les volontés de participation. On fait un état des lieux du travail en cours. Dès que tous les labos candidats nous ont communiqué leur fiche d’expérience (c’est un acte de candidature, en somme), le Comité de sélection se réunit pour établir la liste des lauréats. Le Comité regroupe les spécialistes thématiques et le chef de projet.

6 mois avant la campagne, les expériences sont donc connues. Pour les équipes, cela donne le départ du marathon de préparation de l’expérience. C’est là qu’intervient Novespace. Le CNES a confié à sa filiale l’essentiel du suivi technique des expériences pour leur adaptation au vol parabolique. Les ingénieurs Novespace font un travail formidable pour assurer la réussite des manips : résistance mécanique, risque chimique, biologique, électrique, étanchéité, masse, consommation électrique… Tout y passe pour déceler la moindre faille.

Un mois avant la campagne, la fébrilité s’accentue. C’est la réunion de sécurité. Les expériences sont passées en revue par les spécialistes techniques (mécanique, électronique, chimie, etc), les responsables de campagne et l’équipage (sécurité et commandant de bord). Autour de la table, on retrouve donc le CNES, Novespace, DGA-Essais en vol (qui assure les opérations en vol) et Sabena technics (maintien en condition de vol et intégration des expériences).

Et enfin, le moment tant attendu des vols arrive… Les manips sont installées dans l’avion, la fourmilière Novespace s’anime. Et tout va très vite ensuite.

A la fin de la campagne, chacun retrouve une activité terrestre la tête pleine d’images et les disques durs chargés de données à analyser. Le grand cycle peut reprendre.

Quels sont les problèmes qu’on peut rencontrer ?

Les problèmes sont rares car on suit de très près chaque expérience. Mais il peut arriver qu’un instrument ait du retard, qu’un élément électronique ou mécanique défaille.

Je me souviens par exemple d’une carte d’acquisition d’électrocardiogramme qui ne fonctionnait plus. L’ordinateur avait été changé et la carte ne fonctionnait plus. On a passé des heures à tenter de résoudre le problème en tentant des centaines de parades informatiques. Cela n’a pas fonctionné. Et l’équipe a perdu une partie de ses données.

On peut avoir des soucis avec des instruments très sensibles, sur des expériences nouvelles. Je pense par exemple à celles utilisant des lasers pour faire de l’interférométrie. La mise au point nécessite parfois plusieurs campagnes pour trouver le bon concept instrumental et le bon protocole.

Heureusement, la plupart du temps c’est moins problématique. Et dans des cas un peu difficiles, toute l’équipe se concentre sur le problème pour tenter de le résoudre.

Au contraire, quels bénéfices peut-on retirer de ces vols ?

Bon, alors je vais sortir mon petit couplet sur les bienfaits de la science.

Mais tout d’abord, pour être pragmatique, il faut savoir que le CNES finance totalement les campagnes. Les labos sont invités. Et ils sont en partie financés également par le CNES. Si le CNES finance, c’est parce que l’état investit dans la recherche publique. On entend souvent des commentaires « le spatial ça coûte cher »… C’est faux. C’est environ 10€ par français et par an, soit 0,1 % de l’évasion fiscale.

1 euros investi dans le spatial rapporte même 19€ à l’économie de notre pays. C’est énorme !

C’est très bien mais cela n’est qu’une partie du « bénéfice ». Le plus important à mes yeux n’est pas ce qui brille, ce qui est monnayable. Non, la vérité est ailleurs. On vit dans un monde où l’humain doit être pesé, mesuré, évalué, chiffré, rentabilisé ! Et je pense que c’est une erreur. Ce qui fait le bénéfice maximal, c’est la connaissance. La science est à préserver de même que la musique, le théâtre, la littérature, etc. L’expression scientifique est le 10ème art !

La connaissance est à prendre au premier degré. Elle nous éveille à ce que nous sommes. Un peu comme lorsque les premiers satellites nous ont renvoyé l’image de la Terre, notre propre place dans l’Univers. Mais bien sûr, il y a aussi la connaissance qui nous permettra d’acquérir de nouvelles compétences. On n’en a pas toujours conscience, la recherche fondamentale pose les jalons des inventions majeures de demain.

Juste un exemple, on imaginait dans les années 70 que l’apport de l’espace se ferait en particulier dans le domaine des communications. Aujourd’hui, c’est plus dans le domaine de l’environnement que le spatial est une pierre angulaire, par la vision globale et précise qu’il rapporte de notre monde.

C’est finalement pour cela qu’on intente souvent des procès aux sciences en les accusant du mal qu’elles combattent. En vérité, elles rendent l’homme meilleur et plus malin. Tout ce qu’il faut pour ne pas être un agneau victime des systèmes et des dogmes.

Je suis heureux et fier de contribuer à cet élan humaniste.

Ces vols sont spéciaux et donc bien encadrés. Peux-tu expliquer quels types de personnes sont présentes pendant le vol pour assurer les paraboles et la sécurité de tous ?

1) les scientifiques : opérateurs et sujets volontaires (les « cobayes » des manips de physiologie)
2) l’équipage : pilotes et mécanos navigants + le personnel de sécurité
3) l’encadrement projet : Novespace et CNES

Et il faut absolument ajouter l’équipe sol qui ne participe pas au vol mais qui est essentielle : mécanos sol.

Comment devient-on « monsieur-en-orange-qui-nous-rattrape-littéralement-au-vol » ? (Ça m’intéresse 🙂 )

Les gars en orange ont une formation spécifique en sécurité des vols, ce sont de super hôtesses de l’air. Et bien qu’ils distribuent des friandises et de l’eau en fin de vol, ils sont surtout formés à la gestion des situations critiques en vol (feu, dépressurisation, accident, évacuation, etc). Ils viennent d’un peu partout. Mais leur profil est essentiellement opérationnel, ce sont des gens de terrain.

Dessin : AnneKa.

Tu es scientifique de formation – y a-t-il des questions auxquelles tu voudrais des réponses et à laquelle une expérience à bord de l’avion pourrait répondre ?

J’ai toujours été passionné par la cosmologie. Une question se pose depuis que Newton et Einstein ont décrit les bases de la compréhension de la gravité. Est-ce que la gravitation agit de la même manière sur toutes les particules massives ? On appelle cela le principe d’équivalence. De la réponse à cette question dépend l’avenir des grands principes qui nous permettent de décrire l’Univers.

L’expérience ICE contribue à cette recherche en proposant un concept instrumental pour mesurer la chute libre de paquets d’atomes de nature différente. Pour résumer très simplement, si les paquets tombent à la même vitesse, la loi de la gravitation est validée. Sinon…

Les scientifiques et taïkonautes chinois ont-il été satisfait de leur entraînement/expérience ?

Oui ! Pour les scientifiques, ce n’était pas un coup d’essai. Les collaboration avec la Chine ont débuté il y a une petite dizaine d’années.

Pour les taïkonautes, nous sommes fiers d’avoir pu répondre à leur sollicitation. Nous participons ainsi à l’entrainement des astronautes de la 4ème puissance spatiale.

Quel souvenir garderas-tu de cette campagne de début octobre 2013 ?

Euh, un bon souvenir ! Nous avions pas mal de nouveaux protocoles en plus de nos collègues chinois et la pression n’était pas négligeable. Nous avons eu quelques soucis sur des expériences très pointues mais globalement, tous les acteurs de cette 44ème campagnes CNES sont rentrées ravis dans leur labos.

Les vols paraboliques, c’est génial. L’ISS, c’est incroyable. Mais… mais je fais partie de la génération qui a connu l’émergence d’Internet, l’arrivée des téléphones portables, l’explosion de la haute technologie, mais qui n’a jamais vu (ni même été contemporaine) d’êtres humains en train de fouler le sol d’un autre astre. Quel est ton sentiment sur l’avenir éventuel de l’exploration spatiale, côté vols habités ?

Je pense qu’on ira plus loin. Mais on ira plus tard ! Dans les années 80, on annonçait le premier pas sur Mars en 2020. 30 ans plus tard, on l’annonce pour 2050 ! D’autres priorités ont émergé entre temps, et c’est normal. Pour l’instant l’exploration robotique suffit aux scientifiques. Mais on ira. On percera un jour cette nouvelle frontière, après les océans, les pôles, les fonds marins, l’espace proche (y compris la Lune), on acceptera un jour de se jeter dans le vide, de tendre la main dans le noir. Cela me semble inéluctable, si toutefois, l’humanité n’est pas placée face à son destin sur Terre.

Ce qui peut remettre en cause ce projet de civilisation, c’est notre civilisation elle-même… dans le risque que quelques-uns font courir à la majorité, dans des choix à court terme, égoïstes et intéressés.

As-tu entendu parler du projet Mars One ? Qu’en penses-tu ?

Je n’y participerai pas. Mes enfants ne voudraient pas !

Mais pourquoi pas… C’est la première idée moderne du genre. Je pense qu’elle n’aboutira pas en 2023, parce que techniquement c’est infaisable. Problème de masse à envoyer, de support vie inexistant, de difficulté insurmontable aujourd’hui pour protéger des organismes vivants dans l’espace, milieu très agressif. Les mêmes difficultés ont été rencontrées par les premières expéditions sur Terre (exploration des mers et des pôles), à la différence que ces expéditions restaient dans leur milieu naturel, auquel nous sommes préparés. Mais elle a le mérite de nous faire avancer intellectuellement et elle pose la question de la dissémination de l’espèce humaine. Et bien d’autres encore :

– A-t-on le droit de laisser partir des gens sans espoir de retour et avec des chances de survie très faibles ?
– Quel cadre légal pour la première expédition sur Mars ? Est-ce la civilisation humaine ou une nation qui s’y établit ?
– Et si la vie existe sur Mars, de quel droit va-t-on la mettre en péril ?
– Nous détruisons notre environnement et notre civilisation. Va-t-on sur Mars pour reproduire ce modèle ?
– La terraformation de Mars est impossible. Nous ne vivrons jamais sur Mars comme sur la Terre. A quoi bon tenter de s’y installer ?
– Ne vaudrait-il pas mieux préserver notre planète que tenter de viabiliser une autre ?

Il faut lire et relire les « Chroniques martiennes » de Ray Bradbury. C’est un ouvrage majeur du genre et sur lequel on peut réfléchir longtemps…

Quelle est la question à laquelle tu rêverais d’avoir une réponse ?

La vie ailleurs : possible ou probable ?

[VÉCU] Mon vol Zéro-G : le bonheur en impesanteur (1/3)

9 octobre 2013

Je suis bouleversée au-delà des mots. Retournée. Comme hier matin, lorsque, en impesanteur, il n’y avait plus ni bas ni haut. Mes larmes tombent, sans discontinuer, depuis deux heures, vers la Terre, selon la dure loi de la pesanteur. Je suis bouleversée au-delà des mots, je comprends à peine ce qui m’arrive. Mon corps ne s’est jamais senti aussi bien, d’aussi loin que je me souvienne. Il est comme… encore empli de l’euphorie de la liberté que procure l’impesanteur : se mouvoir en trois dimensions, ne plus avoir de limites, aller où bon lui semble sans se frotter ni être ralenti par quoi que ce soit… Sans poids, sans gravité, sans contraintes, sans tensions… Non, ce n’est pas de l’euphorie. C’est de la béatitude physique…

Je crois… je crois que c’est la même sensation que quand on tombe amoureux, quand on flotte au-dessus du sol sur son petit nuage, quand il nous pousse des ailes. Être en apesanteur, c’est également tomber, flotter, avoir des ailes… Mais puissance mille. Il n’y a réellement plus de limite physique, c’est la liberté dans toute sa puissance.

C’était hier matin, et mon corps est… tellement… bien. Comme purifié… C’est… étrange, troublant, perturbant… Cet état de grâce va-t-il durer ? Y aura-t-il une chute, difficile comme dans l’avion, où l’on supportait presque deux fois son poids après n’avoir rien pesé pendant une vingtaine de secondes ? Ou bien va-t-il se réhabituer à vivre dans la pesanteur terrestre, comme depuis 30 ans, avec tout le poids, les limites, et les contraintes que cela implique ?

Une chose est sûre : cette expérience de la gravité zéro ne peut pas être la dernière. Je la revivrai, d’une manière ou d’une autre. C’est là-haut que je suis bien.

Quelques semaines plus tôt… 27 août 2013

En mode groupie à côté de Mathieu Vidard juste après ma 1ère chronique

Je fais ma première chronique pour « La tête au carré« , le magazine scientifique de France Inter, animé par Mathieu Vidard. Je suis folle de joie, folle d’angoisse, mais ça se passe bien. Et je suis folle d’excitation de savoir que, si tout se passe bien, ça va durer toute la saison. Sur le moment, j’ai l’impression que rien d’autre ne pourrait me rendre plus heureuse. Comme je me trompais… 🙂

28 août 2013

« Vols paraboliques : tentée ? » : c’est l’objet du mail qui vient d’arriver. Je n’en crois pas mes yeux et je hurle de joie. Je réponds frénétiquement oui, oui ! OUI OUI OUI !!!! Un rêve va devenir réalité et c’est Séverine Klein, chef du service Grand Public du CNES, qui est la messagère de cette incroyable nouvelle. C’est elle, déjà, qui m’avait conviée à l’atterrissage de Curiosity sur Mars en direct de la Cité de l’Espace de Toulouse un an plus tôt et dont je garde un souvenir ébloui. Je ne sais pas si j’aurai assez de temps pour la remercier d’avoir pensé à moi…

30 août 2013

Visite chez le médecin pour le certificat d’aptitude au vol zéro-g. J’ai un peu peur que mes mésaventures médicales passées ne soient rédhibitoires. Mais non.

Mon électrocardiogramme est « probablement normal ». Les machines se mettent à faire de l’humour, maintenant… Ce satané truc a repéré mon stress de ne pas passer le test. Mais si.

Me voilà officiellement apte 🙂 (En même temps, vu que Stephen Hawking l’était, ça m’aurait un peu fait chier de ne pas l’être, voyez-vous…)

Stephen Hawking en impesanteur

6 septembre 2013

Déjeuner avec Séverine Klein et Julien Watelet, du CNES. Je suis partagée entre poser les milliards de questions qui me viennent à l’esprit et l’envie de garder de la surprise – et donc certainement un peu de magie. Je sais que les bédé-blogueurs Boulet et Marion Montaigne ont vécu ce vol, j’avais survolé leurs posts mais sans trop m’y arrêter. Je voudrais découvrir les détails sur place, par moi-même…

Et puis, il faut bien l’avouer, c’est aussi à cause de mon trouillomètre qui commençait sérieusement à grimper vers le rouge. Étant la plus grande angoissée du système solaire, à peu près, moins j’en saurais, moins j’aurais l’occasion de m’affoler toute seule.

« Ah non mais comme ils coupent les moteurs de l’avion quand il pique du nez vers l’océan… » C’est la première phrase de ce déjeuner dont j’ai souvenir. AHEM. Comment ça, ils coupent les moteurs ?? En fait, pas tout à fait : c’est juste que la poussée des moteurs est réduite. Bon… Pas d’affolement, pas d’affolement. Une fois de plus, la peur se mêle à l’excitation. J’ai tellement envie de vivre ça…

On discute de choses et d’autres : des différents types de profils (les anxieux, les exaltés, les anxiogènes, les excités… tout un tas de gens avec des x dedans), des anecdotes, des expériences scientifiques qui seront conduites à bord, de l’avion qui a très peu d’heures de vol au compteur et qui jouit d’un entretien unique au monde…

Aaaaaaaaaaaaah.

L'A300 Zéro-G, sagement garé près de Novespace, à l'aéroport de Bordeaux, le 7 octobre 2013

Et puis on passe des paraboles à l’espace, on cause de l’actualité du spatial français et européen, Gaïa qui va bientôt être lancée, Curiosity à moitié gérée depuis Toulouse, ce que personne en France ne sait, la future mission ExoMars, et puis Mars One

Par association d’idées, une interview d’Alexandre Astier par Canal+ me revient en tête : il y disait qu’il rêverait d’aller dans l’espace. Ayant eu l’immense chance de le rencontrer sur le plateau du Grand Webze et connaissant sa passion pour les sciences et le spatial, j’en parle à Séverine et Julien, qui l’ignoraient. Me vient alors l’idée de lui faire un petit clin d’oeil pendant une parabole, pour lui offrir un petit morceau d’espace en attendant qu’il ait la chance de le vivre lui-même.

Le déjeuner se termine, et je suis plus que jamais impatiente, et angoissée, de goûter aux merveilles de l’impesanteur.

12 septembre 2013

Je prends mon courage et mes DM à deux mains (j’ai la chance de pouvoir lui en envoyer…) et j’annonce donc à Alexandre Astier que je vais faire un vol parabolique, et que je penserai très fort à lui quand je serai en apesanteur. Que s’il m’arrive quelque chose, je lui lèguerais tous mes Lego de l’espace, et qu’il n’oublie pas de dédicacer mon intégrale de Kaamelott pour consoler mes parents.

17 septembre 2013

Je potasse les descriptions des expériences scientifiques qui seront menées dans l’avion. Comportement d’une flamme, atomes refroidis au presque zéro absolu… Euh… c’est pas un peu dangereux, ça, dans un avion qui va faire des cabrioles ?…

Détail d'un dispositif dans lequel des atomes de masses différentes sont refroidis au quasi zéro absolu pour vérifier le principe d'équivalence

Bon. Sinon, il y a des étudiants qui vont expérimenter des réactions chimiques de l’atmosphère de Titan, des taïkonautes qui vont venir s’entraîner, une maquette de vaisseau martien censé créer de la gravité artificielle qui va être testée, la perception de son propre corps via uniquement des signaux auditifs qui va être étudiée, etc etc… De quoi causer dans « La tête au carré » !!

25 septembre 2013

Je flippe. L’échéance approche. J’ai peur. J’ai hâte. J’ai peur. Je commence à prendre de l’homéopathie pour calmer mon angoisse. À ma grande surprise, et n’en déplaise aux sceptiques/je-sais-tout-mieux-que-tout-le-monde/énervés-du-bulbe, ça fonctionne plutôt très bien. Le thé me manque, mais que voulez-vous ma bonne dame, il faut ce qu’il faut, hein.

Le Cri, de Munch

J’ai du mal à m’endormir… En fait, j’ai peur. Mais j’ai toujours peur. Il y a toujours quelque chose qui m’angoisse, qui me tend, qui me stresse. J’ai peur, sans arrêt, pour moi, pour mes proches, pour le monde. J’ai peur de ne pas être à la hauteur, j’ai peur que l’avion ait un problème, j’ai peur d’avoir des migraines, j’ai peur de faire une crise d’angoisse, j’ai peur de…

La peur entraînent les doutes, les doutes entraînent les angoisses, les angoisses entraînent les questions, les questions entraînent la peur… Je me fatigue moi-même. J’en ai ras-le-bol d’être née angoissée et d’avoir peur de mon ombre. Je voudrais m’alléger de toutes ces craintes qui sont parfois un peu lourdes à vivre. Qu’on me soulage de la gravité, vite !

28 septembre 2013

Je reçois tous les e-billets concernant mon séjour. Départ de Paris-Orly le 7 octobre à 8h50. Nuit dans un hôtel à proximité de l’aéroport de Mérignac où se trouve Novespace et l’A300 Zéro-G. Et le retour Bordeaux-Paris est prévu à 14h50 le lendemain. Outch. Sachant que le vol parabolique se terminera aux environs de 12-13h, ça ne me laissera pas beaucoup de temps pour m’en remettre avant de remonter dans un avion normal…

Mais ça devient sacrément concret. Je trépigne d’impatience…

1er octobre 2013

Je passe à Storycircus emprunter la GoPro pour pouvoir filmer. C’est celle, dernier modèle, qu’a utilisé Vinvin dans le Vinvinteur ces derniers mois… Je suis contente de l’avoir avec moi 🙂 Merci Storycircus ! Je suis sûre qu’elle se plaira autant dans l’avion que sur le front de Cyrille…

La GoPro du Vinvinteur confortablement installée dans son éphémère maison volante !

3 octobre 2013

Je rentre de France Inter après avoir fait ma chronique. Tout le monde m’a souhaité bonne chance. Violaine Ballet, la réalisatrice de l’émission, m’a répété en riant : « T’es tarée… » et je me suis exclamée : « Ouais !! » dans un grand sourire fier. Je la fais moins à l’intérieure…

J’alterne depuis 15 jours entre excitation, euphorie et angoisse. Là, j’angoisse. Assise sur mon canapé, je me demande si je dois laisser une lettre. Au cas où. Ou les mots de passe de mes trucs en ligne. Le choix se fait en une fraction de seconde, quasiment de manière inconsciente. Il vaudrait mieux que je laisse mes mots de passe. Mais non.

NOM DE NOM C’EST STUPIDE.

Je me traite de tous les noms. Il ne m’arrivera rien, et puis c’est tout. C’est vraiment débile et je suis en colère contre moi. Mais, mentalement, je note ce qui est sociologiquement intéressant : préférer laisser ses mots de passe plutôt qu’une lettre quand on n’est pas sûr de revenir…

Je fais des tests avec le Nagra, l’appareil qui me servira à enregistrer du son pour France Inter, je checke la GoPro et tout ce qui va avec… Techniquement, je suis prête ! J’ai hâte… Ça y est, j’ai chassé l’angoisse et c’est l’excitation qui revient.

J’AI HÂTE, BON SANG, J’AI HÂTE !!!

Suite au prochain épisode !

[HUMEUR] STOP à la conquête, oui à l’exploration !

33 !! Non, il ne s’agit pas d’une visite chez un médecin d’un autre temps, ni du nombre d’années-lumière séparant une exoplanète récemment découverte de notre bonne vieille Terre, et encore moins du nombre de personnes présentes dans l’espace actuellement. Non non non. 33… Le mot « conquête » apparaît 33 fois dans le dernier hors-série de « Science&Vie » intitulé « Aller sur Mars – Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? » Autant vous dire que la lecture de ces 150 pages a été un peu compliquée pour moi.

Petit rappel… Il y a un an, déjà, dans l’un des tout premiers épisodes de mon podcast « La folle histoire de l’Univers », je m’étais fâchée très fort contre un journaliste qui utilisait le mot « colonisation » (à partir de 7’20).

Voilà. La « colonisation » d’autres mondes, la « chasse » ou la « traque » d’exoplanètes ou d’astéroïdes, les exemples ne manquent pas. Et le vocabulaire faisant partie du champ lexical de la guerre, de l’agressivité et de la violence me hérisse un peu le poil, voyez-vous, surtout quand ça concerne l’espace. Et donc, 33 « conquêtes » dans ce hors-série, alors qu’on n’utilise plus ce mot depuis les années 70 et qu’on parle désormais d’exploration, comment vous dire… En lisant ce magazine, j’ai eu un peu l’impression que Science&Vie était tombé dans une faille temporelle et qu’il était resté bloqué dans les années 60.

Donc, amis journalistes… On parle d’EXPLORATION spatiale, et plus de CONQUÊTE spatiale, merci, bisous. Et ce, depuis 1975 quand la guéguerre de kikalaplugrosse et kikipisslepluloin (voir à ce propos mon billet sur l’histoire des femmes dans l’exploration spatiale) s’est terminée entre les USA et l’URSS. Et ce n’est même pas moi qui le dis, c’est vous !! Je cite, pp. 106-107 : « Quand Nixon cherchera à afficher sa politique de détente avec l’Union soviétique, c’est une mission spatiale conjointe qui est choisie comme symbole, avec l’amarrage dans l’espace des vaisseaux Apollo et Soyouz en 1975.« 

Alexeï Leonov et Deke Slayton. Juillet 1975.

Le mot « conquête » s’inscrit dans un contexte historique, et j’estime donc qu’il n’est absolument plus légitime depuis 1975. Vous avez 38 ans de retard, les gars. Parce que, bon… Que vous l’ayez mal utilisé une fois ou deux… ça peut arriver. Éviter les redites de vocabulaire dans un papier, faute d’attention… Ça arrive, bien sûr. Mais là, non. Non. « Les nouveaux enjeux de la conquête spatiale« , c’est écrit en orange sur noir sur votre couv’ !!

Seriously ?? Les nouveaux enjeux de la conquête spatiale ??? Mais vous sortez d’où ? Vous étiez dans un bunker, ces 40 dernières années, sans déconner ? Admettons que dans le mot « conquête », il y ait l’idée de déflorer des sols extraterrestres… Quelqu’un vous a dit qu’on n’est pas retourné sur la Lune depuis… 1972 ?

Bon… Bon mais admettons que vous ayez voulu faire de l’excès de zèle et qu’on mot agressif sur la couverture ait servi à appâter le chaland. Admettons. Comment vous expliquez… ça ??

Pour les besoins de ce billet, j'ai surligné toutes les "conquêtes"...

... Je pensais faire du surlignage. Pas du coloriage.

Reprenons tout depuis le début, si vous voulez bien. Déjà, que veut dire « conquête » ? Je demande à mon fidèle Larousse : « action de conquérir ». Oui, bon, ok, alors… Que veut dire « conquérir » ?

Soumettre… armes… se rendre maître… maîtriser… dominer…
Dites donc, Science&VieÇa vous dirait pas, en 2013, d’arrêter d’utiliser des mots qui veulent dire des choses aussi barbares, mmh ?… Vous voulez faire passer quoi, comme message, en utilisant encore le mot « conquête » ? Que les agences spatiales, les gouvernements, les ingénieurs, les techniciens, les scientifiques et les astronautes sont des hommes-blancs-occidentaux-assoiffés-de-sang qui livrent une bataille armée contre l’espace pour mieux s’en rendre maître et le dominer ?…
Vous vous rendez compte que cette dernière phrase n’a absolument aucun sens, ou… ?

Le mot « conquête » avait un sens quand l’accès à l’espace était une arme politique, idéologique, tactique, militaire, et de propagande, quand les USA et l’URSS jouaient donc à kikalaplugrosse et kikipisslepluloin – jusqu’en 1975, donc. Mais aujourd’hui ?…

Aujourd’hui vous êtes vraiment sûrs, Science&Vie, que les États sont dans le même état d’esprit et que le secteur spatial représente une volonté de domination et de pouvoir sur les petits copains dans la cour de récré mondiale ? Ou est-ce que, par hasard, au moins dans ce secteur, ne nous serions-nous pas assagis ?…

Pour répondre à cette question, allons voir du côté des sites des agences spatiales. Je me rends sur le site de la NASA, puis dans « à propos de la NASA ». Et tout de suite, avant d’aller plus loin, ce petit macaron sur la colonne de gauche…

Je traduis. « La vision de la NASA – Atteindre de nouvelles hauteurs et révéler l’inconnu de manière à ce que toute l’humanité puisse bénéficier de que nous faisons et de ce que nous apprenons. » Voilà. Et puis personnellement, je ne vois aucune petite étoile qui renverrait vers des nano-caractères en bas de page disant : « Enfin bon, ça vaut pour toute l’humanité sauf pour ces salauds de Russes, pour les faces de citrons qui commencent à nous tataner le bourrichon sévère, et pour les ispices di counasses qu’on voudrait bien continuer à conquérir en les maîtrisant avec nos grosses fusées puissantes. » Je vois ça nulle part. Donc bon.

Mais continuons. Rendons-nous sur la page « What NASA does« . Mais oui, tiens ? Qu’est-ce qu’elle fait donc, la NASA ? Je vous la fais courte, hein : elle EXPLORE, dites donc. C’est fou, ça ! Elle explore, elle fait des sciences, de la recherche, de la technologie, dans le spatial, dans l’aéronautique et dans l’économie. Et une petite recherche rapide sert à confirmer que le mot « exploration » apparaît 4 fois dans cette page, pareil pour le mot « explore(s) », et qu’en revanche les mots « conquest » et « war » sont aux abonnés absents.

Un peu comme si le mot « conquête » quand il s’agit de spatial ne s’utilisait plus depuis des dizaines d’années.

Mais vous allez me dire qu’il n’y a pas que la NASA dans la vie : vous avez absolument raison. Allez voir du côté de notre Agence Spatiale Européenne (ESA)… Le premier mot que l’on trouve sur la page « Space for Europe » est « exploring« . Quelle surprise !

Et dès la première ligne de « ESA’s purpose« , nous avons : « (…) pour des objectifs exclusivement pacifiques (…)« . Et donc l’ESA, ben elle explore, elle fait des sciences, de la recherche, de l’industrie, des satellites, etc pour faire avancer la connaissance et aider l’humanité dans des tas de domaines (sciences, observation de la Terre, télécommunications, navigation, etc…) Je vous fais grâce du nombre d’occurrences du terme « exploration » et de l’absence totale de « conquête ».

Du côté de Roscomos, l’agence spatiale russe, maintenant… Je vous accorde qu’il est beaucoup question de choses militaires – apparemment l’agence est très liée au ministère de la Défense, d’après ce que j’ai compris. Mais… ça fait des dizaines d’années que l’agence russe est alliée avec notamment la NASA et l’ESA sur de nombreux projets… Et voici un extrait de leur site (la traduction Google est un peu aléatoire mais on comprend le principal) :

Evidemment, aucune trace du mot « conquête » et 4 occurrences de « exploration ».

Et du côté des Chinois, qui n’ont pas la réputation d’être des rigolos et qui font station spatiale à part ? Ce sont des poignées de mains avec l’ESA, des échanges par-ci, de la coopération par-là dès la home du site

Quant à la suite, c’est du même acabit : science, technologie, industrie, échanges et coopération avec une liste de pays longue et solide comme un boa constrictor :

Et je rappelle que le Traité de l’espace, traité international datant de 1967, stipule en gros que l’espace est un bien commun. Et quand dans ce texte, le mot « conquête » n’apparaît jamais – en revanche, il y a 18 occurrences de « exploration ».

Voilà. Je pense avoir expliqué avec suffisamment de preuves à l’appui que plus personne n’utilise le mot « conquête spatiale » parmi les organisations de ce domaine et les personnes qui y travaillent. Si vous pouviez donc, amis journalistes, remplacer une fois pour toute cette expression datée – et fausse dans le contexte actuel – par l’expression « exploration spatiale », ce serait rigoureux et juste (ne serait-ce que du point de vue historique si on met de côté l’éthique) et j’estime que c’est quand même la base de votre métier (allez, je m’inclus dedans, j’ai mon diplôme).

Mais essayons de comprendre encore pourquoi tu utilises ce terme, cher Science&Vie… (parce que je t’aime bien, au fond, tu m’accompagnes depuis si longtemps.) Ton hors-série s’intitule « Aller sur Mars » et tu titres ton premier gros dossier « Conquête de Mars« . J’imagine que dans le mot « conquête », tu entends que poser le pied sur Mars voudra dire qu’on l’aura conquise. Sauf que… sauf que là encore, avec tout le respect et l’admiration que je te dois, tu te trompes.

Déjà, cela fait des dizaines d’années que les agences spatiales s’allient entre elles pour mener à bien des projets qui coûteraient trop cher pour une seule agence. Ça ne t’aura pas échappé que la station spatiale internationale est internationale, par exemple, ou encore que la mission Cassini-Huygens était une mission NASA-ESA (Huygens, sonde européenne, objet le plus lointain à s’être posé sur un monde extraterrestre, à savoir Titan), que la superstar Curiosity a des instruments français à son bord et que la NASA ne bouge pas d’un pète avant d’avoir consulté Toulouse, et que la future mission ExoMars sera conjointe ESA-Russie.

Or, une mission habitée vers Mars coûtera bien plus cher que tout ce qui aura été mis en place jusqu’à présent (à part l’ISS, peut-être), et qu’il est très, très peu probable que la NASA prenne en charge le budget total de l’opération. Il n’y aura donc pas de « conquête » dans le sens où les Américains réaliseraient à nouveau l’exploit, seuls, de poser le pied pour la première fois sur une autre planète. La conquête idéologique et politique de la Terre par une seule nation n’aura plus lieu.

C’est donc géopolitiquement faux de parler de « conquête » de Mars. Mais c’est également faux du point de vue sémantique. Va-t-on soumettre Mars par les armes ? Non (mais ce serait une jolie ironie, pour un dieu de la guerre…) Va-t-on la gagner ? Non. Ça n’a aucun sens de dire qu’on va gagner une planète. Va-t-on la maîtriser, la dominer, s’en rendre maître ? Mais enfin… Tout ça ne veut absolument rien dire du tout !!

Quand allez-vous comprendre qu’on ne maîtrisera aucune planète (pas même la nôtre, et de moins en moins !), pour la simple et bonne raison que nous sommes des êtres, certes intelligents et conscients mais organiques, petits et fragiles, et que nous ne sommes rien face aux éléments et que, hormis la Terre, absolument tout dans le cosmos, en l’état des connaissances actuelles, nous est parfaitement hostile ?…

Quand allez-vous apprendre à être humble face à tout ça, à commencer par le vocabulaire employé ?… Les mots ont un sens qu’il ne faut pas prendre à la légère.

On ne conquiert rien du tout. On explore – avec prudence, avec respect, et surtout avec une grande humilité. L’autre jour, j’ai répondu à une interview concernant ma candidature pour Mars One sur le site Civilisation 2.0. On m’a demandé si j’avais une idée des premiers mots que j’aimerais prononcer sur Mars, et j’ai répondu que j’aimerais que ce soit une déclaration à Mars.
« Bonjour Mars, merci de nous accueillir sur ton sol. Nous, humains de la planète Terre, te promettons de te respecter et de rester humble face à toi. Nous venons apprendre à mieux te connaître avec bienveillance et nous espérons que tu toléreras notre présence. » Déclaration qu’on accrocherait et qu’on s’efforcerait de respecter et de ne jamais oublier.

Voilà la différence entre conquête et exploration : dans la première, on arrive avec un sentiment de puissance, de domination et une volonté de s’approprier ; dans la deuxième, on vient demander humblement un dialogue scientifique avec un élément que l’on respecte dans une quête de connaissance dénuée de toute idée de violence, de puissance, ou d’appropriation et mue par la curiosité la plus saine qui soit.

Luca Parmitano jouant à Superman dans l'ISS

En plus, nous savons que l’espace, Mars, et tout ce que Science&Vie nous voit conquérir nous sont absolument hostiles. On ne joue plus les caïds depuis bieeeen longtemps – je crois qu’aucun(e) astronaute ayant volé ne s’y soit même risqué – et Luca Parmitano, actuellement dans l’ISS, l’a d’ailleurs rappelé dans un billet de blog très émouvant sur son incident lors d’une sortie extra-véhiculaire il y a quelques semaines (il avait failli se noyer dans son casque) et intitulé « Explorer la frontière« . Voici la traduction des dernières lignes de ce billet :

« L’espace est une frontière dure, inhospitalière et nous sommes des explorateurs, pas des colonisateurs. Les compétences de nos ingénieurs et la technologie qui nous entoure font que les choses nous apparaissent simples alors qu’elles ne le sont pas, et peut-être qu’on l’oublie parfois. On ferait mieux de ne pas l’oublier.« 

Je crois que tout est dit. Donc vraiment, amis journalistes, chroniqueurs ou blogueurs, s’il vous plaît, essayez de n’utiliser le mot « conquête » que dans un contexte historique précis (ou faites tourner si vous avez des amis journalistes, chroniqueurs ou blogueurs).

Ah oui… et même chose pour le mot « colonisation », par pitié. Si on pouvait plutôt parler de « base scientifique ou humaine », hein… Il y a autant de non-sens et de sous-entendu belliqueux, agressif et violent dans « colonisation » que dans « conquête ». Et le mot « colonisation » apparaît bien trop souvent également dans ce hors-série. Et s’il se peut que dans un futur lointain le terme soit approprié, ce n’est encore pas du tout le cas.

Autre chose qui m’a passablement agacée dans ce numéro : la référence au rêve. Ce n’est absolument pas gênant en soi, au contraire, puisque le spatial a toujours eu le rêve comme moteur. Mais j’ai ressenti très fortement de la part de Science&Vie un certain mépris. Et là, ça commence effectivement à me gêner un petit peu.

Exemple, p.111 : « Cela n’a certes pas le souffle d’une colonisation humaine, mais cela contribue toujours à en maintenir le rêve. »
Moi je comprends : « On n’est pas capable d’être de bons petits soldats belliqueux et d’aller conquérir Mars, mais bon, puisque ça continue à faire fantasmer ces braves gens, oh oh oh… », semble conclure ce journaliste avec une ironie pleine de condescendance.

Autre exemple, p.133 : « Certes, convient Jean-Pierre Luminet, il y a dans ces projets un peu d’utopie et beaucoup d’économie. Mais ils n’en permettent pas moins de développer de nouvelles technologies, et de faire avancer la science. » Faire avancer la science… [Oui, faire avancer la science. Le monsieur essaye de te dire que le rêve et l’imagination contribuent à la créativité et donc à l’innovation, et donc au progrès, et donc à la connaissance. Ça te parle, ou… ?] Vers une conquête encore plus lointaine ? [Putain mais t’es décidément complètement à côté de la plaque.] Mars aurait-elle de vraies richesses à nous offrir ? « En l’état actuel de nos connaissances géologiques, Mars n’aurait aucune ressource intéressante à exploiter », assure Francis Rocard. [Aaaah, d’accord. Donc dans ta question, « vraies richesses » voulait dire « espèces sonnantes et trébuchantes ». OKÉ. Donc la science et la connaissances sont de fausses richesses. Très bien. Je note.] Si ce n’est du rêve… [Phrase qui conclut 5 doubles-pages de dossier. Mais si ça fait rêver la brave méménagère de moins de 50 ans, hein, alors tout va bien…]
COMMENT TE DIRE.
Alors certes, il faut remettre cet extrait dans le contexte d’un article sur l’exploitation minière des astéroïdes – d’ailleurs intitulé, je vous le donne en mille…

Et "À la recherche de l'astéroïde idéal", par exemple, non ?... Non. Ok.

Mais ce cas, que vient foutre Mars là-dedans ??

Dernier exemple, p.144 : « L’idée tient aujourd’hui du doux rêve… » On parle d’aller voir une exoplanète. Effectivement, il nous est impossible d’accéder à une exoplanète en l’état de nos compétences et de connaissances techniques en terme de voyage spatial. Mais l’expression « doux rêve », avec toute la connotation de mépris et de condescendance qu’elle implique, était-elle vraiment utile ?… Je ne sais pas. Oui, pour le moment c’est de la science-fiction. Et alors ? Ça mérite d’être rejeté d’une main méprisante ? Je rappelle que sept ans avant les premiers pas sur la Lune, un être humain sur la Lune était de la science-fiction. Et pourtant on l’a fait. En seulement sept ans !!

Cher Science&Vie… Je vais terminer ce billet amer en citant l’astronaute français Thomas Pesquet.

« Dans le domaine de l’exploration spatiale il faut croire à la science-fiction. Moi j’y crois depuis que je suis tout petit. Ça m’a aidé à me dépasser. Ça m’a permis de réaliser des choses qui me paraissaient hors de portée comme devenir astronaute.« 

Ce jeune homme est devenu astronaute parce que c’est un rêve qui l’a porté. Méprisez-vous toujours ce rêve ? Quand vous êtes face à un petit garçon ou à une petite fille qui vous dit qu’il/elle aimerait bien devenir astronaute, je suis sûre que vous êtes du genre à ricaner et balayer ça d’un revers de la main – et je crois que je vous déteste pour ça 🙁

« J’espère vous avoir convaincu qu’il faut croire en l’exploration spatiale, qu’elle est bénéfique, qu’elle permet de se dépasser et de rêver un peu au-delà de son échelle individuelle, et ça, l’Homme en a bien besoin…« 

Ce sont les mots de conclusion de Thomas Pesquet, donc, lors de sa présentation à TEDx Paris l’année dernière que je vous conseille vivement de regarder.

 

Tu remarqueras, Science&Vie, que Thomas Pesquet se trompe en disant « conquête » et se reprend aussitôt (à 5’25). Tu sais pourquoi ? Parce que nous baignons dans un monde où l’expression « conquête spatiale » est encore utilisée beaucoup trop souvent. Les médias en sont en grande partie responsables et coupables. Tu l’es aujourd’hui.

En tout cas, j’espère qu’après tout ça tu changeras d’état d’esprit concernant la conquête l’exploration spatiale et le rôle du rêve dans ce domaine.

Oui, tu m’as déçue, mais ça me rend triste comme quand un ami nous déçoit. Je te suis depuis des années, je te dois énormément, et il y a plein de choses intéressantes dans ce numéro, mais j’ai tellement eu l’impression que tu étais resté bloqué dans les années 60 où tout ce qui a déjà été fait relève de la conquête agressive (ce hors-série suinte d’une violence sous-jacente due à ce terme) et où tout ce qui reste à faire relève du doux rêve pour personnes pas très sérieuses que j’ai eu bien du mal à apprécier ses bons côtés.

Mais si tu souhaites te défendre, j’accueillerai avec joie un droit de réponse ici-même. Je t’aime bien quand même et les jours où je te reçois dans ma boîte aux lettres restent toujours pleins de joie.

[SPATIAL] Les hangouts du CNES

Ce dimanche 23 juin à 11h, le CNES a organisé un Hangout avec Eric Lorigny, le responsable de FIMOC (French Instrument Mars Operation Centre). Son travail ? Creuser des trous sur Mars.

Il nous a raconté son quotidien, son boulot, ses relations avec la NASA et a répondu à toutes nos questions avec une simplicité et une émotion désarmantes.

Mais ce n’est pas le seul Hangout organisé par l’agence spatiale française : cette semaine, à l’occasion du Salon du Bourget, plusieurs ont eu lieu sur des thèmes différents mais toujours liés au spatial. Les voici ci-dessous pour les revoir !